Personnage à l’activité débordante, le verbe s’ennuyer ne fait pas parti de son vocabulaire ! A la fois photographe, auteur de BD, de fanzine, Olivier Jaquet, dit « Olive », est omniprésent au cœur du milieu culturel genevois. Vous l’avez d’ailleurs sans doute croisé au détour d’une soirée à l’Usine, armé de son appareil photo, immortalisant des instants de vie qui peuvent nous paraître banals mais qui prennent encore davantage de sens en cette période de restriction où pouvoir distinguer un sourire entre deux masques est devenu une denrée rare…les artistes sur scène bien sûr mais aussi les rires entre amis, les pogos au cours d’un concert mémorable, tant de moments qui nous manquent cruellement et qu’Olive se faisait un plaisir de capturer avec l’adresse et le talent qu’on lui connait et qui le caractérise.

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Comment vas-tu, comment gères-tu cette période difficile ?
Je n’ai pas trop de problèmes car je continue de bosser, donc pas de problème de fric et je ne risque pas de me faire virer de mon appartement comme c’est peut-être le cas de certaines personnes. Mais c’est sûr que se lever le matin, partir au taf, bosser la journée, rentrer, regarder Youtube et dormir, j’avais pas signé pour ça !

Justement, cette période t’inspire-t-elle artistiquement ?
Niveau photo j’en fais quasiment pas vu que presque toutes les photos que je fais, mise à part quelques essais expérimentaux, sont des photos de scène. Je me tourne plutôt vers la BD, je dessine en ce moment et j’ai commencé à écrire une pièce de théâtre aussi. On essaye quand même de s’occuper malgré tout mais c’est clair que la motivation n’est pas la même que lorsqu’il y avait la fête tous les soirs…

As-tu un artiste référence en particulier qui t’inspire dans ton travail ?
Je tiens un album sur Facebook où je mets tous les photographes que je découvre. Je crois qu’il y en a plus d’une centaine mais là, comme ça, j’en ai pas un qui me vient spécialement à l’esprit.

La Makhno, Genève ©Olivier Jaquet

Es-tu autodidacte?
Niveau dessin et graphisme, je suis autodidacte. J’ai quand-même fais des cours de photographie à l’IFAGE où j’en suis sorti avec un diplôme qui a autant de valeur sur le marché de l’emploi qu’un coupon de papier toilette, mais qui m’a quand-même permis de découvrir la technique. Après cela j’ai beaucoup, beaucoup pratiqué. Quand le Covid n’était pas là je pratiquais tous les jours.

Quelle est la touche Olivier Jaquet ?
J’aime bien dire que je vais au plus proche du concert, ça m’a toujours fait marrer de voir des photographes de scène qui vont tout derrière avec un monstre téléobjectif et qui se mettent à l’écart de la foule, hors du truc. Moi en général je suis au premier rang avec mon grand angle. J’ai d’ailleurs une anecdote marrante d’une personne m’ayant rapporté des propos que quelqu’un avait tenu à mon égard en disant que l’on m’invitait au concert pour prendre des photos de la scène mais que je finissais toujours par prendre 10000 photos de punks en train de vomir dans la rue d’à côté(rires). Une critique négative que j’ai pris super bien et que je compte mettre dans mon CV au prochain bouquin que je sortirai car je trouve ça cool. Effectivement je fais beaucoup de photos, pas uniquement des gens sur scène mais aussi des gens au bar, des gens qui bossent, des gens dans la foule etc.

Comment procèdes-tu lors d’une séance photo ?
A une époque j’avais du matériel assez couteux, assez pro et assez technique. Maintenant j’ai un appareil plutôt moyen de gamme avec un objectif correct, mais c’est un appareil qui a l’avantage d’être super pratique et léger. Je suis pas sûr d’avoir vraiment une démarche mais pour moi ce n’est pas vraiment l’appareil qui est important c’est plutôt l’endroit où l’on se trouve et la façon dont on fait les photos.

Peut-on parler aussi de tes BD, tu viens de sortir  »Lun4 ».
J’avais déjà fais deux albums avec un scénariste (Ivan). Ça s’appelait « le Renard » et cela racontait l’histoire d’un futur où il n’y avait plus de concerts et de bars (rires). J’aurais bien voulu qu’on se trompe avec cette histoire même si dans le cas de l’album il s’agissait d’une dictature et non d’un virus, même si ça change pas grand chose finalement. Ça avait rencontré beaucoup de succès à l’époque car il y avait eu la fermeture des squats donc beaucoup de gens avaient besoins d’un petit coup pour se remonter le moral. Cette BD était accompagnée d’un CD de 18 titres de 18 groupes genevois pour une compil’ assez représentative de la scène du moment. Les gens ayant bien aimé ce personnage, on avait fait un deuxième album en 2012. Mon scénariste a ensuite fait une BD tout seul y compris le dessin il y a deux ans, cette BD s’appelle « Merlock ». En miroir à cela j’ai fais ma propre BD pour laquelle j’ai écris moi-même pour la première fois le scénario et ça a donné « Lun4 ». L’histoire est du type science-fiction humoristique dans le style des vieux fanzines et magazines rock des années 70-80 comme Métal Hurlant ou d’autres. C’est l’histoire d’une photographe qui doit aller faire un reportage sur Mars. Le scénario se passe dans le futur et les humains ont déjà colonisé d’autres planètes. Le principal frein à son activité est qu’elle a une énorme gueule de bois (rires) ceci étant bien sûr inspiré de pure imagination et non de faits réels… Cette BD est sorti durant le Covid, il n’y a eu aucun vernissage de sérieux, c’était surtout de la vente de main à main ou en ligne, mais ça a quand même eu pas mal de succès puisque je viens de commander un nouveau tirage qui arrive bientôt. J’ai vendu les 200 premiers en quelques mois. A côté de ça je suis aussi écrivain et j’ai publié un bouquin aux éditions Gore des Alpes qui est une maison d’édition valaisanne. Je suis le seul Genevois à avoir été publié pour l’instant. On dit de moi que je suis hyperactif mais comme le dit si bien Phillippe Battaglia qui est écrivain et l’un des éditeurs de cette maison d’édition « C’est pas moi qui suis speed, c’est vous tous qui êtes des branleurs. »(rires)

Tu fais partie de la puce Nano-édition : en quoi consiste cette société et quel est ton rôle en son sein ?
Oui, c’est une association. Au début c’était un fanzine avec une septantaine d’auteurs, aussi bien des dessinateurs que des écrivains etc. C’est pas moi qui l’ai créée : Ivan mon scénariste était le fondateur, je suis arrivé dans l’équipe après coup. Ce journal nous a permis de faire l’expérience du stand dans les festivals, de comparer les imprimeurs, de voir quels étaient les problèmes potentiels etc. Quand le fanzine a commencé a ne plus trop se faire, c’était la période durant laquelle on a sorti notre première BD, et ensuite publié d’autres personnes. Actuellement on est plus que deux de l’équipe de base, donc tout se fait à deux au niveau des choix éditoriaux etc. On vend surtout dans les festivals et salons du livre et en général on a quelques potes, des auteurs, qui viennent nous filer un coup de main. C’est complètement auto-géré, on a aucune subvention. Pendant des années on était vraiment dans une monstre dèche, on devait dormir dans la bagnole, on bouffait des sandwichs et avec le temps les ventes nous ont permis de payer de temps en temps le train ou l’hôtel donc c’est assez cool. On a vraiment jamais gagné un franc mais par contre on vit un peu mieux.

Du coup tu réalises également des fanzines, d’où est venu cette envie ?
Le fanzine que je fais s’intitule « Debout les braves ». Avant ça j’avais sorti un gros bouquin qui s’appelle « Epistaxis » en 2014 et qui retraçait 10 ans d’archives photos. C’était intéressant car il y avait tout le début de quand j’étais ado, de quand je commençais à sortir et qu’il y avait tous les squats, puis tout le passage où ça se casse la gueule, ce moment de creux avec la destruction de l’Artamis, et enfin toute la reprise après avec des nouveaux endroits, avec des bars qui commencent à monter des scènes plus officielles, vers 2014. Dès la sortie du bouquin j’ai commencé à faire « Debout les braves ». Ce fanzine est en quelques sortes la suite du bouquin, des chapitres supplémentaires qui continuent l’histoire d’origine. Je pense faire un nouveau livre en 2024 avec les 10 ans d’après.

« Debout les braves » n’est pas axé uniquement sur les concerts? Il y a un peu de tout ?
Le sous-titre de « Debout les braves » est « vision de la scène genevoise et d’ailleurs », bon la  »scène », ça veut rien dire (rires), ça peut être la scène musicale, il y a du théâtre des fois, il y a aussi un peu d’expositions, des trucs comme ça. Il y a des périodes où je fais des critiques de disques ou de bouquins, ça dépend s’il y a matière ou pas. Des fois je fais un peu de politique mais j’essaye d’éviter, c’est pas trop le but de polémiquer. Mon but premier et de montrer qu’il y a plein de trucs à faire car il n’y a rien de plus détestable pour moi que les gens qui disent « c’était mieux avant, il n’y a rien à faire, ville morte… » même si je dois avouer que c’est dur en ce moment de lutter pour dire que ce n’est pas une ville morte(rires).

A côté de cela tu es très actif sur les réseaux sociaux : tu proposes par exemple chaque jour des activités à suivre sur Genève.
Je suis surtout sur Facebook, c’est vraiment la principale plateforme sur laquelle je fais des trucs, autant des trucs sérieux comme la vente de mes bouquins mais aussi des conneries, des gags… Je ne sais pas si je l’utilise d’une bonne façon, car j’ajoute que des potes du coup j’ai pas une visibilité incroyable… En même temps j’ai l’impression que Facebook est en train de se casser la gueule et que tout le monde est en train se barrer donc… Là je me suis inscrit sur Instagram, mais j’aime pas trop la façon dont ça fonctionne, finalement j’y vais un peu à contrecœur. Effectivement sur Facebook je fais tous les matins l’agenda de ce qu’il y a faire, à la base je le faisais pour moi. Quand j’avais un agenda papier je notais tous les trucs et j’essayais toujours d’aller à tous les événements, à toutes les expos et tous les concerts, tous les vernissages… De temps en temps il y avait des gens qui savaient que je faisais ça et me demandaient ce qu’il y avait à faire ce soir. Finalement je me suis dis que j’allais mettre là où je comptais aller, comme ça les gens n’auront qu’à me suivre s’ils me cherchent. Je ne mets jamais des choses auxquelles je n’irais pas. C’est complètement subjectif, je ne met pas des soirées de musique qui m’intéressent pas ou des lieux qui m’intéressent pas. Finalement c’est surtout des endroits dont j’ai envie de faire de la promo ou aller voir des groupes que j’aime bien.

Avec la période actuelle, arrives-tu toujours à trouver des trucs à ajouter à l’agenda?
Il y avait le Blackmovie festival il y a pas longtemps donc je me suis un peu rattrapé en faisant ma sélection de films et puis il y a eu tout le festival de streaming live d’Urgence Disk, le Ghost festival, ça m’a permis de voir un peu de live et d’alimenter l’agenda… Le streaming est une bonne opportunité pour se mettre des choses sous la dent, mais ça ne remplacera jamais un concert avec du public. Il manque le lien social. Quelque part, voir un mauvais concert avec des gens que t’aimes bien est mieux que de voir un bon concert tout seul. Le streaming c’est quand même voir des concerts tout seul, où est le plaisir?

Ton agenda est devenu une référence justement, comment l’expliques-tu et d’où tiens-tu tous tes renseignements?
C’est sûr que c’est un peu une fierté. Il arrive que des gens me disent qu’ils jouent avec leur groupe samedi et si ça me dirait de le mettre dans mon agenda. En ce qui concerne les renseignements, je regarde un peu partout mais si il y a quelqu’un à qui on doit rendre un immense hommage c’est Mitch de la Décadanse qui fait la même chose que moi, mais à beaucoup plus grande échelle. Au début, il se débrouillait tout seul à faire le tour de la ville, à regarder toutes les affiches, à prendre les flyers dans les bars et à rentrer toutes ces infos manuellement. C’est une de mes principales sources, mais sinon je suis abonné à plein de newsletters de salles et j’utilise énormément Facebook. Je prend le temps d’éplucher chaque semaine toutes ces infos et de prendre ce qui est intéressant, c’est quand-même du boulot, je mériterais qu’on m’offre quelques bières en plus durant les soirées (rires). Pour résumer, l’agenda est un petit peu la version before de ce qui se passe dans cette ville et « Debout les braves » est la version after.

Sur quoi travailles-tu actuellement et quels sont tes projets à venir ?
J’ai écrit une espèce de pièce de théâtre qui est faite pour être jouée par un seul comédien. C’est actuellement en relecture et en phase d’amélioration, on verra ensuite si je trouve quelqu’un d’intéressé pour la jouer, sinon je la transformerai en bouquin ou je trouverai un autre truc. Dans les projets un peu palpables, il y a aussi cette histoire de bouquin en 2024 que je vais devoir commencer à mettre en page avant 2024, car ça va être beaucoup de boulot… Sur « Epistaxis  » de 2014 il y avait autour des 800 photos sur 10 ans, là il risque d’y en avoir beaucoup plus (rires). Comme autre projet, je peux essayer de faire de la magie noire pour que la fête recommence (rires) et j’espère sincèrement qu’une fois que cette période sera derrière nous, les gens se motiveront pour sortir voir des concerts et se bouger.

Pour nos fans de musique, des coups de coeur personnels ou des valeurs sûres à nous recommander ?
En général, je n’achète pas de musique des groupes que j’ai pas vu en live, j’achète les disques durant les concerts. Là il y a quand-même un truc sur lequel je suis tombé et je crois que pour la première fois de ma vie j’ai acheté un CD sur Bandcamp. C’est un groupe de hard rock contemporain français qui s’appelle Animalize et l’album s’intitule « Tapes from the Crypt ». Ils ont fait un clip en style VHS et pantalons moulants, cheveux longs un peu en décalage, j’ai donc acheté leur album et c’est vraiment sympa. Sinon j’ai découvert un groupe de filles qui s’appellent les Vulves Assassines, c’est un peu du rap-hardcore, je crois qu’elles viennent du sud de la France et tous leurs albums sont gratuits sur leur site, j’ai donc téléchargé leur dernier album.

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