Pour célébrer leurs 40 ans de carrière, Indochine ont regroupé tous leurs singles dans deux albums intitulés Singles Collection (1981-2001) et Singles Collection (2001-2021). C’est pour parler des titres des années 2000 que j’ai rencontré Nicola Sirkis. Une entrevue pleine d’émotion avec d’un côté, un artiste qui raconte un bout de vie de son groupe mythique et de l’autre, une journaliste qui a connu et aimé Indochine justement avec ces titres-là.

Avec ces collections de singles, on se rend vraiment compte de l’étendue de votre carrière, comment vous avez marqué chaque décennie. Est-ce que quand on compose/enregistre des titres comme J’ai demandé à la lune ou Electrastar, on se dit tout de suite « ça va être un tube » ?

Nicola Sirkis : Non, parce qu’on ne peut pas le savoir avant. Ce qui est bien c’est que si ça nous plaît, on se dit que ça a le mérite d’être gravé et distribué. Et on a de la chance : ce qui nous plait plait aussi à beaucoup de gens. Après, il y a tellement de barrages à passer, comme les radios, il faut que ça plaise aux programmateurs par exemple. Il faut passer par beaucoup d’étapes. Mais nous, dans notre carrière, on a enregistré 500-600 projets et on en a publié 190, le reste on l’a mis a la poubelle. On ne sort que ce qu’on aime. J’ai demandé à la lune c’est un exemple assez incroyable parce qu’il n’y avait que moi qui sentait ce morceau. Le reste du groupe et mon entourage proche n’étaient pas très sûrs. Il se disaient « c’est quoi ce morceau ? » car c’était juste un guitare-voix. Je l’ai mis de côté et je l’ai ressorti, je me suis dit qu’il y avait un truc et qu’il fallait le travailler. On a fait 7 versions différentes pour arriver à ce qu’on connaît aujourd’hui. Et même pour la maison de disques, c’était la face B… Alors que c’était le titre de la renaissance totale d’Indochine !

Dans une interview il y a environ trois ans vous disiez que vous ne toucheriez jamais aux classiques car ça « choquerait trop les puristes ».

Ah bon j’ai dit ça ?! (rires)

Bon, c’était plutôt sur une question de réenregistrement de titres mais qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

L’orchestre d’Hanoï. On m’avait dit qu’il y avait un orchestre symphonique à l’opéra d’Hanoï qui était dirigé par un français et j’ai eu un flash. Y a un double challenge : Indochine à Hanoï, c’est quand même compliqué, on sait pas comment les autorités vont accepter, et nous voir avec 70 musiciens vietnamiens je trouvais que ça symbolisait une belle réconciliation car la France s’est très mal comportée dans cette région là… Bref, donc c’est ça qui m’a fait changer d’avis. Les versions sont magnifiques. La réalisatrice qui fait le film sur nous nous a connu à cause d’Hanoï. Elle avait 14 ans en 2007 et boom, elle tombe sur une pub du disque et elle accroche au groupe. Ça aurait pu être Obispo ou Christophe Maé, mais c’est tombé sur nous (rires) ! Ça a permis à une autre génération d’arriver. J’avais bien aimé aussi ce que Metallica avait fait. Après, je trouvais peut-être ça un peu pompeux mais finalement c’était bien. Il faut changer d’avis aussi, j’ai pas la vérité absolue (rires).

Donc dans cette collection, est-ce qu’il y a aussi des parties que vous avez réenregistrées ou c’était du 100% remastering ?

Non, en fait, c’est pas des best of, vraiment une collection des singles. Mais quand on enregistre dans les années 80, c’est pas du tout les mêmes méthodes qu’aujourd’hui et je ne voulais pas que les morceaux qui datent de 30 ou 40 ans palissent un peu du son d’aujourd’hui. Donc c’est comme qui on rénovait un tableau. C’est une restauration des morceaux. On nettoie un peu les poussières, mais on ne touche pas au son, à la structure et aux arrangements d’origine. On restaure pour qu’un morceau comme J’ai demandé à la lune soit à égalité avec 3ème sexe enregistré 30 ans avant. Par contre, on a fait des petits trucs rigolos comme des pianos-voix. Des fois on s’amuse comme ça quand on écrit une chanson avec Olivier. On se dit que si elle sonne en piano-voix, c’est qu’elle va tenir la route. Et c’est ce qui se passe généralement. Un fan m’a aussi envoyé des instrumentaux qu’il faisait au piano. J’ai trouvé ça super joli, c’est une autre façon d’écouter Indochine donc on a 5-6 petits morceaux qui sont des petits pianos sans voix. C’est une autre manière d’écouter la musique, on peut chanter par-dessus si on veut. C’est un peu comme ce que fait Agnès Obel.

C’est un super moyen de garder encore plus le contact avec le public !

J’ai vraiment ouvert ma porte à beaucoup de fans. Olivier était un fan du groupe. Je fonctionne à l’instinct.

Les petits pianos sans voix viennent donc d’un fan, comment avez-vous ensuite choisi les titres ?

C’était aléatoire, ce qui sonnait le mieux. Là, sur le volume II, il y a 16 ou 20 projets qui ont été enregistrés et on en a choisi 4-5. Ce qui sonne, parle et emballe le mieux. Le choix est technique.

Est-ce que c’était un moyen d’avoir des titres avec une ambiance plus intimiste face aux mastodontes que sont vos singles ?

Oui, j’aime bien avoir d’autre façons d’écouter le groupe. C’est un moyen de montrer que ce n’est pas seulement sur l’énergie, que les mélodies sont aussi intéressantes à écouter avec ce côté piano bar, comme si on était à Tokyo et qu’on écoutait un vieux pianiste jouer un vieux morceau d’Indochine. On entendrait les verres de whisky claquer… ça, ce sera dans les années 2040-2050, je ne serais plus là mais c’est une belle atmosphère de décadence.

Comment est-ce qu’on crée un espace cohérent pour ces titres qui viennent d’albums aux concepts bien différents ?

C’est tout le problème. J’avais été frappé de voir que chez beaucoup de gens, leurs seuls albums des Beatles étaient l’album rouge et l’album bleu, qui sont des compilations de singles. Mais pour moi les Beatles c’est des albums, des périodes. Nous on a aussi toujours fait comme ça. Quand on écrit, on a beaucoup de projets et ça devient un album, un concept. Un single, pour moi, c’est à chaque fois un drame parce que je me dis « mais pourquoi on sort celui-là alors que dans l’album il y a des chansons qui sont meilleures ? ». Je ne fonctionne pas trop en singles. Après, pour les 40 ans, je me suis dit que ce serait quand même pas mal. Je ne voulais pas faire une intégrale parce que les gens n’ont pas le temps d’écouter une intégrale de 190 morceaux. Donc c’était une sorte de carte d’identité. Monter qu’en 40 ans y a eu 56 singles et peut-être que ça amènera des gens à écouter les albums. Mais pour notre discographie, c’est vrai que c’était intéressant d’avoir notre album rouge et notre album bleu… Bon là en l’occurrence c’est des albums noirs (rires). Mais voilà, pour les 40 ans, c’est justifié de faire ça.

Quand vous avez ressorti des bandes ou les fichiers numériques, qu’avez-vous ressenti ?

Qu’il fallait sauver le patrimoine ! Il y a de moins en moins de magnétos et les bandes se détruisent chimiquement donc il faut numériser pour conserver une trace. Ce qui était marrant quand je suis allé en Allemagne chercher les bandes, c’était de retrouver les papiers, les tracklists. On retrouve des annotations, des taches… On se replongeait dans des archives qu’on va numériser pour le film, c’était assez beau.

Et du coup c’est aussi plein de souvenirs…

Oui des souvenirs aussi, mais après je ne suis pas trop dans la nostalgie. Déjà quand on a des enfants et qu’on voit qu’ils grandissent vite c’est dur donc s’il faut que ce soit comme ça aussi dans mon métier… (rires) J’’ai pas la nostalgie de quand j’étais aux débuts d’Indochine. Je trouve que ce que je vis au temps présent est incroyablement génial, c’est un tel luxe, une chance. Donc je trouve que je suis beaucoup mieux là dans Indochine que j’ai pu l’être avant où c’était toujours compliqué, sur le fil, etc. Mais par contre, c’est historique et je suis content de faire partie de cette histoire.

Quelle différence y a-t-il entre l’émotion que vous procure un titre en live et l’émotion quand vous travaillez dessus en studio ?

Je trouve que les morceaux sont vivants quand on les joue sur scène. Quand on les crée, c’est un peu de l’autocongratulation, de l’égoïsme, parce qu’on est là « ah ouais c’est bien ». Mais ça ne concerne pas grand-chose parce qu’il faut les partager les morceaux. Ils existent réellement sur scène. C’est dommage qu’on ne peut pas d’abord jouer des inédits, les travailler en live. On n’a pas encore trouvé la bonne méthode… En plus les morceaux s’améliorent en live !

Parce qu’on a la réaction du public en direct ?

Oui, et la force du son aussi !

Vous dites que vous n’est pas nostalgique mais, est-ce qu’en vous replongeant dans tous ces singles, en retravaillant dessus, ça vous a donné envie de vous rediriger vers certains styles ou certaines sonorités ou au contraire vous vous êtes dit « le synthé typique des années 80 reste dans les années 80 » ?

Ah non non. Il y a des sons comme certaines boîtes à rythmes qui ont vieilli mais le son vintage me plait bien. Après, aujourd’hui, Indochine c’est plus un groupe moderne qu’un groupe des années 80. On n’est pas du tout dans l’optique de retrouver le bon son, on a ce qu’il faut en magasin pour pouvoir faire autre chose. Y a pas du tout cette nostalgie des années 80. On a la chance d’avoir 40 ans d’existence, c’est déjà un rêve.

Dans ce volume des singles 2001-2021, est-ce qu’il y a des chansons qui ont pris un autre sens pour vous aujourd’hui ?

Oula… Certainement (rires). Par exemple College Boy était plus une chanson sur l’homophobie, en réaction à ce qui se passait en France avec le mariage pour tous. Le clip en a fait une autre version, sur l’homophobie, mais aussi sur le harcèlement scolaire. Beaucoup de gens pensent que ce que j’écris, c’est par rapport à mon frère… Peut-être inconsciemment. Mais il y a aussi d’autres personnes que j’aimerais revoir. Y a plein de sens. Par exemple dans Nos Célébrations, on peut penser que je raconte mon histoire par rapport à Indochine… Mais je parle très peu de moi, à l’inverse de certains de mes collègues. Je parle de faits, d’observations. Comme sur June avec l’anorexie, je ne dis pas « oh la petite fille elle est anorexique ça doit être difficile », je vais dans le concret. Mais Nos Célébrations, elle parle à tout le monde. J’étais chez un commerçant qui me dit « je suis en train de divorcer et votre chanson elle nous parle à tous les deux ». Donc l’interprétation, c’est à celui qui veut bien la faire et l’entendre.

En 85 vous sortiez 3ème sexe, considéré comme un « hymne à la tolérance sexuelle », en 2009 il y a eu Play Boy puis College Boy en 2013 qui traite encore d’une autre forme de harcèlement. Ce sont toujours des sujets d’actualité en 2020, comment vous analysez ça ?

Malheureusement, c’est comme le racisme. Je suis optimiste de voir tout cette jeunesse du monde entier se mobiliser contre le racisme dans des manifestations monstres et mixtes. Pour le réchauffement climatique aussi. On pensait cette jeunesse complétement scotchée aux smartphones et à TikTok mais elle se mobilise quand même fortement. Pour nous, le racisme, la tolérance, c’est un combat qu’on mène depuis 30, 40, 50 ans. Rien n’a changé, rien de change. L’esprit des gens change parce qu’on en parle. Il y a quand même une amélioration entre le sud des États-Unis du 18e et maintenant, parce qu’il est dénoncé, illégal. Comme le harcèlement, il existera toujours là mais il est illégal. Donc il y a des lois qui protègent. Je pense que l’être humain, l’esprit humain est très compliqué. Il peut être extraordinairement bon et extraordinairement mauvais, c’est très pervers. Est-ce qu’il faut vivre avec ? Je ne sais pas. Est-ce qu’on peut vivre que dans la bonté ou dans la lâcheté ? en tout cas, au bout du compte, c’est toujours le bon qui va l’emporter. Le méchant perdra toujours, même s’il a le vent en poupe. Des démocraties ont élu des gens comme Hitler ou Mussolini et elles élisent des gens comme Bolsonaro, Trump ou Boris Johnson. C’est le gros problème de la démocratie. Elles renversent tout ça ensuite mais à quel prix ? On change de débat, mais je pense que les démocraties ne s’arment pas assez contre le mensonge, le mauvais esprit, contre ces gens extrêmement abjects, surtout dans la période actuelle. Donc le constat de ce combat c’est que je pense que le bon l’emportera toujours mais on en paiera cher le prix. Comme pour les femmes, quand on a fait Sufragettes BB dans 13 et quand on a fait le duo avec Asia Argento, on n’était pas encore dans #metoo. Et aujourd’hui le patriarcat a encore gagné un peu, il y a encore des artistes qui sont protégés mais le combat continue.

J’ai envie de terminer sur un sujet qui fait partie de l’identité d’Indochine aujourd’hui. Vous avez dit un jour que J’ai demandé à la lune est un titre transgénérationnel. Vous pensez que c’est grâce à ce titre qu’aujourd’hui c’est des familles entières qu’on voit à vos concerts ?

Ça a été une ouverture de porte. Le rock est assez clivant, c’est-à-dire que les parents n’aiment pas ce que les enfants écoutent et vice-versa. Y a peu d’artistes qui arrivent à réunir des familles entières et de toutes classes sociales. Nous on y arrive parce que les parents sont fiers de faire écouter ça a leurs enfants et les enfants se disent « ah ouais c’est pas si mal » et vice-versa. Ça a été le passeport. Ça a permis plein d’ouvertures comme La Vie Est Belle. Ce titre a parlé à plein de gens qui subissaient la maladie du cancer par exemple ou à des enfants qui avaient perdu leurs parents. C’est très fédérateur. Et tout ça s’est fait sans calcul, c’était spontané. On ne sent pas que c’est un produit fabriqué. La sincérité prédomine dans l’histoire d’Indochine et c’est peut-être ça qui l’emporte.