Peu de groupes peuvent se targuer d’être aussi originaux tout en ayant la faculté de se remettre en question durant leur carrière que les québécois de Voivod, cependant le petit nouveau (et 23ème sortie du groupe si l’on compte les live et EP) ‘’Synchro Anarchy’’ s’avère (presque) dans la droite lignée que son prédécesseur ‘’Awake’’. Michel Langevin, batteur et seul musicien avec le chanteur Snake à être là depuis les débuts, nous explique tout cela avec sa sympathie habituelle.

‘’The Wake’’ a eu un certain succès, est-ce que vous avez ressenti de la pression pour réaliser le nouvel album ?

Je dirais que oui, dans le sens ou ‘’The Wake’’ a été une surprise car il fut si bien accueilli ! C’est quand-même un album assez progressif, mais cela nous a donné confiance, on s’est dit qu’on était sur la bonne voie, nous nous sommes mis la pression, car on voulait un album aussi bon – voir meilleur – que ‘’The Wake’’ donc on a vraiment travaillé dur pour aboutir à un résultat du même standard.

Avec ‘’The Wake’’, nous avons gagné énormément de public avec des tournées complètes partout dans le monde, on dirait que plusieurs générations ont découvert Voivod !

On retrouvait un peu aussi les influences rock de ‘’Outer Limits’’.

Ce qui est intéressant c’est que Chewy et Rocky sont des amateurs de toutes les époques de Voivod donc je reconnais des éléments de chaque époque mais aussi avec un nouveau style un peu metal fusion, c’est aussi un défi pour moi à la batterie de refaire du rock progressif.

J’adore cette évolution tout en gardant votre patte ! ‘’Synchro Anarchy’’ est un peu un résumé de toutes les périodes du groupe.

Oui ! Même moi j’essaye d’incorporer tous les styles différents que j’ai acquis au fil des décennies ; pour incorporer mes racines metal jazz, il a fallu que je retourne dans mes influences jazz qui viennent plutôt du rock progressif avec Soft Machine, Van Der Graf, King Crimson, Magma, Bozzio avec Zappa. Donc c’est plutôt naturel pour moi mais j’essaie quand-même de mettre de la double grosse caisse pour le côté thrash metal et beaucoup de toms pour le côté punk, j’essaie d’incorporer tous mes styles, mais je trouve qu’on a un côté futuriste maintenant. Cela me force à innover, explorer dans mon jeu de batterie et j’adore l’expérience.

Par contre ‘’Synchro Anarchy’’ me semble plus sombre…

La plupart des journalistes ont trouvé l’album plus sombre, quelques-uns l’ont trouvé plus joyeux … Globalement je trouve l’album plus sombre : il y a comme une urgence et les circonstances dans lesquelles on a écrit l’album font qu’il l’est même au niveau des paroles.

‘’Holographic Thinking’’ m’a marqué dès le début, est-ce que vous avez plus travaillé dessus ?

Les deux chansons différentes d’après moi seraient ‘’The World Today’’ et ‘’Sleeves Off’’ qui sont un peu plus courtes et punk, les autres titres sont de longues pièces progressives. La surprise serait ‘’Planet Eaters’’ : on n’avait pas vraiment fait attention à ce titre et après le mixage c’est celui qu’on préférait et qu’on a choisi comme premier single. Personnellement, j’ai hâte qu’on joue ‘’The World Today’’ en spectacle car la rythmique me fait penser à ‘’The Prow’’ de l’album ‘’Angel Rat’’ que j’aime jouer live. Le message de ce titre est : si tu veux vivre dans un monde meilleur, il faut que tu y contribues, une sorte d’avertissement positif.

Vous avez abordé de nouveaux sujets ?

Snake serait plus à même de répondre, mais il me semble que les textes sont plus cryptiques ou poétiques et y a un côté science-fiction surréaliste. Mais il y a toujours ce côté classique du groupe avec l’aliénation, la folie, l’isolation, les dystopies. De la science-fiction moderne avec des trucs qui peuvent être reliés à une réalité plus digitale, comme si on vivait dans un jeux vidéo sans le savoir, ou la folie engendrée par notre société actuelle avec une overdose d’informations.

Par rapport au repli sur soi-même amené par les nouvelles technologies, comment tu vois l’apport de ces sociétés qui développent des programmes pour vivre dans une réalité virtuelle ?

Moi ça me fait peur car depuis assez longtemps, avec des jeux comme Second Life, j’ai vu des gens pour qui l’immersion était tellement importante que ça a pris le contrôle de leur vie. J’ai toujours évité de jouer aux jeux-vidéos car j’adore ces designs de science-fiction et je me perdrais à jouer des jours entiers. Le danger de ces mondes parallèles est que tu négliges ta vraie vie et tu en perds le contrôle.

On ne verra jamais une version virtuelle de Voivod quoi !

Ce n’est certainement pas moi qui vais en faire la programmation ! (Rires) Mais il ne faut pas nier le progrès, d’ailleurs pour cet album nous avons fait le plus gros du travail à distance ; à cause des confinements on a presque tout dû faire en ligne, donc sans ces outils, il ne se serait rien passé. Évidemment le plus gros du travail s’est passé tout l’été où l’on s’est tous enfin réunis pour finaliser le travail en studio et transformer les petits bouts qu’on avait composé en matériel Voivodien !

Avez-vous préparé quelque chose de spécial pour la scène ?

Non, par contre l’an passé on a fait des concerts en ligne ; cela nous a permis de rejouer des morceaux que l’on n’avait pas fait depuis des décennies et va nous permettre sûrement de rafraichir notre set-list. La partie européenne de notre tournée en février est reportée à l’automne donc il se peut qu’on revienne à notre formule de sessions ‘’Hypercube’’, on pourrait revisiter des albums comme ‘’Outer Limits’’, ‘’Angel Rat’’ et même le dernier album.

C’est étrange car je te parlais du danger de passer une grosse partie de sa vie dans un monde parallèle et juste après je te parle de faire des spectacles en ligne ! (Rires) J’ai beaucoup aimé aussi les discussions avec les gens après le spectacle, c’était vraiment sympa.

Si tout est reporté ou annulé en 2022 allez-vous recomposer quelque chose pour le sortir en 2023 ?

Le processus a été tellement intense et en même temps lent. En 2020, on a concentré nos efforts pour sortir des albums qu’on avait enregistré en spectacle en 2019, le mini ‘’The End of Dormancy’’ et l’album ‘’Lost Machines Live’’. Quand le temps était venu d’enregistrer un nouvel album cela coïncidait aussi avec les festivals d’été dans la province de Québec, donc on jouait les weekends et on enregistrait en semaine : c’était vraiment une période intense, on avait que des bouts de chansons et quand on est entrés en studio en juin, il fallait finir l’album pour septembre, c’était un travail incroyable et on s’est dit qu’il faudrait être plus actifs pour le prochain album. Je dois commencer à faire de la programmation de batterie pour que Chewy et Rocky s’amusent là-dessus, je suis certain que Chewy va m’envoyer des idées aussi. La pandémie a fait en sorte que nous avons dû trouver une formule pour avancer. J’ai l’impression que les sorties d’albums seront plus rapprochées.

Cela fait 40 ans que tu es sur scène : des regrets ou envies ?

Je ne regrette vraiment rien, j’ai fait partie de 5 formations avec des styles variés, je suis fier de chaque album, il y a eu des opportunités manquées et d’autres expériences extraordinaires. En fait je suis très optimiste et heureux. Il y a eu des obstacles bien-sûr, comme quand on a eu l’accident en Allemagne en 1998 ou la mort de Denis d’Amour, des périodes qui m’ont beaucoup attristé mais on a connu aussi des aventures incroyables, des tournées avec Rush, Ozzy Osbourne, Judas Priest, Iron Maiden, mes héros. Comme Lemmy disait : I don’t do regrets. Les mauvaises décisions, tu peux les prendre comme des leçons et ne pas refaire les mêmes erreurs dans le futur. Pour moi le verre est toujours à moitié plein ! 

Cela fait plaisir de voir quelqu’un de positif dans cette période ! Tu es toujours porté sur le présent et le futur…

C’est important. Si je veux survivre je dois toujours penser au présent et au futur : Il faut dire que je suis chanceux car le regain de popularité de Voivod bénéficie aussi à ma carrière d’artiste graphique car j’ai de plus en plus de demande pour faire d’autres trucs pour d’autres gens. En 2020 j’ai aussi créé un magasin en ligne pour rendre mes travaux d’art plus visibles et disponibles. J’ai la chance d’avoir une carrière parallèle et de pouvoir vivre de mon art parce que j’ai vu beaucoup de mes amis abandonner et passer à autre chose. On a de la chance d’être sur des labels comme Century Media et Sony qui sont bien établis. C’est donc difficile pour moi de me plaindre car j’ai vraiment le meilleur des deux mondes en tant qu’artiste. Je voulais remercier les fans du groupe pour leur support au fil des décennies, c’est pour ça qu’on se sent toujours obligés de leur offrir un nouvel album et une tournée sans se reposer sur nos acquis.  [Gérard Fois]

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