Home Interviews MATMATAH – Le groupe de rock poétique signe un retour gagnant

MATMATAH – Le groupe de rock poétique signe un retour gagnant

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Pendant presque une décennie, l’un des plus subtils artificiers du rock hexagonal a été absent du P.A.F. Mais les Brestois sont de retour en grande forme. Tristan Nihouarn (guitares et chant) et Emmanuel Baroux (guitares) nous expliquent les dessous de ce retour espéré mais inattendu, à quelques jours de leur passage au Chant-du-Gros.

Peut-on dire qu’avec ‘Plates coutures’ vous avez repris les affaires là où vous les aviez laissées il y a bientôt dix ans?

Tristan Nihouarn: D’un côté, on peut le dire, oui. Quand nous avons repris nos instruments, nous avons eu l’impression que nous avions joué deux jours avant. C’était émouvant. Après, neuf années ont quand-même passé, ce qui nous a changés. Le monde aussi a changé en neuf ans. Disons que nous sommes les mêmes, mais avec dix ans de plus, ne nous voilons pas la face. En mieux ou en moins bien, je ne sais pas. Avec la tournée, les sensations sont revenues très rapidement. Mais en même temps, c’est une autre histoire. C’est une nouvelle page. C’est toujours Matmatah, mais c’est Matmatah en 2017. Je pense que notre public de l’époque s’y retrouve. Mais c’était une grande interrogation. Manu nous a rejoint, ce qui a représenté un changement de line-up et pas des moindres. Nous n’avons jamais imaginé être un groupe à géométrie variable. Cela nous a mis beaucoup de pression: les gens allaient-ils s’y retrouver? Il y a eu une évolution, une mutation.

Emmanuel Baroux: Comme le dit le membre historique.

Tristan Nihouarn: Préhistorique! (rires)

Que pense le nouveau membre de Matmatah de tout ça? Tu avais joué sur l’album solo de Tristan en 2012, mais à présent tu fais partie véritablement de la famille.

Emmanuel : Il faut distinguer deux aspects très différents du groupe. Tout d’abord, il y a l’enregistrement de l’album. Nous vivons comme en autarcie. Nous parlons des thèmes à aborder, nous allons dans la musique dans le détail, nous vivons comme dans un cocon. De par la nature des autres musiciens, j’ai pu me permettre à peu près tout ce que je voulais. Lorsqu’ils m’ont demandé de les rejoindre, ils étaient conscients que je n’allais pas faire un «copier-coller» de ce qui avait été ait auparavant, et c’est justement ce qui est intéressant. Nous avons essayé un milliard de choses, c’était très chouette. Après, il y a la scène, ce qui est nouveau pour moi. Non seulement nous jouons des nouveaux morceaux, mais aussi tout le répertoire d’avant. Les salles se sont remplies, alors que nous n’avions même pas annoncé de nouvel album. J’ai dû m’approprier très rapidement ces anciens titres, ce qui m’a procuré une émotion particulière. Comme le public est très généreux et participe beaucoup, je n’ai pas mis longtemps pour m’identifier à cela. Je me suis dit qu’il fallait que je joue bien, mais que je m’amuse à le faire aussi. Je suis très fier de notre album. Cela reste véritablement un propose de groupe, mais j’y entends clairement ma patte, mon influence. J’ai envie de dire que c’est pas mal.

Tristan : Fais-toi plaisir.

L’album est très addictif: il est mélodique, énergique, émouvant, pertinent au niveau du propos. J’avais peur d’être déçu en l’achetant, mais je retrouve ce que je recherche dans Matmatah, mais en plus moderne.

Tristan : Nous ne voulions pas refaire du vieux, ni faire du jeunisme. Nous avons choisi d’y introduire quelques sonorités plus modernes pour arriver à un dosage subtil. Nous ne voulions pas revenir sans album, il ne s’agissait pas de remonter sur scène pour un jubilé. En même temps, il ne fallait pas que ce nouvel album soit un prétexte à faire de la scène. On ne voulait pas être accusés de revenir sur scène pour le fric. Le but était clairement d’essayer de faire le meilleur album de Matmatah. Je ne sais pas si c’est le cas, mais c’est en tous cas ce qu’on s’est dit.

Emmanuel : Je comprends ce que tu dis, que tu avais peur d’être déçu. Il y a un vrai attachement au groupe de la part de beaucoup de gens, tu n’as dû être le seul à te dire ça.

Tristan : Beaucoup de gens ont mis du temps à venir nous voir sur scène, parce qu’ils avaient peur. Finalement, ils se sont dit: ‘Merde, c’est pas mal quand même.’ Notre aventure est à la fois musicale et humaine. Il y a toujours eu une affection des fans pour la musique du groupe, mais aussi pour ses membres. Alors dès le moment où quelqu’un part et qui est remplacé par un autre, certains peuvent ressentir comme une trahison vis-à-vis de celui qui est parti (ndlr: le guitariste originel, Sammy, en 2008). Nous n’avons plus le même âge et le public non plus. Certains ont eu des difficultés à venir nous voir, car ils ne savaient pas comment se positionner. En parallèle, il y a une nouvelle génération qui vient nous voir, entre quinze et vingt ans, et eux ne se posent pas de questions. Ils n’ont jamais connu l’ancienne version de Matmatah et ne pensaient même jamais voir Matmatah sur scène. Ils sont contents et chantent les paroles.

Au niveau des textes, l’album commence par un constat d’échec et se termine par une lueur d’espoir. Etes-vous tiraillés entre pessimisme et optimisme?

Tristan : Je me considère comme un philanthrope pessimiste ou un misanthrope optimiste, je ne sais pas. J’ai des inquiétudes, car j’ai eu le temps d’observer l’évolution du monde depuis dix ans et d’imaginer le contexte dans lequel vont vivre nos enfants. J’avais envie d’en parler. Nous n’allons pas nous réjouir de tout, mais pas tomber dans la sinistrose non plus. Nos musiques sont plus lumineuses que nos textes. Il y a toujours eu entre nos thématiques et nos musiques comme un ‘chaud/froid’. La première et la dernière chanson ont une place qui était évidente dès le début.

Emmanuel Baroux: A partir du moment où on aborde des thématiques contemporaines, il y a un minimum de politesse à avoir en laissant une lueur d’espoir. Ce qui n’est pas le cas si on écoute ‘L’imprudence’ de Bashung, on sait très bien qu’il ne va pas finir l’album avec une reprise de Carlos.
Tristan : Nous sommes des humano-sceptiques, mais qui ont quand même de l’espoir.

Peut-on dire que cet antagonisme entre des textes graves et des mélodies entraînantes est en quelque sorte la marque de fabrique de Matmatah?

Tristan : Cela rend le propos plus digeste, mais nous ne le faisons pas de façon consciente. Nous l’avons toujours fait.

Emmanuel : Nous attirons les gens grâce à une musique que nous soignons beaucoup, puis ils se rendent compte des thèmes que nous abordons dans un deuxième temps.

Tristan : Nos chansons contiennent plusieurs niveaux de lecture. Il est possible de les écouter de manière légère et agréable, mais aussi d’approfondir l’écoute si on en a envie et de cogiter un peu. Si nous décidons d’émettre un propos, c’est pour permettre aux gens de prolonger la réflexion.

Emmanuel : Il nous aurait possible de mettre en scène certains thèmes de manière plus calme, mais après tout nous sommes un groupe de rock. Ecrire un maximum de titres qui envoient, pour nous c’est tout bonheur sur scène.

Tristan : Sur scène, nous enchaînons ‘Nous y sommes’ et ‘Derrière ton dos’. Si les thématiques abordées sont diamétralement opposées, musicalement c’est cohérent.

En écoutant ‘Marée haute’, comprenez-vous qu’il est possible d’avoir une certaine sympathie ou une fascination pour le personnage qui y est dépeint, étant donné que le texte est plutôt poétique?

Tristan : On parle quand même d’un connard! (rires) Ce type est pathétique, c’est un connard, point barre. Nous ne désirons pas qu’il y ait une empathie pour ce personnage qui incarne le comble du cynisme. Après, quand on campe un tel personnage dans une chanson, ce n’est pas du tout un bonheur à interpréter. Ce n’est pas la première fois que je le fais, il y a eu «Crépuscule dandy». D’ailleurs, ça pourrait être le même personnage. Je n’ai pas essayé de le rendre sympathique en l’incarnant.

Emmanuel : Ce qui peut-être le rend sympathique, ce sont les références littéraires et cinématographiques. Quand on pense à D.S.K. par exemple…

Tristan : On a dit qu’on ne donnait pas de noms! (rires)

Emmanuel : Quand on pense à ces gens-là, on subit leur présence en permanence dans les médias et on finit presque par s’attacher à ces personnes-là. Par moments, elles sont là de façon quotidienne.

Tristan : Personnellement, je n’ai pas de sympathie pour ces gens-là, même si à quelque part ils peuvent nous faire penser aux méchants dans des romans.

Vous a-t-il fallu du courage pour écrire ‘Petite frappe’ et ‘Peshmerga’, connaissant la susceptibilité des islamistes?

Tristan : Ce n’est pas à nous de dire si nous avons eu du courage ou pas. C’est vrai que très peu d’artistes abordent ces sujets-là. Ecrire sur ces sujets ne veut pas dire qu’on a envie d’en parler après. Avoir du courage, cela sous-entend faire quelque chose de dangereux. Or, cela ne doit pas être dangereux de chanter une chanson ou d’écrire. Si ça le devient, c’est qu’on a déjà un peu perdu.

Emmanuel : Pour ces deux morceaux, les musiques sont arrivées avant les textes. La musique de ‘Peshmerga’ est très fraîche, avec piano et guitare acoustique. On ne voulait pas en faire une chanson ‘flower power’ pour risquer un procès avec Julien Doré (rires). ‘Petite frappe’ contient un riff puissant qui a quelque chose de pharaonique. Il fallait trouver une thématique qui soit grandiloquente qui puisse poser un tableau.

Vos influences musicales sont-elles plutôt américaines ou britanniques?

Tristan : Je serais plus Anglais. J’aime le son anglais, même si à la base la musique anglaise vient des Etats-Unis.

Emmanuel : Je suis avant tout guitariste.

Tristan : Il fait du guitarisme! (rires)

Emmanuel : J’aime les choses efficaces, je dirais donc les deux. Ce qui m’importe, c’est la complémentarité au niveau des guitares, car Tristan possède un son.

Tristan : Avant tout, je suis chanteur, et je m’accompagne avec ma guitare.

Emmanuel : C’est faux, Tristan a une patte, un son, une façon de jouer. Quand on construit la rythmique, il faut que je trouve quelque chose qui matche. Nos inspirations de base sont anglaises, Muse, Police.

Matmatah est-il un groupe inclassable, qui fait ce qui lui plaît indépendamment des modes? On a l’impression que rien ne peut vous bousculer, que vous êtes imperméables, un peu comme Motörhead dans un autre registre.

Tristan : On est rarement imperméables à un style de musique. Je te donne un exemple: ‘Girl’ des Beatles, c’est quoi comme style de musique? Musicalement parlant, c’est du sirtaki. Mais qui a remarqué que c’était de la musique grecque? Il y a beaucoup d’exemples comme celui-ci, où on oublie quel est le style de base parce que le groupe a une patte énorme. Moi, ce qui m’intéresse, c’est d’avoir une patte, parce que finalement on est limités musicalement et on va taper dans différents styles. J’aimerais arriver au point où les gens qui nous écoutent puissent dire: ‘Je ne sais pas ce que c’est comme style, mais c’est du Matmatah’. ‘L’apologie’, c’est du zouk, mais peu de gens en sont conscients. Les Beatles ont été très forts pour ça, car ils ont tapé dans tous les styles. En ce sens, les Beatles sont inclassables car ils pouvaient se réapproprier n’importe quel style.

Emmanuel : Mais ce résultat ne vient pas par la force du Saint-Esprit, on n’est pas dans le génie. Il ne suffit pas de décider de prendre sa guitare et de composer un morceau de zouk, pour accoucher d’une montagne comme ‘L’apologie’. Il y énormément de boulot.

Tristan : C’était d’ailleurs notre questionnement quand on a sorti «Plates coutures»: est-ce que les gens vont y reconnaître Matmatah?

A propos d’’Overcom’: comment rester connectés au flux d’informations, sans se laisser submerger, sans devenir sur-connectés?

Tristan : Il faut rester concernés, pas connectés. C’est un souci, car il y a clairement une sur-communication qui engendre un manque de recul. Il existe des moyens de rester informés sans être connectés. Si on me demandait quel est mon média préféré, je répondrais le papier. Car le papier permet de conserver du recul. Dans un quotidien, il y a au moins 24 heures de recul par rapport à une information qui est tombée, ce qui a permis une réflexion, un raisonnement. De nos jours, entre la rumeur, l’information et le foutoir, les écarts se creusent. Ce qui est rumeur devient déjà une information. L’actualité devient de l’Histoire trop rapidement. Et l’information peut devenir de la propagande facilement. La communication peut être une arme de destruction massive. Au 21ème siècle, Internet peut être très dangereux, car ce sont les commentaires des gens qui font l’information et non l’information en elle-même. Il nous faut rester super vigilants, car même les grands médias peuvent se faire piéger. Il nous faut du temps pour digérer l’information ou la désinformation.

Emmanuel : On peut trouver facilement n’importe quelle information qu’on souhaite. Vous trouverez certainement un site qui vous assure qu’il y avait des extra-terrestres sur la Côte-d’Azur la semaine dernière. Les médias tentent de nous garder connectés. On ne va pas être réactionnaires et prôner un retour en arrière, mais il s’agit de bien éduquer nos enfants. Internet est totalement chronophage et émotionophage. Cela m’arrive à moi aussi: il est vingt-trois heures, je me dis que je vais vérifier quelque chose sur Internet, et puis tout à coup il est deux heures du matin. Et le lendemain je me demande ce que j’ai réellement appris.

Tristan : La plupart du temps, les infos remplissent du vide avec du rien. Tout est déformé. Récemment, le philosophe Michel Serres a dit qu’il n’y avait jamais eu aussi peu de terrorisme dans le monde qu’actuellement. Nous vivons dans une période de paix, c’est statistique. Simplement, on est au courant de tout, alors c’est anxiogène. Les médias sont là pour nous faire flipper, car nous faire flipper c’est nous garder devant l’écran, devant la pub des annonceurs. Cela a commencé avec la guerre du Golfe, lorsque nous pouvions suivre la guerre en direct à la télé. Ce que dit Michel Serres est culotté, c’est intéressant. Il n’y a également jamais eu aussi peu de guerres statistiquement, c’est un fait historique.

Emmanuel : Cela ne veut pas dire qu’il faut être satisfait des mauvaises choses qui se passent actuellement. Il y a eu globalement au seizième siècle autant de morts qu’actuellement. La différence, c’est qu’à l’époque on tuait à la main.

Depuis un an et demi, plusieurs artistes nous ont quittés. Lesquels vous ont le plus influencés, accompagnés, inspirés?

Tristan : C’est triste, mais c’est de moins en moins choquant, parce que c’est tout une génération qui s’en va. C’est dans l’ordre naturel des choses. Malheureusement, ça ne va pas s’arrêter. Ce n’est pas une malédiction, la plupart étaient arrivés à un âge où le risque de décéder est plus grand.

Emmanuel : Pour moi, c’est clairement Lemmy. Il avait du talent, certes, mais c’est plus le fait que c’était un musicien qui n’a pas bougé, comme ZZ Top d’ailleurs. Lemmy était l’incarnation du super-héros à quelque part. On se disait qu’il ne mourrait jamais. Bowie ou Lou Reed, avec leurs hauts et leurs bas, semblaient plus fragiles. La mort la plus inattendue, c’est celle de Chris Cornell. Ce n’est pas très joli, d’autant plus que dans ce style de musique il y a eu beaucoup de morts soudaines: le mec de Mother Love Bone, Cobain, Layne Stayley, Scott Weiland.

Tristan : A quelque part, ce n’est pas étonnant. Cette génération de musiciens a toujours prôné une forme d’autodestruction. C’est la fin d’une histoire qu’ils ont écrite eux-mêmes.

Emmanuel : La mort de Cobain n’était pas si surprenante que ça, c’était un mec qui ne supportait pas le succès et qui tapait dans l’héro. Avec Cornell, on a à faire à un gars de plus de cinquante ans, beau gosse, assis dans la vie. Au-delà de l’argent, créativement il avait fait ce qu’il avait à faire.

Tristan : Le décès d’un musicien est un révélateur de l’impact qu’il a eu sur son époque. A ce titre-là, la mort de Prince a eu beaucoup moins d’effets que celle de Bowie. Je ne m’attendais pas à ça, honnêtement.

Emmanuel : L’effet du décès d’un artiste sur les gens reflète également dans quelle mesure ils ont pu s’identifier à lui. Pour un Anglais blanc moyen, il était facile de s’identifier à Bowie ou Lemmy. Par contre, j’en connais peu qui se levaient le matin et décidaient de ressembler à Prince en se mettant une moumoute rose. C’est une question d’attachement.

 

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