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Le jeu vidéo, c’est trendy. C’est dans l’air du temps. Tu ne caches même plus ta manette pour accueillir une belle blonde. L’artefact que tu rangeais autrefois nerveusement comme une boite de Kleenex suspecte trône à présent majestueusement sur ta table basse.

S’il y a encore 10 ans, un trentenaire pad à la main était traité avec la plus circonspecte des condescendances, la petite joie de la subversion sociale appartient au passé. Imagine, même TF1 n’ose plus fustiger la vacuité de notre loisir dégénéré favori avec sa fougue d’antan. La ménagère tirée d’un film des années 60 elle-même s’en branle, elle veut juste finir son niveau de Candy Crush 18.

Pour peu que tu t’intéresses au sujet de manière sensiblement plus assidue que le fan de Clash of Clans lambda, il est un jeu que tu n’as pu manquer : Dark Souls III. Au sommet de charts traditionnellement dominés par la légendaire beaufitude de FIFA et Call Of Duty, voilà qu’un OVNI venu du Japon se tape l’incruste à coup d’épée bâtarde.

Pour le cas où tu débarquerais à l’improviste dans cette charmante sauterie, laisse-nous te faire un rapide cours de rattrapage. Née du relativement confidentiel Demon’s Souls, cette série s’est fait connaitre sur un aspect central : la difficulté. Fini les jeux pour assistés et les trophées du type ‘bravo, t’as trouvé ta bite pour pisser’. Dès la manette en main, tu vas t’en prendre plein la gueule au point que c’en est presque devenu un argument marketing. T’as l’habitude de bourriner comme un gros sale jusqu’au prochain checkpoint que tu finiras bien par avoir à l’usure ? Tu t’es trompé d’adresse…

Ce titre, tu vas devoir l’apprendre. Au sens premier. Tu le comprendras vite en essayant de parcourir en droite ligne le tutoriel. C’est pas parce qu’on est en train de t’expliquer les commandes qu’on va te faire des cadeaux. Ce monde à la direction artistique noire sans jamais sombrer dans les clichés gogoths s’aborde avec respect. Le moindre squelette avec son épée rouillée te la plantera joyeusement dans la carotide pour peu que tu progresses garde baissée. Essaie, échoue, recommence. Après plusieurs morts violentes, le joueur qui persiste en devient méconnaissable, évoluant avec aisance, anticipant les coups et faisant pleuvoir des ripostes imparables. Là est l’esthétique du jeu. Dans cette transe rationnelle et analytique où tu plonges en comprenant quoi faire.

Imagine donc la place particulière que ces softs ont prise spontanément dans le coeur du gamer plus ou moins trentenaire. On lui a fourni, en plus d’une véritable bombe ludique, un moyen de se distinguer socialement de ces pauvres abrutis de Kevins. Eux inventaient les excuses les plus créatives pour justifier leur méconnaissance DU jeu pour les bonhommes, les vrais. Que nos lectrices nous pardonnent, mais la démographie des adeptes de ce temple de la souffrance les fait briller par leur absence (venez, c’est cool, et on a des cookies).

Mais pourquoi tant de passion autour d’un jeu comme affirmation du statut du joueur, me diras-tu ? Le monde machiste des pixels interactifs aurait-il trouvé son symbole phallique suprême ? Oui, mais pas exclusivement. Aux nostalgiques de la difficulté frustrante des hits des années 80 et 90 s’est adjointe une frange de gamers suffisamment importante pour propulser le dernier Souls en tête des ventes. Nul doute que d’aucun ont simplement eu la curiosité de ‘s’y frotter’, mais ceux-là ne font pas tout.

Considérons un instant le jeu vidéo dans son ensemble, et laissons volontairement de côté les prostituées à micro-paiements qui sévissent actuellement sur ton téléphone préféré. Voilà un peu moins de 10 ans que la scène ‘indé’ a explosé, clivant un peu hâtivement la production entre ‘On a pas de pétrole, mais on a des idées’ et ‘cette année, on va rajouter une arme exclusive à débloquer, on s’en fout, ça se vend. ‘

D’ailleurs, on la leur fait pas, aux éditeurs, et peu à peu, des studios indépendant vendent leurs softs et même leur boite contre plus de pognon qu’ils n’en avaient jamais vu. Peut-être y a-t-il là un message à retenir d’un tel succès. Ni vraiment indé, ni vraiment blockbuster, et pourtant au sommet. Né des rêveries de hippies voilà une bonne quarantaine d’année, un nouveau média atteint son rythme de croisière. Entre jeux d’auteurs, divertissement décérébrés et succès salués par les uns comme par les autres, l’offre s’est simplement étoffée. Peut-être aussi qu’après tout, Kevin est pas si con, et que les gars qui d’ordinaire lui vendent de la merde vont finir par le comprendre. En fin de compte, eux se foutent bien de ce qu’ils vendent, tant qu’ils vendent.

Peut-être aussi que si Dark Souls jouit d’un tel succès, c’est simplement pour ce qu’il te fait, à toi, individuel gamer. Il redéfini les modalités de l’échec. Si l’on a tout fait pendant des années pour atténuer, voire éviter, le ‘game over’ frustrant et anxiogène, pourquoi s’emmerder avec un jeu qui maltraite tant son public ? Simplement parce qu’à vaincre sans péril, l’on triomphe sans gloire, comme disait un mec qui avait oublié d’être con. La répétitivité des roustes que tu te prends augmente d’autant la gloire de tes succès. Il a fallu qu’une série renverse la donne avec une magnificence inattendue pour rappeler à une industrie ce qui sonne pourtant comme un lieu commun. Cet impact, cette profondeur du message implicite font précisément la différence entre un divertissement et un oeuvre au sens artistique du terme. Oui, le jeu vidéo a grandi. Il pose des questions, produit des affirmations sur le monde qui le le produit, sur son public, et sur lui-même.

Le blockbuster, l’OVNI, le petit jeu indé dans lequel tu joues un bon vieux douanier soviétique avancent main dans la main pour faire la richesse d’une scène mature et complète, qu’on l’apprécie ou pas. Peut-être est-ce même l’art le plus complet et le plus abouti car il rompt avec la posture passive du spectateur en l’invitant à créer à une échelle encore inégalée.

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