Pour comprendre The Future Bites de Steven Wilson, il faut comprendre le mal dont souffre le rock depuis les infâmes eighties. Cette décennie vide était une digestion douloureuse, une série d’étrons que la pop sortait douloureusement de ses intestins malades. Le festin des sixties/seventies fut trop copieux, et il faudra encore quelques années pour que le rock le digère. Le rocker moderne se sent comme un artiste à qui l’on demande de recouvrir le plafond de la chapelle sixtine avec une de ses œuvres, ou un auteur chargé d’ajouter un chapitre au mort à crédit de Céline. Et puis il y a le public, horde hypocrite prête à tout pour que le rock reste dans son coma.

Pour lui, l’album rock est une récréation, un exercice de style à écouter avant de revenir aux éternels Led Zeppelin, Beatles et autres Rolling Stones. Le Rock’n Roll devient Réac’n Roll, il se meurt dans ce passéisme paralysant. Steven Wilson fut d’abord un pur produit de ce traditionalisme rock. Aussi brillant soit-il, In Absentia n’est rien d’autre qu’une version actualisée de In the Court of the King Crimson, avec qui il partage le thème et les ambiances paranoïaques.

Wilson tenta une première fois de s’affranchir de ses modèles, en emmenant Porcupine Tree sur les rives du heavy metal. Mais notre homme était trop fin pour partir dans la même surenchère populo lyrique que ses amis d’Opeth, et des disques comme Fear of the Blank Planet sonnent comme Rush croisé avec le space rock seventies. Porcupine Tree est donc mort de cette impasse, et Wilson est parti chercher une nouvelle voie en solo. Mais cette homme est autant un fan, un auditeur et un collectionneur acharné, qu’un artiste, c’est d’ailleurs ce qui semble le freiner dans sa quête.

Symbole de son drame, The Raven That Refused to Sing est une superbe fresque genesienne et baroque, une œuvre intemporelle mais trop marquée par ses références pour révolutionner sa musique. Les hordes nostalgiques se sont jetées sur l’album, les mélodies de Wilson devenaient la flute faisant sortir les rats de leurs égouts passéistes. A peine quatre ans plus tard, le propriétaire de cette flûte enchantée a soudain changé de mélodie. Irrité par ce changement de décors, sa meute a lynché To The Bone, refusant à ce dernier le succès qu’il méritait tant.

Choqué par sa production ultra moderne, la meute n’a pas remarqué que To The Bone était le Dark Side of The Moon de son guide. C’était pourtant flagrant, la production très moderne cachant mal une nostalgie cosmique que n’aurait pas reniée le groupe de Roger Waters. Les réac’n rollers ont donc refusé de faire de To The Bone le Dark Side of The Moon Moderne. On aurait pu craindre que cet échec commercial n’incite son auteur à se tenir tranquille dans la cage du revival classique rock.

Pourquoi prendre des risques quand des dizaines de groupes vivotent pépère en ressassant les mêmes riffs poussiéreux ?

Heureusement, Steven Wilson est d’une autre trempe, et The Future Bites est sa déclaration d’insoumission à son public. Avec ce disque, il prend son époque à la gorge, met les mains dans merdier de la pop moderne, réservoir à étrons dont peut de rockers supportent l’odeur. En voulant transformer cet amas fétide en or, notre homme a créé une pierre philosophale imparfaite. Ses battement technoïdes sont encore trop proches des martellements robotiques lobotomisant les esprit faibles.

La rencontre entre cet écrin populaire et des touches de références enfin digérées a pourtant un certain charme. Steven Wilson n’a pas fait sauter la grotte à fossile chère aux réac’n rollers, son patrimoine rock-aïeux à juste changé de forme. Son électro méditative réinvente l’œuvre trop méconnue de Tangerine Dream, et son modernisme le plus froid roule sur les rails du Trans Europ Express de Kraftwerk. Et comment ne pas être ébloui par ces arpèges brillants comme des diamant fous ? Après la face cachée de la lune, voilà que la guitare de Wilson flirte avec Wish You Were Here.

Sans être un chef d’œuvre, The Future Bites montre enfin une alternative à l’acharnement thérapeutique que subit aujourd’hui le rock. Si notre homme continue dans cette voie, on peut espérer qu’il parvienne à réinventer un rock de moins en moins progressif.

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