Ballade sonore et contrastée entre ces deux héros du post-rock qui ont su, chacun à leur manière, surprendre un public conquis d’avance. D’abord en le plongeant dans l’absurde et la peur de quotidien, avec un Mogwai plus engagé que jamais, puis en s’envolant avec Sigur Ros vers un monde fantasque et enchanteur. Juxtaposition du réel et de l’imaginaire pour une soirée exceptionnelle et pleine de rebondissements.
Mogwai ouvre les festivités et à la grande surprise d’un Stravinski presque plein, le concert ouvre sur un film projeté sur écran géant. Les cinq musiciens resteront tout le concert dans l’ombre, se contentant de jouer la bande son du film Atomic, documentaire de la BBC. Dernier projet en date des écossais, habitués aux bandes originales (« Zidane », « Les revenants »), qui ont choisi ici de sublimer leur post-rock pour le mettre au service d’un message politique anti-nucléaire, revisitant la bombe d’Hiroshima, Tchernobyl et les luttes sociales à travers des images d’archives et des interviews de badauds et de militants. Les images sont fortes, se répètent, préférant l’esthétique à la linéarité, et le parti prit, à l’objectivité. Les images touchantes, instructives ou hypnotiques font mouche sur un public surpris et bercé par l’envoûtante musique de Mogwai.
Les fans n’entendront pas les morceaux qui ont fait le succès du groupe. Ils ne verront qu’avec peine les silhouettes des musiciens, terrés sous l’écran pendant les 80 minutes de la projection et qui quitteront la scène tout aussi discrètement. L’interaction avec le public semble être passée délibérément au second plan – au plus grand désarroi de certains – afin de braquer les projecteurs sur le message de la soirée : l’absurdité de la menace nucléaire constante que nous nous imposons depuis 70 ans et surtout la menace d’apocalypse crée par une race humaine aux tendances auto-destructrices depuis des temps immémoriaux.
Sigur Rós ouvre son concert dans un étrange décors lumineux tri-dimensionnel, séparé du public par un mur de LED et devant d’immenses jeux d’éclairages. Perdu dans leurs nuages, ils leur a fallu deux chansons et Sæglópur pour émerger de leur grillage — osons dire les mots — et être visible du public. S’ensuivent presque deux heures de pur bonheur sous un jeu de lumières hallucinantes, projetant tantôt les paysages dévastés de leur Islande natale, des paysages lunaires, des nuages ou encore des ambiances aussi indéfinissables que leur musique pour entourer leurs nappes mélodiques de vapeurs visuelles fantasques, garantissant un voyage dans leur monde en apesanteur, loin du terre à terre du quotidien. Sigur Rós a choisit le pays des rêves, des voix lancinantes, des mélodies qui se perdent dans les brumes… Mais peut-être ont-ils pêché par excès car malgré l’effort, le tout a donné un résultat plutôt mou, que seul deux morceaux aux rythmiques soutenues, en toute fin de concert, ont réussi à faire sortir le public de sa torpeur. Quoiqu’il en soit, le spectateur est ressortit heureux, des étoiles pleins les yeux, de deux concerts inattendus, invitant à la rêverie grâce à la puissance de leur esthétique.
]Vincent Bonvin]