The Blinders, les œillères, voilà un moyen fort efficace employé par des esprits tordus pour contraindre le regard, pour tordre la réalité, ou tout du moins en cacher une partie. Alors donc, ce trio originaire de Doncaster au sud de Manchester ne serait qu’une bande de manipulateurs, mystificateurs ? La pochette de son second album semble au premier regard confirmer ce point de vue, parce qu’avec son esthétique arty-old-school elle semble annoncer une petite pop délicatement british. C’est au contraire fureur et énergie d’un power rock bien dans son époque qui transpirent tout au long des onze titres. Manipulation un peu aussi quand The Blinders nous annoncent une collection de fantasmes d’un psychopathe casanier, alors que si le dit psychopathe a bien l’esprit dérangé, ce n’est que très peu par de quelconques rêveries ou chimères, plutôt par la vision pessimiste d’un monde à la dérive, angoissant, perclus d’inégalités sociales et aux mains de fous armés. In fine, pas de manipulation donc, le rock est ici franc, bruyant et politique, sombre et lent, et il porte à merveilles la voix ravagée de Thomas Haywood. Derrière les lignes de guitares percutantes balancées par le chanteur, la section rythmique (Charlie McGough à la basse et Matthew Neale à la batterie) joue une partition obscure et dense. Au long de la première moitié de l’album le groupe martèle avec assurance un rock brut et efficace, suivant assez consciencieusement la ligne de son premier effort discographique « Columbia », comme pour éviter le piège de ce maudit second album. Mais après un « Interlude » où piano et voix lancinante viennent confronter le psychopathe à sa folie, comme si le combo lui-même se questionnait sur sa faculté à ôter ses propres œillères, l’univers musical se tord, se distend, gagne en créativité, en lyrisme. Offrant en forme d’apothéose l’incroyable « Black Glass », une progression cinématographique de plus de six minutes vers la fureur, croisant tempo trébuchant et frénésie lyrique. On navigue quelque part entre velours vénéneux façon Doors, uppercut stoogien et noirceur déglinguée des Bad Seeds, tout en offrant une voie bien personnelle. Avant de laisser la pression retomber dans un dernier souffle et une triste balade acoustique dylanienne « In This Decade », ou Haywood interroge sur l’avenir et l’amour ? Les œillères sont bel et bien tombées, mais l’âme n’a pas trouvé la paix pour autant.

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Note: 4.5/5