Le groupe Gåte a rapidement gagné une réputation dans la scène rock alternative nordique pour leurs concerts quasi-rituels, un mélange de rock progressif, de folk hanté et de… de je sais pas quoi d’autre, quelque chose d’un peu mystique, un peu païen. Ce soir, il fait –5°C dehors. Une humidité glaçante, mordante, le genre qui vous pique les oreilles et vous fait douter d’être humain (ou troll, qui sait). À l’intérieur, pourtant, l’ambiance est tamisée : une lumière chaude, presque fumeuse, couvre la scène.
La chanteuse, pieds nus, nous lance dès les premiers mots qu’elle veut “nous ramener la magie… les contes de fées du Nord”. Elle dit ça avec un sourire un peu malicieux, un petit accent qui craque sur certaines syllabes. C’est charmant. Et on veut bien la croire. Très vite, elle se met à bouger. Non, en fait : elle danse. Grands gestes, bras levés, jambes qui frappent le sol, comme un rituel ancien. Un truc chamanique, presque hypnotique. La musique oscille entre rock progressif lumineux et ballades sombres, avec des harmonies étrangement envoûtantes. Les titres montent, redescendent, s’étirent dans des textures incroyablement aériennes. Et la salle, pourtant frigorifiée, semble soudain respirer. La dernière chanson explose littéralement, lumière à fond, riffs plus nerveux, rythme presque tribal. Une consonance celtique s’invite dans les arrangements. La chanteuse lance alors, hilare : « Libérez le troll qui sommeille en vous, just… just let it out ! » Oui, bon, c’est un peu insolite, mais on applaudit. Certains, autour de moi, ont même vraiment l’air de le libérer.
21h12, un grondement sourd comme un orage norvégien qui se serait invité dans la salle. Les lumières, d’un bleu glacial, s’allument, timidement, et Leprous fait son entrée. Ce groupe norvégien, formé en 2001 à Notodden. Au fil des années, ils sont devenus une référence incontournable du prog’ moderne : des rythmiques mathématiques, une sensibilité presque… fragile, et la voix d’Einar Solberg qui oscille entre la caresse et le cri abyssal.
La scène est précise, batterie sur la droite, massive, prête à exploser ; à gauche, le set piano/clavier, juché sur une plateforme surélevée comme un poste d’observation. Une ambiance un peu froide, minérale, mais sous laquelle brûle une énergie brute. On sent l’hiver norvégien qui s’invite dans chaque souffle, chaque note. Dès la troisième chanson, le batteur est déjà torse nu. Un classique dans le genre, mais là… on dirait qu’il tente d’échapper à la fournaise qu’il déclenche lui-même, tant son jeu est puissant, syncopé, furieusement précis.
Et puis, rupture. Einar se penche vers son clavier, glisse les doigts dessus et là… solo. Un pur moment suspendu. Sa voix, absolument incroyable, monte, descend. On entend quelques « wow » dans le public. Mérités, franchement. Le moment le plus surprenant, celui dont on parlera encore demain matin autour du café, c’est leur reprise de « Take on Me » . Un challenge lancé par leur studio d’enregistrement et qu’on pensait ne jamais voir en live. La salle, jusque-là monochrome, plongée dans ses blancs, bleus, et jaunes froids, se métamorphose soudain en explosion de couleurs pop. Du rose, du turquoise, un truc presque kitsch mais parfaitement assumé. Et la version ? Eh bien… bluffante. La balance entre leur style et l’original est… comment dire… parfaitement cadencée. On sent le respect, mais aussi l’insolence du groupe. Le public est conquis, littéralement happé. Puis arrive « From the Flame ». Et là, c’est la transcendance pure. Une vague. Une montée émotionnelle qui emporte tout le monde, même les plus sceptiques. On voit les visages, éclairés par les spots, presque éblouis. Le groupe quitte ensuite la scène, rapidement, presque trop vite. On sait déjà qu’ils reviendront, mais cette micro-pause intensifie le manque.
Et puis : rappel. Deux chansons. Dernier souffle. Ils terminent avec « The Sky Is Red ». Sans chant. Un final doux. Les instruments se répondent, tissent une atmosphère finale qui apaise, qui refroidit, qui referme la soirée. Et on sort de là un peu sonné, un peu ailleurs. Comme après une longue nuit d’hiver où l’on aurait trouvé, au milieu du froid, une chaleur…
Texte : [Adeline Pusceddu]
Photos : [Deadly Sexy Carl]
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