Après l’annonce en juin dernier, du départ de son chanteur emblématique, Loïc Rossetti, nous avons eu la chance d’échanger avec Robin Staps, membre fondateur du collectif The Ocean. Après un concert exceptionnel et émouvant au Hellfest 2025, il explique sans concession à Daily Rock ce que ce départ engendre et la direction artistique que prendra désormais le groupe.
The Ocean a beaucoup évolué au cours de ces 23 années, passant d’un collectif fluide à un groupe plus stable. Avec le recul, quels ont été les moments ou les tournants qui ont vraiment défini l’identité du groupe ?
La première formation stable, que j’appelle Ocean Collective 1.0, s’étend de 2004 à 2006. Puis, avec la version 2.0, nous avons eu plusieurs musiciens suisses dans le groupe entre 2007 et 2013.
Ocean Collective 3.0 a duré de 2014/2015 jusqu’à cette année. Début 2024, nous avons tourné la page avec les concerts ‘End of an Eon’, en jouant le répertoire de cette période ainsi que les albums ‘Phanerozoic (I & II)’ et ‘Holocene’, sortis durant cette décennie. Et aujourd’hui, une nouvelle étape s’ouvre : Ocean Collective 4.0 se met en place, avec un nouvel album prévu pour cette année.
Loïc a été une figure clé du son et de la présence scénique de The Ocean pendant plus de dix ans. Comment gérez-vous son départ, et que cela signifie-t-il pour l’avenir du groupe ?
Loïc a marqué le son et la scène du groupe ces 15 dernières années. Sur scène, c’était lui qui transmettait l’énergie au public ; en studio, sa créativité et la variété de ses styles vocaux ont ouvert de nouvelles voies à mon travail d’écriture. Son départ est évidemment une perte pour le groupe. J’ai essayé de l’éviter, j’aurais aimé faire encore un disque avec lui, et je le lui ai dit. Mais au final, c’est sa décision, et je ne veux forcer personne à rester si ce n’est plus ce qu’il désire profondément.
Être dans ce groupe demande énormément de temps, d’énergie, de nerfs, de sang et de sueur. Mais c’est aussi un privilège incroyable, un rêve : voyager, tourner à travers le monde et être payé pour partager son art avec des fans passionnés. Si on ne voit plus la beauté de tout cela, alors il est temps de se retirer, sans rancune.
« Si on ne voit plus la beauté de tout cela, alors il est temps de se retirer, sans rancune. »
Je remercie Loïc pour tout ce qu’il a apporté au groupe pendant ces 15 années et je lui souhaite le meilleur.
Pour l’avenir, cela signifie un nouveau chapitre, un nouveau départ. Je suis en paix avec son départ, car je sais que j’ai fait mon possible pour le retenir. Je n’ai pas peur du changement, c’est la vie. Quand tout semble parfait, les fissures apparaissent souvent, puis tout s’effondre. Mais des ruines naissent aussi de nouvelles opportunités.
Reconstruire cette formation était nécessaire et crucial pour la survie du projet, et cela a été bien plus facile aujourd’hui qu’il y a dix ans, car le groupe a désormais beaucoup plus à offrir sur tous les plans. Les concerts et tournées sont gratifiants émotionnellement, viables financièrement, et confortables en termes de conditions. Et il y a tellement de musiciens talentueux qui cherchent à rejoindre un projet de cette envergure. J’ai rencontré des personnes incroyables ces derniers mois et je suis très enthousiaste à l’idée de travailler, créer, tourner et passer du temps avec elles.
Le concert de The Ocean au Hellfest 2025 avec Loïc a été l’un des moments forts du festival. Comment avez-vous vécu ce show de votre côté ?
Pareil. C’était une excellente dernière date avec cette formation. Plutôt qu’un adieu triste, c’était une célébration de ce que nous avons accompli ensemble. C’était essentiel pour nous tous de terminer en beauté, en bons termes, et de pouvoir regarder en arrière sur ce chapitre intense de nos vies avec des souvenirs positifs.

Si tu étais toi-même fan de The Ocean, que remarquerais-tu le plus dans la musique et l’approche artistique du groupe ?
Notre approche et notre musique ont beaucoup évolué en 24 ans, mais il existe un fil conducteur à travers tous nos albums et nos concerts. C’est une ambiance, une énergie, une atmosphère difficile à décrire avec des mots. C’est précisément pour cela que j’écris et joue de la musique.
Le travail de The Ocean s’inspire profondément de la géologie et de l’histoire. Mais au-delà de la musique et de la science, quelles autres influences – littérature, philosophie, arts visuels, expériences personnelles – ont nourri ta vision créative ?
Il y en a beaucoup, car cela fait longtemps. La philosophie de Friedrich Nietzsche, la puissance et l’éloquence de son langage, ses aphorismes brutaux, ont fortement influencé mes textes depuis ‘Precambrian’. Sa vision de l’« Éternel retour » est d’ailleurs au cœur des paroles de ‘Phanerozoic’.
De longs extraits des ‘Chants de Maldoror’ de Lautréamont apparaissent aussi sur ‘Precambrian’.
‘Pelagial’ est une traversée conceptuelle des différentes zones pélagiques, de la surface jusqu’aux abysses, mais aussi une plongée analogue dans les profondeurs de la psyché humaine. Le film ‘Stalker’ de Tarkovski en est l’épine dorsale : trois hommes traversant différentes zones vers un centre mythique où tous les vœux se réaliseraient…
Les albums « -centric » se sont nourris de la pensée de Richard Dawkins.
‘Holocene’ a été écrit pendant ma relecture de ‘La Société du Spectacle’ de Guy Debord, un ouvrage presque prophétique bien qu’écrit bien avant Internet.

Le processus créatif semble à la fois collaboratif et expérimental. Comment votre manière de composer et de produire a-t-elle évolué, notamment avec les changements de line-up ?
Pour être honnête, les changements de line-up n’ont pas beaucoup d’impact sur l’écriture. J’ai été l’unique compositeur de ‘Fogdiver’, ‘Fluxion’, ‘Aeolian’, ‘Precambrian’, ‘Heliocentric’, ‘Pelagial’, ‘Phanerozoic I’ et aussi du nouvel album à venir, dont j’ai écrit l’ossature en même temps que ‘Holocene’. Nous avons tellement tourné que je n’ai pas trouvé le temps de m’y remettre depuis, mais aujourd’hui je suis à fond dedans, et c’est très excitant d’explorer ces idées avec une nouvelle équipe, pleine d’inspiration et de perspectives différentes.
Après tant d’années de collaboration avec Loïc, quelles nouvelles directions prendra le son et les performances live ?
J’ai envisagé de continuer en instrumental, mais j’ai conclu que The Ocean a besoin d’un chanteur. Pas d’un clone de Loïc, mais de quelqu’un qui apporte son propre caractère et son identité. Quelqu’un qui comprenne et respecte l’héritage du groupe, tout en facilitant la transition vers une nouvelle ère. Un musicien capable de s’approprier cette toile déjà existante et d’y peindre librement. C’est un beau défi.
Et toi, personnellement, quel est le prochain pas créatif après cette page tournée avec Loïc ?
Je travaille actuellement sur notre 11e album studio, que nous enregistrerons cette année pour une sortie prévue en 2026.
Quel message aimerais-tu adresser aux fans de longue date et aux nouveaux auditeurs qui soutiennent The Ocean à travers ces changements ?
Pour citer notre morceau ‘Hadopelagic II : Let Them Believe’ : « Le changement est ce qui nous terrifie le plus », mais il n’y a en réalité aucune raison d’en avoir peur. S’adapter au changement est l’une des facultés essentielles de l’esprit pour affronter ce que la vie nous réserve.
The Ocean Collective a toujours été une entité fluide, et cette fluidité est constitutive de notre démarche créative, elle a permis à notre projet de durer presque 25 ans. En tant qu’artiste, j’ai besoin de m’entourer régulièrement de nouvelles personnes inspirantes, afin de ne pas répéter indéfiniment la même formule. Et sans même chercher, j’ai le sentiment que les bonnes personnes se sont naturellement présentées à moi. Je suis curieux et enthousiaste de voir ce qu’elles apporteront.
Nous avons énormément tourné avec les albums ‘Phanerozoic’ et ‘Holocene’ ces six dernières années. Il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre, de faire de la nouvelle musique.
J’ai écrit la plupart de nos albums passés, et j’ai aussi écrit ce 11e à venir, donc tu peux être sûre qu’il sonnera comme du The Ocean.






