Qui s’est rendu à un concert en Suisse l’a forcément vu : son appareil photo fermement attaché autour de son épaule, l’œil rieur. Le photographe Joseph Carlucci a conquis tous les cœurs, des festivals aux grands groupes comme Iron Maiden ou Metallica. Afin de célébrer ses 45ans de carrière, le photographe italien sort un énorme livre avec ses plus grands travaux. L’occasion pour nous de se retrouver entre passionnés de décibels et de grain.
A quel moment de ta vie tu as commencé à apprécier la musique en live ?
Quand j’étais gamin, je suivais les processions religieuses en Italie. J’attendais avec impatience les fêtes religieuses et je faisais le tour du village avec la fanfare qui accompagnait les processions. J’attendais spécialement ces fêtes pour ce moment précis. Je pense que j’ai commencé à apprécier la musique à partir de ce moment-là. La photo, c’était par passion de la musique, vers 1975. Je demandais à mes amis de venir avec moi à chaque concert, mais Berne, c’est quand-même un peu loin et au bout d’une dizaine de concert, ces personnes que j’invitais ont arrêté de venir. Un jour, je me suis dit « il faut même que je montre ce qu’ils loupent ! » J’ai acheté une caméra à l’époque pour faire des photos souvenirs, que je faisais depuis le public.
C’était simplement un hobby et une passion pour la musique. J’ai commencé comme ça et au bout d’un moment, je me suis fait une petite collection de négatifs, de photos des groupes que j’avais vu. J’ai commencé avec un cours d’art dramatique avec à l’époque un petit cube comme Flash pour mettre sur l’appareil. Évidemment, déjà à l’époque, on ne pouvait pas utiliser de flash. Mais j’ai commencé avec ça et après quelques années, j’ai passé avec mon premier appareil en argentique.
Avec 45 années d’expérience en tant que photographe, tu sors un premier livre photo, peux-tu nous en parler ?
Je viens de sortir ce bouquin de 266 pages, 45 ans de passion. Mes plus beaux souvenirs photographiques, que ce soit photos ou musicaux, je les partage avec tous les gens qui
aiment la musique. Ça a été un travail très, très, très dur. Pas à le faire, mais à choisir, à sélectionner quelles photos sélectionner.
A part ce livre, qu’est-ce que tu considères comme ton plus grand accomplissement en 45 ans de photo ?
Le coffret de Metallica « Ride the Lightning » m’a beaucoup marqué parce que c’est un aboutissement de quelque chose que j’avais commencé déjà il y a trente ans en arrière. Donc, j’ai été très… je n’aime pas le mot fier, mais j’étais fier. On m’a contacté pour faire une sélection de photos de Metallica en prévision de la sortie de cet album qui marque leurs 30 ans. J’ai eu la chance de photographier Metallica lors de leur première venue en Suisse à Zurich. Encore une fois, j’ai eu beaucoup de chance d’être là ce jour-là, de sympathiser avec les musiciens et j’ai eu le plaisir de partager quelques dates avec eux. Mais il y a également de nombreuses photos du Montreux Jazz, ou d’autres tournées sur lesquelles j’ai eu l’occasion de shooter.
Quel est ton pire souvenir en tant que photographe ?
Je n’ai pas beaucoup de mauvais souvenirs. J’ai vraiment eu la chance de vivre et de m’adapter à toutes les situations possibles et inimaginables. Je ne dirais pas que j’ai des
mauvais souvenirs, ou un concert en particulier. Il y en a juste un qui me vient à l’esprit, on m’a mis à la porte parce que j’ai fait une bêtise.
Tu as vécu l’âge d’or pour les photographes rock. Comment c’était pour toi ?
Oui, j’ai créé des liens avec plusieurs musiciens, dont celui qui me vient à l’esprit tout de suite, c’est Tom Araya. Je peux citer Nico McBrain, évidemment, puisque je l’ai rencontré à la toute première fois qu’il a rejoint Maiden. J’ai eu l’honneur d’être invité chez lui, on a vécu des choses incroyables. On fait une petite anecdote. Tout ce que je peux raconter, c’est que en huit ans de cette salade des gens, quand on est arrivé à Londres, c’est Nico McBrain qui était venu nous chercher à l’aéroport. Et ça, c’est un moment que je n’oublierai jamais. C’est lui qui nous a conduits à Donington. Pour la sortie du livre, il m’a fait une petite vidéo d’encouragement ; j’ai trouvé ça très, très touchant.
Tu as remarqué un changement de comportement des artistes sur scène avec l’arrivée des réseaux sociaux ?
La seule chose que je remarque que c’est qu’ils sont devenus plus stricts concernant les photos. Avant, on pourrait aller devant. Maintenant, on voit de plus en plus en arrière, limite depuis la régie. Beaucoup de groupes ont leur photographe
Tu préfères les salles sombres ou les scènes trop hautes ?
Une fois, j’étais à Francfort en Allemagne où j’avais une accréditation photo. C’était Ronnie James Dio qui jouait. Figure-toi que depuis le pit, je ne voyais pas les musiciens,
mais que le bout du nez de James Dio seulement quand il était un bord de la scène. C’est clair que ce n’est pas la même chose de photos de paysage, où tu peux choisir où te placer et se déplacer. La photo de concert, on est là pendant les trois chansons. Pas beaucoup de marge de marge de manœuvre. Certains artistes veulent qu’on se place à gauche. La photo de paysage est plus libre de prendre des décisions pour faire le jeu, les clichés par rapport à la lumière, par rapport à tout ça.
Un artiste que tu regrettes de ne pas avoir shooté ?
Je pense spécialement à Bob Marley. C’était dans les années 80 et malheureusement, je n’étais pas disponible ce jour-là. Dans le rock, dans le métal, je crois que je les ai tous vu,
sauf évidemment ceux qui restent à venir. Il y a quelqu’un que je n’ai pas vu, mais qui n’a rien à voir avec le metal. C’est Madonna.
Comment vois-tu le travail de photographe de concerts de nos jours ?
On vient de sortir de 18 mois sans photos de concerts, sans concerts, sans manifestations, rien du tout. Je ne suis même pas sûr qu’on pourra faire des interviews avec les artistes, se rencontrer dans un hôtel, faire une interview sympa, ça sera du streaming, ça sera par téléphone… je suis un peu paumé, moi, là-dedans. J’ai peur que ce ne soit plus comme avant. Je suis peut-être pessimiste. J’aimerais qu’il y ait des photographes qui fassent des photos pendant les 45 prochaines années. Moi, peut-être encore 20 si j’arrive, si c’est viable. C’est difficile. Sincèrement, c’était déjà difficile. Je viens de publier une photo aux États-Unis pour le web, je ne dirai pas le nom du groupe, mais c’est un énorme groupe. Eh bien, je dois facturer seulement 55$… Là je me dis « C’est viable ou c’est juste une passion?».
Quel conseil tu donnerais un jeune qui veut se lancer dans la photographie ?
Le conseil que je peux donner à un jeune qui commence dans la photographie, c’est qu’il fasse ça surtout par passion, qu’il fasse ce qu’il aime. Que ce soit dans les concerts, dans
les salles de spectacles de théâtre, dans les manifestations quelconques. Il ne faut pas s’attendre à être millionnaire ou devenir célèbre au bout de deux, trois ans. C’est la passion qui prime.
Tu as déjà un second livre en prévision ?
Ah non, moi, je suis très content déjà d’avoir fait le premier ! Et puis, comme il vient de sortir, donc, ça fait bientôt une semaine. Je verrai dans quelques années, si j’ai le matériel pour faire un deuxième. Il y a un petit espoir que celui-là plaise et qu’il y ait une demande pour un deuxième. Les photos, elles sont là. La passion aussi. Le reste va se décider un peu plus tard…
45 Years of Rock Photography by Joseph Carlucci
www.joseph-carlucci.com/shop.php
Interview parue dans le Daily Rock 138 – Décembre 2021 que vous pouvez commander ici