Pour vernir son somptueux album « Odd Love » Coilguns avait choisi ce samedi 10 mai de partager la scène de Fri-son à Fribourg avec les lavallois de Birds in Row. Autant choix du cœur pour une formation avec qui ils avaient aimé partager la scène lors d’une tournée en 2018 et le studio pour un EP « You and I in the Gap » sorti voici une année, que choix de l’énergie, tant les deux formations fusionnent à merveille hardcore, noise ou rock.
Et la soirée n’a pas laissé place à l’hésitation. Hormis un regret face à quelques imprécisions sonores et techniques ayant émaillé les concerts, de la première à la dernière note les groupes ont posé leurs tripes sur la scène et placé leur âme et leur cœur entre les mains d’un public conquis.
Rage et urgence sont invariablement les dénominateurs communs de la musique de Birds in Row, pourtant avec les premières mesures presque en retenue de « Water Wings », titre inaugural de leur album « Gris Klein », le trio a d’emblée affiché une volonté de proposer le spectre le plus large possible de ses compositions. Il y avait tout à la fois cette déferlante sonique, cette tension, ces moments de suspension et un chant qui martèle les paroles. Il y a eu le tumulte de « Nympheas » ou la douceur acidulée de « Trompe l’œil », ils ont osé la guitare nue et rêche de « 15-38 » et la rythmique survitaminée de « Confettis ». Surtout il y avait une sincère quête de partage, toujours cette volonté de faire face tous ensemble à la peur d’un monde qui se « casse la gueule », sans « faire chier les autres » dixit Bart Hirigoyen. Le chanteur avait beau se cacher derrière une tignasse abondante, porté par la basse tonitruante de Quentin Sauvé et la frappe de plus en plus féroce de Joris Saidani, le trio est passé comme à son habitude de l’ombre à la lumière, a balancé entre noir et blanc, et livré un set dantesque.
Tout juste le temps de laisser les esprits se reprendre et le regret de ne pouvoir écouter une performance commune des deux formations s’estomper, voilà que le roulement de cymbales de « Bandwagoning » plongeait l’audience dans le chaudron Coilguns. Et là où Louis Jucker osait avouer que pour l’occasion ils avaient l’impression de se sentir plus grand que d’habitude, mais en même temps tout petits, on sentait surtout une immense joie de présenter leur album en terre romande, qui plus est dans une salle à la mythique histoire. Et comme le quartet tourne ce répertoire sur scène depuis quelques temps c’est une impression de maîtrise qui s’impose à chaque instant. Déluge de feu quand Luc Hess libère la rythmique de « Placeholders ». Intros mises en suspension et noirceur surlignée comme sur « Generic Skincare ». Jona Nido qui fait valser les cordes de ses guitares, les maltraites, saute rugit. Kevin Galand qui déconstruit les sons et impose une basse colossale. Et tout devant, Louis Jucker qui parcourt la scène sans relâche, qui fait corps avec son micro, plonge dans le public, le câline, le harangue, le pousse à libérer sa propre énergie. Avant de laisser parler son immense sensibilité quand il entame seul les premières mesures de « The Wind to Wash the Pain ». Avec sa set-liste faisant naturellement la part belle à « Odd Love », hormis la ruade « Manicheans » décalée et intelligemment chaotique, les Chaux-de-Fonniers pouvaient quitter la scène après un « Bunker Vaults » dense et intense, l’émotion, la fierté, le bonheur commun, dessinés sur les visages.
Puis comme toute belle histoire se doit de ne pas s’arrêter là, la dernière ligne de la set-liste « Youpi♥ » cachait une double décharge d’énergie finale. Et l’enchaînement de « Millenials » et « Earthians », tout en libération, anarchie et avalanche rythmique, de conclure en apothéose, par une ultime frappe lourde, un concert colossal. [Yves Peyrollaz]
