Avant de commencer l’entretien, armée d’une bouteille de rosé, je gravis quatre étages d’une maison de maître bruxelloise, celle des parents d’Axel, le chanteur, et de « plein d’autres locataires » encombrée de sculptures, objets d’art expressionnistes, de bric à brac façon marché aux puces, de tableaux rappelant les performances d’Olivier de Sagazan et l’art de Francis Bacon. Les toiles chamarrées sont de la mère d’Axel, qui les a peintes en les écoutant jouer. Dans l’air flotte l’odeur douceâtre de la gouache et de l’inspiration.

Le local de répète est en mansarde, il y fait « douf » (« chaud, étouffant », en dialecte belge) l’été, c’est jonché de props « les trucs qu’on utilise sur scène » et de tapis. Mathieu le guitariste fume à travers la fenêtre et me raconte qu’un jour un voisin en terrasse leur faisait des signes enjoués en hurlant, et c’est après 5 minutes qu’ils ont discerné deux gros majeurs brandis vers eux. « On faisait visiblement trop de bruit ».

Les souvenirs fusent, le groupe a débuté en 2009 : « en genre 2013 on a logé chez ton pote à Amsterdam on l’a même pas vu, on n’a même pas dormi là en fait » mais on s’est croisés avec toi (ndlr : Krisztina, la reporter) dans un bar – le Waterhole, tenu par les Hells Angels – où Axel était monté sur scène pour dire au groupe de se la fermer.

On commence doucement l’interview sur fond musical – playlist avec les Viagra Boys, Fidlar – après une brève suggestion d’Axel de faire ça bien.

Un mec a fait une chro du groupe et les a appelés « farfelus », nous avons donc banni ce mot de l’entretien, avons parlé scène musicale belge et avons clôturé en écoutant Daniel Norgreen.

Donne-nous une anecdote, une qualité de ton pote en tant que musicien.
Axel : Il amène beaucoup de compos Mathieu. Beaucoup de nos plans de base viennent de la guitare, et après on ajoute de la basse, du chant, du sax. Il fait des trucs médiévaux. Après je pense que c’est les seules qualités de Mathieu !
Mathieu : Axel prend beaucoup de place sur scène, il a une présence de dingue, il chante bien. J’adore faire de la scène mais il fait comme un peu mur, du coup on ne se sent pas exposé, t’as l’impression que les gens te voient moins.
Axel : on devrait mettre un rideau ce serait comique, à un moment on l’ouvre, et tu es à poil !
Mathieu : On est les deux seuls sans formation musicale dans le groupe, du coup on est solidaires dans la médiocrité. (rires)

Vous vous êtes connus pour la plupart au collège mais pas tous…
Axel : Math et moi on est les deux seuls depuis le début (2009), avant il y avait Antoine – qui n’est pas mort –  ensuite Jacob est arrivé et Max. L’élément nouveau c’est Guich (ex membre d’Opmoc – Groupe soul et r’n’b belge – fan de punk), le cuivre, qui apporte un truc mélodique qui ressort mieux, qui marque des choses présentes dans les morceaux surtout en live où c’est parfois un brouhaha. Il a fait trois instruments dans le groupe. Tout le monde tourne un peu sauf Math et moi (rires). Le côté cuivre c’est cool, un peu à la Sonics.
Mathieu : Ouais ou les Viagra Boys.

Est-ce que Spout big space est un groupe qui collabore avec plusieurs musiciens extérieurs ?Mathieu : C’est cool comme ça, c’est difficile de se voir parfois à cinq. On se divise déjà un cachet de 200 euros en cinq (rires).
Axel : C’est récent avec Guich ce serait cool de composer d’autre chose avec ce cuivre-là, vraiment, ça va changer ce qu’on va faire en tant que groupe.

On imagine un peu vos répètes qui doivent aller dans tous les sens et être très dynamiques à la fois, puisque vous partagez cet esprit un peu barjot. Ça se passe comment votre processus de composition, vous bossez toujours ensemble en jam ?
Mathieu : ce n’est pas toujours moi, mais souvent un de nous ramène une idée. Jacob a des idées précises, ça nous va aussi. Quand moi j’amène un truc c’est cool, on déconstruit ce que j’ai fait, on en fait tout autre chose, ce n’est pas vraiment une jam, enfin on part d’une idée de base quand même.
Axel : S’il amène une ligne, on va tourner autour pendant des heures, construire au-dessus. C’est vraiment en groupe que ça se fait.

Axel, pour l’écriture des paroles ça se passe comment ?
Axel : Je fais du yaourt, je change des trucs, je glisse des phrases en anglais – un peu la langue du rock selon moi – que je peux chanter de différentes manières. A ce moment-là, je cherche des sons, des rythmiques. C’est souvent après avec Jacob que j’écris les paroles pour donner une forme concrète et créer l’histoire.
Axel : La simplicité, ne pas trop intellectualiser ce qu’on fait, ça ne sert à rien de faire des trucs ultra complexes, ca reste du rock au final. Je ne veux pas de plans qui partent dans tous les sens. Un morceau pêchu pas trop long, c’est un morceau sympa. Mais on aime les choses réfléchies quand même, les plans et les petits détails, comme le cuivre, certains sons, mais pas juste « je vais te montrer ce que je sais faire avec mon manche » (rires).
Mathieu : Tu connais Bonaparte ? Ils tournaient la langue française à la dérision ça donnait bien. C‘était un peu un jeu scénique. Avec le français c’est plus difficile d’avoir cette distance dramatique.

Pour composer une chanson incroyable, il y a des « critères » qui priment pour vous ? Lesquels ?
Mathieu : L’ambiance dans le morceau, l’ambiance très particulière, mélancolique, un peu glauque qui fait que ça prend, ça donne bien. T’as l’impression de faire quelque chose de différent. Les trucs efficaces garage, il y en a plein mais chez Spout il y a un côté qui sonne bizarre, un peu sombre. C’est jamais très joyeux.

Il y a une chanson de votre répertoire que vous aimez particulièrement jouer sur scène? Laquelle et pourquoi ?
Mathieu et Axel : ‘Turn around boy’, notre morceau le plus récent, on adore tous le jouer. Axel : Il est simple mais pas en même temps, c’est un morceau punk et carré.
Mathieu : ‘Candy Queen’ un morceau très lent, avec un refrain violent,  qui te chope arrive de nullepart, ça crée cette ambiance bizarre.

Vous avez une présence scénique vraiment marquée, entre ces bidons d’eau ou autre (lol) que vous buvez, les peluches et les fringues façon camping, on vous reconnaît vraiment. Mathieu a mentionné ta présence scénique, Axel… ton style de danse à la Mick Jagger, Ian Curtis ça t’es venu comment ?
Axel : (rires) Je ne fais pas ça toujours en répète, ce serait fatiguant, mais je suis un vrai dictateur. Je suis dans ce jeu-là, en répète parfois. Il faut te sentir à l’aise et le faire. Il y a des trucs que je refais et parfois c’est comme je le sens, ce sont mes mouvements qui expriment l’histoire des chansons.

T’as un meilleur souvenir sur scène, le truc le plus cramé qui te soit arrivé avec SBS ?
Axel : Notre ingé son lors d’une soirée électro pour étudiants, alors qu’il se débattait avec les organisateurs pour qu’ils nous laissent jouer jusqu’à la fin. Bon finalement les gens aimaient bien même si c’était une programmation différente.
Mathieu : On a fini par embarquer des pizzas.

Les clips sont vraiment cramés, on se demande souvent « purée c’est quoi ce bazar là ? » l’ambiance fait penser à Fidlar ou Fat white family. On voit souvent revenir le thème du docteur ou du gynéco un peu loufoque (‘Georgian song’), avec votre dernier clip Cloclo vous mettez en scène une fête… Le travail visuel se fait comment ? Vous y participez avec vos idées où le réalisateur a carte blanche?
Axel : C’est Augustin Polet. Mon père joue parfois dedans comme dans ce clip ’She said’ où il joue une fille très directive qui me maquille. C’est plus une création de groupe, on a envie de faire des trucs marrants, on met peu de limites. Les frères Jambon[3] ont ce côté trash mais drôle, ça faisait sens de faire ça avec eux. 
Mathieu : Les paroles ne correspondent pas toujours aux clips d’ailleurs. On est un peu les deux frustrés de ne pas avoir fait d’études de cinéma, donc on fait un peu de réalisation.

Il faut souligner l’artwork de vos albums, des dessins et peintures, il est de qui ?
Mathieu : Silio Durt, ce mec est un gros punk il a appelé sa fille Siouxie[4], il a une galerie au centre. On l’adore. Dans l’EP précédent, c’était la mère d’Axel qui travaille en nous écoutant. Avant on avait aussi une bannière faite par la mère d’Axel mais on l’a perdue en concert.

Parlez-nous de votre prochain EP, Terrestrial love call.
Axel : On aurait dû le sortir avant, mais pendant la pandémie ça n’aurait invité aucun concert pour le défendre.
Mathieu : Ce qu‘on adore c’est vraiment la scène, en studio c’est pas toujours pareil même si on est contents de ce qu’on a fait. On aimerait peut-être bien enregistrer un live un jour. 

Si vous deviez faire écouter une chanson à un alien pour qu’il s’intéresse aux humains et vienne nous asservir/ être notre ami, vous choisiriez laquelle ?
Mathieu  : J’en sais rien… N’importe quelle chanson de Michael Jackson.
Axel : Cloclo (rires). Sheila. Pour qu’ils nous asservissent.

Petit bonus : une question d’interview que t’as toujours voulu qu’on te pose et à laquelle tu voudrais répondre ?
Mathieu : Comment ça se fait que vous êtes pas connus ? (il descend pour aller aux toilettes). [Krisztina Kovacs]

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