Tout commence le lundi 19 avril, grand jour d’ouverture des terrasses et des jauges réduites, avec un message Whatsapp qui dit « Hey tu viens ?? Ça va vite être complet. Réserve tes billets ! ». Au dessous du message je reçois le link pour un concert au PTR de l’Usine de Genève « Six Months of Sun (stoner) et Anak Toba (instrumental noise terror) ».

Mon cerveau est sidéré devant ce miracle et je scrute nerveusement l’annonce pour retrouver le mot « live streaming » caché sournoisement quelque part. Être devant une vraie scène, je n’y croyais plus.

Le 24 avril 2021 à l’Usine j’allais vivre mon premier concert de l’année, j’ai des papillons dans le ventre en attendant la confirmation de ma réservation.

Avant ça, mon dernier vrai concert date du 1er octobre 2020 (Colossus Fall au même endroit) quand j’ai goûté sans déception majeure à cet auparavant inconcevable, concept de « concert sans bar ». Je compte mes doigts : cela fait pile 6 mois et 24 jours. Hier comme aujourd’hui je prends un pied fou malgré tout et au-delà de toutes attentes. 

Des attentes, j’en ai pas des tonnes : retrouver des potes autour d’une scène et me prendre des décibels bien fort dans la tronche me paraît exaltant, mais rare par les temps qui courent. 

(c) Olivier Jaquet
Photos (c) Olivier Jaquet

La musique n’est pas composée autrement que pour la scène et c’est uniquement lorsqu’elle est jouée sur une scène et qu’elle se mélange à l’énergie de son public qu’elle prend tout son sens. Quand on est assis à 1,5 m distance l’énergie est moindre mais le fait d’être là quoi qu’il arrive crée une énergie nouvelle, subtile, inconnue jusque là, l’énergie du guerrier, du stoïque, du résilient. Dans les tripes on est lié aux 49 autres malgré les 1,5 m de distance, nous sommes les élus, les privilégiés, les premiers témoins de cette nouvelle manière d’être ensemble. Avec nous, ceux qui acceptent de s’aligner sur des chaises, le PTR n’est pas mort, son cœur bat plus doucement mais il bat toujours.

Quand j’ai reçu la confirmation de réservation par mail j’ai sauté de joie : J’étais redevenue la gamine de 15 ans a qui les parents donnent pour la première fois la permission de participer à une grande-messe du metal. Je redécouvre en moi l’émoi, la délectation de l’attente avec impatience, ce que je n’ai plus ressenti depuis le dernier Hellfest ou encore les très grands concerts comme Rammstein ou Metallica. Dans le monde d’avant les petits concerts des groupes locaux je les tenais pour acquis, tout comme boire un verre en terrasse. Mon cœur d’amoureuse de la scène grogne du plaisir des retrouvailles. Je redécouvre cette joie simple avec l’impression que je détiens quelque chose de précieux.

Dès l’entrée nous avons été accompagnés avec un grand sourire et une note d’élégance jusqu’à nos chaises respectives, on aurait pu se croire à l’opéra, c’était étrange et nouveau mais rien de désagréable. Nous étions des enfants qui (re)découvrent le monde et c’était notre « première fois » avec toute la magie que les premières fois amènent. Nous étions assis là au milieu d’une expérience unique à siroter les seules joies que le monde post-covid permet, mais nous étions présents et nous avons même hurlé et secoué les nuques sur nos chaises par moment. Le bar vide et les chaises espacées surprennent certes mais par un exercice de concentration nous sommes restés focus sur la joie de retrouver l’entre de l’Usine qui nous avait viscéralement manqué. Il en faut peu pour être ravi de croiser des visages familiers autour d’un live en pleine pandémie mondiale. Il en faut peu pour oublier tout le reste.

Les concerts en streaming ça va un moment et les conditions ne sont pas bien meilleures. Qui a déjà regardé un streaming avec plein de potes dans son salon, bière à la main et pogoter de surcroît ? Quitte à être assis sur une chaise au moins l’être dans une vraie salle de concert, devant une vraie scène avec des vrais musiciens qui font sonner des vrais instruments. 

Le bière nous a manqué : une grande pression bon marché qui donne des notes enchanteresses aux musiques extrêmes, la belle blonde qui fait partie de l’ADN du metalleux, c’était elle la grande absente de ce premier concert. Mais nous nous sommes débrouillé pour se réunir sur une terrasse juste avant le concert et trinquer à la santé des organisateurs et des musiciens qui n’ont pas attendu des conditions encore meilleures pour ouvrir les portes du PTR et nous offrir tout ce qui est dans leurs pouvoirs dès que l’occasion s’est présentée. 

Refuser d’y aller parce que « ce n’est plus comme avant » c’est se refuser un plaisir aussi minime soit-il et surtout c’est se désolidariser des programmateurs, des salles, des ingés son et des musiciens.

Hélas rien n’est plus comme avant : ni les boutiques, ni les marchés, ni les terrasses. Mais ça nous a pas empêché de nous ruer dans ces lieux dès que cela a été de nouveau possible. Sans râler et en respectant religieusement les nouvelles façons de faire « covid-friendly ». Pourquoi ne pas se ruer également dans les salles de concert aussitôt que leurs portes s’ouvrent ? Est-il concevable de se désolidariser de ceux qui bossent dur pour nous offrir ce bol d’oxygène en les laissant jouer devant des chaises vides ? 

Pas pour moi, pas pour nous : nous étions là et nous allons y retourner aussi tôt que possible et aussi fréquemment que nécessaire. [Madalina]


Donnons la parole aux protagonistes !

Six Month of Sun nous partage leur ressenti :

Présentez le groupe en quelques mots ?

On est Six Months Of Sun et on joue du rock/stoner/metal instrumental. Le groupe s’est formé il y a plus de 10 ans et c’est toujours les mêmes zinzins depuis le début : Christophe à la guitare, Daniel à la batterie et moi Cyril à la basse. On a sorti 2 albums : « And Water Flows » et plus récemment en 2018 « Below the Eternal Sky » enregistré chez Serge Morattel.

Racontez-nous un peu cette expérience que vous venez de vivre en jouant à l’Usine de Genève la semaine de la réouverture des concerts ?

Cela faisait super plaisir de pouvoir à nouveau jouer devant un public. L’équipe de PTR a vraiment fait en sorte de respecter intégralement les mesures.  Le plus étrange était plutôt de ne pas pouvoir se déplacer librement dans la salle et d’aller à la rencontre du public et des amis. Tout le monde a bien respecté les consignes, c’était important de montrer l’exemple.  Sinon sur scène, la vue de cette grande salle avec 50 personnes éparpillées jusqu’au fond était un peu déroutante. Mais une fois bien rentré dans notre concert, on n’y a plus trop pensé. Malgré ces contraintes, on a vraiment pris beaucoup de plaisir à ces deux soirées.

Est-ce que vous appréhendiez de jouer dans ces conditions avec un parterre de 50 personnes masquées et assises ?

On n’appréhendait pas spécialement, le hasard a fait qu’on a joué à l’Usine en octobre 2020 juste avant la fermeture pour la 2ème vague avec déjà pas mal de limitations à ce moment-là. Le vendredi était un peu plus compliqué, c’était le retour aux affaires pour tout le monde, et il y avait quelques mises au point à faire, surtout avec ces conditions inédites. Certains détails ont été améliorés par rapport aux retour des gens. Par exemple, le volume sonore a été baissé, car quand on est assis, on ne ressent pas le son de la même manière. Samedi, avec l’expérience de la veille, tout était mieux, et ça s’est ressenti sur scène et dans le public.

Que diriez-vous à un groupe qui ne veux pas jouer dans ces conditions ou à quelqu’un qui ne veux pas aller voir un concert assis ?

Si on recherche 100% de l’expérience habituelle, on ne peut être que déçu. Mais si on arrive à ne pas se focaliser sur les contraintes, on peut facilement retrouver du plaisir. C’est sûr que certains styles de groupes et de musiques sont moins adaptés à ces conditions, et on respecte les gens qui ne veulent pas jouer, et ne sont pas à l’aise avec toutes ses contraintes. Il faut aussi repenser son set live et son attitude pour garder le public captif. C’est plus proche du théâtre que du cinéma, car il n’y a pas de pop-corn. Pour le public, c’est la même chose. Ça peut ne pas être motivant mais cela vaut la peine d’essayer avec un esprit positif et ainsi soutenir la culture.

Quels sont les projets du groupe pour cette fin d’année ?

C’est assez simple, composer des nouveaux morceaux et préparer notre prochain album. Et remonter sur scène autant de fois qu’on aura l’occasion. 

Quelque chose à ajouter ?

Un grand merci aux personnes qui sont venues nous voir à l’Usine. On espère qu’elles ont eu autant de plaisir que nous. Merci au copains d’Anak Toba dont c’était le vernissage de leur très bon 1er album. A cause des restrictions, Ils n’ont malheureusement pas pu le vendre en salle pendant les soirées. Vous pouvez découvrir l’album sur les plateformes de streaming. Merci également au staff de PTR pour avoir eu le courage d’organiser des soirées dans ces conditions et au Daily Rock pour cet entretien. Vivement que cette pandémie se calme un peu, voire beaucoup. Courage et santé à tous !

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Au tour du deuxième groupe de la soirée de s’exprimer !

Qu’en pense Anak Toba ?

Présentez le groupe en quelques mots ?

On est un groupe de metal instrumental immersif qui s’est constitué à l’Usine en avril dernier au moment de la première fermeture des lieux culturels. Anak Toba est composé d’anciens/actuels membres d’Intercostal, Agonir, Incrust, Marechal et Mandroid of Krypton, ainsi que de -NuR- aux machines noise et Daniel Cousido pour les projections visuelles. Après 3 mois de travail on a enregistré notre premier LP « K-XIX » début juillet 2020 avec David Weber au Studio des Forces Motrices. L’album est produit par Urgence Disk Records. Damien Schmocker nous a beaucoup soutenu ! Malgré la situation sanitaire on a néanmoins pu faire quelques concerts publics pendant l’année 2020 (Rez, Ecurie, Urgence Disk) et on bosse depuis cet hiver à la composition du second LP.

Racontez-nous un peu cette expérience que vous venez de vivre en jouant à l’Usine la semaine de la réouverture des concerts.

C’est singulier. D’un côté il y a le plaisir de pouvoir s’exprimer à nouveau, re-partager un plateau avec d’autres musiciens, échanger avec les techniciens… De l’autre, il y a la réalité des contraintes sanitaires imposées aux organisateurs et leurs conséquences en ce qui concerne l’interaction musiciens/public. C’est une expérience particulière.

Est-ce que vous appréhendiez de jouer dans ces conditions avec un parterre de 50 personnes masquées et assises ?

Bien sûr, on savait que l’on allait se confronter à quelque chose de très différent. On avait à cœur de faire le maximum pour transmettre aux personnes qui se déplaceraient malgré cette barrière invisible créée par les distanciations sanitaires, les chaises, les masques… Sans parler du fait que l’on n’est pas monté sur scène depuis septembre dernier et que les deux concerts se sont organisés en une semaine. Intense. Mais bien qu’on soit très loin des conditions habituelles, on a pris du plaisir. On espère que ceux qui se sont déplacés aussi.

Que diriez-vous à un groupe qui ne veut pas jouer dans ces conditions ou quelqu’un qui ne veut pas aller voir un concert assis ?

Rien. Chaque avis est légitime sur ces questions. Il n’y a aucun intérêt à se forcer à faire des choses avec lesquelles on est pas d’accord. C’est une décision qui se prend au cas par cas, groupe par groupe.

Quels sont les projets du groupe pour cette fin d’année ?

Enregistrer et produire le second LP, mais on souhaite surtout pouvoir mettre à nouveau de l’essence dans le van et partir tourner !

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Recueillons finalement le témoignage d’Antoine Minne, programmateur PTR et initiateur de cette soirée si spéciale !

On a senti que PTR était au taquet pour reprendre les concerts dès l’annonce de la réouverture des concerts, vous étiez sur le pied de guerre ?

Disons qu’on était prêt. Depuis le début de l’année, nous avons pris le parti de la reprise des concerts dès qu’on nous donnerait le feu vert. Cela n’a pas été le cas début mars, et on a dû en annuler ou en reporter. Mais on s’est projeté sur ceux prévus dès le 19 avril, en espérant que le Conseil Fédéral nous autoriserait à les réaliser, ce qui a été le cas. Les équipes et les artistes étaient prévenus que les conditions seraient strictes, on n’espérait pas mieux que 50 personnes assises, distantes et masquées. Nous avons quand même été un peu surpris par cette bonne nouvelle, et très vite nous avons tout mis en place.

Vous êtes les premiers à avoir proposé un retour aux concerts, était-ce une question de principe ? 

Une de nos principales missions est de soutenir la scène locale, et de lui permettre de jouer devant du public. C’est l’essence d’un concert de rock. Donc, oui, c’est un principe, celui d’aller de l’avant . Nous organisons aussi des résidences pour les artistes locaux, et avons réalisé deux événements en streaming, en co-production avec des structures qui le souhaitaient, mais rétablir un lien physique entre les musiciens et le public a toujours été notre première volonté.

Est-ce que le bilan est satisfaisant, que ce soit au niveau organisationnel, pour les groupes et le public ? 

Dans un sens, oui, car 4 concerts ont eu lieu ce week end, avec les mêmes moyens habituels qu’en temps normal, en son, en lumière et en énergie. Les conditions étaient frustrantes, nous le savions tous, mais le public est venu, et le partage a eu lieu. On ne peut évidemment pas se satisfaire de ça, mais si on pense à tous ceux qui souffrent encore du Covid19, on mesure notre chance et notre plaisir d’avoir été là, ensemble, face à de bons groupes qui ont joué le jeu. Maintenant, on espère que les conditions seront meilleures dès la fin mai.

Y a-t-il quelque chose à changer ou améliorer pour les prochaines dates aux mêmes conditions ? 

Oui, c’est en cours de discussion entre les membres, et aussi avec les autorités sanitaires. Les expériences différentes de la semaine dernière seront analysées pour permettre, peut être, un meilleur confort pour les spectateurs. Mais c’est surtout la communication qui sera importante, il faut que les gens sachent que les artistes les attendent, ils sont tellement impatients de retrouver ces sensations scéniques que le public a une grande part à jouer dans ces retrouvailles.

Que diriez-vous aux personnes qui sont sceptiques et qui préfèrent attendre un retour aux conditions « normales » plutôt que venir à un concert « au rabais » ? 

On n’oblige personne à venir, mais les indécis doivent se dire qu’ils viennent avant tout voir les artistes. C’est un spectacle, plus qu’une soirée, et ce spectacle est la seule chose à offrir. Quand on aime un artiste, ou qu’on aime en découvrir, on ne doit pas trop réfléchir. La situation est tellement incertaine qu’on doit savoir profiter de ces moments de plaisir.

A quoi doit-on s’attendre ces prochaines semaines du côté PTR ?

Jusqu’au 26 Mai, jour des prochaines décisions du Conseil Fédéral, nous allons proposer 7 concerts dans les mêmes conditions :

  • Le 8 Mai avec Hillbilly Moon Explosion + The Elecmatics (rock n’ roll, 2 séances à 16h et 20h15) (plus d’infos)
  • Le 19 Mai avec Roy & The Devils Motorcycle + Bug Dylan (rock blues garage) (plus d’infos)
  • Les 20 et 21 Mai en co-production avec LE POP CLUB qui présentera 4 artistes pop du label (plus d’infos)
  • Le 27 Mai avec Don Aman + Montecharge (rock / metal) (plus d’infos)
  • Ainsi que 2 émissions Post Tenebras Club les dimanches 9 et 23 Mai, à 18h sur Radio Vostok

Pour un mois de reprise, c’est plutôt pas mal 🙂

Bravo à toute l’équipe pour ce moment curieux mais magique…

Merci d’être venu, et à la prochaine !

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Crédit photos : Olivier Jaquet