Six mois après avoir semé « Le jardin des pauvres » sur les plateformes numériques, l’auteur-compositeur-compositeur P. Sallafranque lance une édition vinyle de l’album. C’est une parution que nous tenions, une fois de plus, à épargner de l’oubli. Le Daily Rock Québec s’est entretenu avec lui dans un café de l’avenue du Mont-Royal, à Montréal, pour en discuter plus en profondeur. C’est avec un sentiment de fierté que l’artiste s’est livré sur son parcours vers la concrétisation de cette collection de chansons qui aurait pu ne jamais voir le jour.
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Daily Rock Québec : Entrons directement dans le vif du sujet. Puisque la musique se consomme principalement sur les plateformes d’écoute en ligne, qu’est-ce que ça représente pour toi de publier une édition vinyle de ton album?
P. Sallafranque : D’entrée de jeu, je te dirais que ça vient concrétiser la démarche artistique. Ça fait plusieurs années que j’écris des chansons. Mes premiers albums, c’était toujours important pour moi de les fabriquer à la main. Tu sais, je fabriquais des CD à la main, avec le packaging et tout ça, puis j’allais les déposer dans les boîtes aux lettres des gens dans la nuit. J’avais une espèce de démarche artistique qui était axée, pas sur l’objet, mais sur l’art en mouvement, si tu veux. On était à une époque où les plateformes étaient plus ou moins ça, on remonte à Bandcamp et tout ça. Puis je sais qu’aujourd’hui, l’aboutissement en vinyle c’est la même démarche pour moi, ça concrétise vraiment l’aboutissement d’un projet. C’est plus un objet d’art pour moi, si tu veux, l’album en tant que tel. Ce n’est pas un album concept, mais le fait de le produire en vinyle, c’est l’aboutissement ultime à mon point de vue. Ça permet de fermer la porte au [projet] « Le jardin des pauvres ». Si je n’y étais pas allé, j’aurais constamment eu l’impression qu’il [l’album] était toujours en moi, puis qu’il n’était jamais vraiment sorti. […] Tu sais, quand les cartons sont arrivés chez moi, et que j’ai ouvert la boîte, j’avais un sentiment qui se ramène à l’enfance, comme une ouverture de cadeau. En même temps, j’étais ultra stressé vu que je l’ai fait tout seul, d’un bout à l’autre, graphisme, design… [rires]. Il y a un paquet de choses que je ne connaissais pas et que j’ai fait tout seul. Donc, je n’étais pas encore convaincu que ça avait fonctionné tant que je n’avais pas mis le ciseau sur le carton pour ouvrir le contenant. Tu sais, quand on achète un disque, un disque que tu veux là, que tu le prends dans tes mains, tu l’as un peu ce sentiment, même si ce n’est pas toi qui l’a fait. C’est tangible.
Daily Rock Québec : Peux-tu nous parler de ce qu’implique l’impression d’un disque vinyle, surtout pour l’artiste indépendant et autoproducteur que tu es?
P. Sallafranque : Pour l’impression du disque, j’ai fait affaire avec une compagnie de l’Île-Du-Prince-Édouard, qui s’appelle Kaneshii Vinyl Press. Le gros enjeu avec le fait d’être indépendant, c’est que tu ne veux pas te lancer dans une production de masse parce que tu ne les écouleras pas et c’est très cher. Plus tu en imprimes, moins ils sont chers à l’unité. Même à deux-cents copies, ça commence à être énorme pour un artiste [indépendant]. En bas de deux cents, tu viens de perdre beaucoup de possibilités, surtout dans un marché canadien. Aussi, c’était important de faire affaire avec une entreprise de pressage de vinyle qui parlait français. Je ne voulais pas faire affaire avec une entreprise à l’international. J’avais regardé un petit peu en Ontario et au Canada anglais. J’étais prêt à faire des concessions, mais je tenais vraiment à avoir une discussion en français parce que, pour moi c’était encore du démarchage, je n’avais jamais fait ça, au niveau graphisme, au niveau design, les besoins, les requis. On s’entend, [faire] tous les projets dans ta langue, c’est toujours facilitant. […]
Daily Rock Québec : « Le jardin des pauvres » a nécessité un long processus de création et de postproduction, qui s’est étiré sur plusieurs années. Est-ce qu’il y a une chanson en particulier qui s’est avérée plus difficile à terminer ? Si oui, pour quelles raisons ?
P. Sallafranque : Quand tu es en studio sur une longue période, tu as comme un luxe. Tu as hâte de finir, mais, en même temps, il n’y a personne qui t’attend. Donc tu as le luxe d’essayer des choses, mais plus tu t’essaies parfois, plus tu peux te perdre, tu peux te mélanger, puis là tu peux perdre la chanson ou tu peux la bonifier. Puis la chanson « Construire le vide », ce n’est peut-être pas celle qui était la plus complexe et la plus difficile au niveau de l’écriture. On s’entend, j’adore cette chanson. Par contre, c’est une chanson qui aurait pu facilement tomber dans le côté Braveheart (1995) [le film avec Mel Gibson]. Ce n’est pas revendicateur, ce n’est pas une chanson où je lève mon poing en l’air. Ce n’est vraiment pas ça qui était l’angle. Donc, cette chanson-là, quand on l’écoute, si on la fait basculer du côté trop Braveheart, c’est ce qu’on se disait en studio [rires], ou trop chanson, de l’autre côté, mais là on l’échappe, on l’échappe d’un côté comme de l’autre. La ligne était vraiment mince entre la chanson progressive avec une espèce de hargne, une volonté, mais qui implique aussi le narrateur : je fais partie de ce que je raconte. Il fallait que ça se reflète en musique, que ça grimpe sans atteindre des sommets. On a essayé des choses, on a fait des arrangements de musique qui dépassaient l’entendement et qu’on a éliminés au fil du projet pour nettoyer un petit peu [rires]. On l’a essayé le côté très Braveheart, on s’y est rendu, mais on l’a ramené.
Daily Rock Québec : « Le jardin des pauvres » a été réalisé par Nicolas Grou, à qui on doit la réalisation des premiers albums – tous acclamés par la critique – de ton ami Antoine Corriveau [« St-Maurice/Logan », « Les ombres longues » et « Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans s’arrêter »]. Vous faites tous les trois partie du même cercle social. Pourquoi avoir choisi Nicolas comme étroit collaborateur à ce projet?
P. Sallafranque : Nicolas Grou c’est particulier parce que je l’ai rencontré grâce à Antoine Corriveau. Puis, tu sais, on pourrait parler longuement de ma rencontre avec Antoine Corriveau. C’est presque un hasard, un merveilleux hasard de la vie. Ça remonte à l’époque d’« Entre quatre murs » d’Antoine qui est un EP, je pense, du début des années 2000, 2007 ou 2008 [avec la pochette] dans le bain, je ne me souviens plus trop. J’ai rencontré Nicolas à ce moment-là, en studio. Nicolas Grou, c’est vraiment une personnalité très intéressante qui nécessiterait un peu plus de lumière sur son travail. Puis c’est comme l’inverse qui est arrivé au fil du temps. Je te parlais précédemment des albums que je fabriquais à la main en papier carton et que j’allais déposer dans les boîtes aux lettres. Ayant déjà un peu flirté [musicalement et amicalement] avec Nicolas, j’étais allé porter un de mes projets dans sa boîte aux lettres, en pleine nuit, et il a ouvert la porte [rires]. Donc, je m’étais fait pincer à ce moment-là. On a ensuite développé une amitié très sincère qui allait au-delà de la création, qui était plus de l’ordre de la franche camaraderie. C’est vraiment un bon vivant avec une culture énorme. On a beaucoup de repères similaires au niveau de la musique country, de la musique folk, un amour de l’écriture, un amour pour les trucs un peu plus ténébreux, tout en étant une personne lumineuse et souriante, avec un bel humour. La mélancolie, et tous ces sentiments-là [autour], ben lui, il comprend bien ça et je le sentais qu’il était capable d’adhérer à ça. C’est Nicolas qui m’a demandé de réaliser mes chansons, en fait. Ça vient de lui de prime abord parce que, moi, ces chansons-là, je les empilais dans ma tête comme toutes les autres. Je n’avais pas vraiment prévu en faire un disque. Il est venu cogner à ma porte, puis il a dit : on fait un disque avec tes chansons. C’est lui qui y croyait le plus. Il y a aussi Antoine [Corriveau] qui m’envoyait des courriels tous les mois pour me dire : fais des shows, sors un disque, tu as de bonnes tounes, c’est rare. Donc voilà, pour Nicolas Grou, c’est comme ça que ça s’est passé. C’est un choix que j’aurais peut-être fait, de toute façon, naturellement pour sa compréhension, comme je te dis, des univers qui m’habitent. Il est vraiment là-dedans lui aussi.

Daily Rock Québec : Treize années se sont écoulées entre « Le jardin des pauvres » et « Manger la cartouche » (2011). Que retiens-tu du processus dans l’ensemble? Est-ce que tu as une anecdote à nous partager qui illustre comment la détermination a supplanté le découragement ?
P. Sallafranque : Du découragement, certes, il y en a eu. Honnêtement, je ne conseillerais à personne de faire ça. Plus tôt j’ai dit que le temps c’est un luxe, mais, dans ce cas-ci, c’était aussi une problématique. Les événements de vie à travers treize années, il y en a et il y en a beaucoup. Il peut y en avoir qui sont presque tragiques pour un projet créatif. Dans le sens que tu as le goût de le laisser tomber parce que ce n’est plus ta priorité. Il y a quelque chose dans la volonté et dans le fait qu’on croyait vraiment en ces chansons-là, puis on n’arrêtait pas de le dire au fil du projet. […] Petite histoire courte, Nicolas habitait au rez-de-chaussée d’un triplex où j’habitais au deuxième [étage] et le studio était au sous-sol du même triplex. Donc, on était tous assis sur le studio et c’était facile pour nous de descendre un mardi soir pour commencer les tracks [sessions d’enregistrements]. Cela dit, on a frappé certains murs : des naissances, des vies de famille qui se développent, des séparations, des déménagements. Puis, à un moment donné, on n’avait plus de studio. On a continué, parce qu’on y croyait vraiment, à faire des tracks dans un appartement random de Nicolas juste pour se donner l’impression qu’on continuait d’avancer jusqu’à tant qu’on ait un plan B. On l’a vécu deux à trois fois durant le projet : soit de perdre le lieu de travail, soit de prendre une pause pour des raisons familiales. Puis ce sont de longs breaks, ça pouvait aller jusqu’à plusieurs mois. Petite anecdote : Nicolas, c’est un fou… Il décide de se faire venir un gros écran tactile pour le studio dans lequel on pouvait toucher au fader et les contrôler. Il s’est fait livrer ça par des Italiens, une histoire complètement abracadabrante. On rentre en studio, on enregistre des tracks, on est content. Le lendemain, Nicolas m’écrit : je ne trouve plus les tracks. Tout a disparu. On a tout perdu. On a perdu plusieurs semaines de travail, mais l’histoire voudrait, puisque c’est un gros écran tactile, qu’il y ait eu une mouche qui se serait collée sur un folder, puis qui aurait drag and drop une grande partie de nos tracks dans un fichier random de son immense écran. Tu sais, ça, c’est le genre d’affaire loufoque et un peu humoristique, mais « Le jardin des pauvres » c’était constamment ça. Ça ne se peut pas que les tracks aient disparu du jour au lendemain! Petite anecdote de mouche [rires].
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Après une telle anecdote, P. Sallafranque a voulu en dire davantage sur Nicolas Grou en tant que réalisateur. Il a pris soin de préciser sa pensée. Nous avons pu percevoir toute la gratitude qu’il ressent pour lui et l’estime qu’il a pour ses qualités professionnelles et ses valeurs personnelles.
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P. Sallafranque : […] Nicolas Grou c’est une personnalité qui se rapproche des technicalités, et des façons de travailler, de Daniel Lanois. C’est un univers qui colle beaucoup à mes choix artistiques et à ce que j’écoute à la maison. Bon, on est influencé parce qu’on aime, puis on ne veut pas reproduire ce qu’on aime, mais on veut s’en aller vers là. Lorsque j’ai fait « Les ombres longues » (2014) [album d’Antoine Corriveau] c’est comme si j’avais fait mes études universitaires en musique. Nicolas Grou, ce n’est pas seulement un réalisateur, un preneur de son, un arrangeur, un musicien, il a tout fait sur le disque [« Le jardin des pauvres »] : il partage. Il partage ses connaissances, il t’explique, il t’amène au-delà de ce que toi tu avais envie. Il va toujours essayer de lire ce que tu veux, mais il va t’amener une coche au-dessus, puis tu vas y arriver. Moi, je ne lis pas la musique comme un grand musicien. J’y vais vraiment d’instinct en musique. Il arrivait à me faire faire des choses qu’en lecture, ça ne m’aurait absolument rien dit. En me l’expliquant, puis en me le démontrant, on y arrivait. C’est un réalisateur, un preneur de son et un musicien exceptionnel. Il a eu beaucoup d’influence au niveau de la réalisation avec Antoine Corriveau […] cet album [« Les ombres longues »] c’est aussi un projet qui est très imprégné de la réalisation de Nicolas Grou. C’est un univers, ceci dit, qui ne nous impose pas. Il ne nous impose pas ces textures. Tout est dans la recherche et l’écoute. Il écoute l’artiste et il creuse, mais son coffre à outils, lui, tu le reconnais.
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Depuis la sortie de son album l’automne dernier, P. Sallafranque n’a donné que deux courts spectacles acoustiques dans le cadre de plateau double avec l’autrice-compositrice-interprète Anaïs Constantin. Ce dernier nous a exprimé son plaisir de jouer ses chansons en formule guitare-voix et celui de l’interaction avec le public, s’inspirant de ses influences musicales, comme Bonnie Prince Billy, alias Will Oldam, et Howe Gelb. Toutefois, il aurait aimé présenter l’intégralité de l’album sur scène avec ses musiciens de studio, ceux-ci ayant manifesté leur intérêt avec enthousiasme. Ainsi, il reste ouvert à l’idée.
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Daily Rock Québec : Les chansons dans « Le jardin des pauvres » sont caractérisées par leurs arrangements élaborés qui génèrent des ambiances uniques à chacune d’entre elles. Maintenant qu’elles existent, pourrait-on dire, sous forme complète, comment perçois-tu leur version dépouillée en les interprétant?
P. Sallafranque : L’affaire c’est qu’en faisant les tounes en studio, on a toujours eu en tête que les chansons devaient continuer à vivre d’elles-mêmes [en version] guitare-voix, sauf à l’exception « Le nid » qu’on a changé pour du piano sur l’album, il n’y a pas de guitare du tout. On a changé ça par le piano, mais moi, la version que je fais seul est à la guitare. Les chansons ont toujours existé [en version] guitare-voix et elles vont toujours l’être. Quand tu écoutes le disque, tu pourrais tout enlever les arrangements, et la chanson existerait d’elle-même. Ça ne m’inquiète pas du tout, mais parfois, ça me manque un peu l’enrobage parce qu’on s’y habitue. Quand je suis accompagné, par exemple, du violoncelle, ça va chercher un petit peu plus d’émotions. Je ne veux pas dire que mon album est triste, loin de là, mais la mélancolie, souvent, s’est transposée dans les arrangements et dans mes textes, bien entendu, mais dans ma guitare, pas vraiment. Donc, la chanson va toujours fonctionner. La beauté des textes, je l’ai déjà fait en plus une fois à la Casa del Popolo, j’ai lu un texte au lieu de le chanter, puis j’ai eu l’attention de tout le monde. Ça venait chercher un peu plus le côté poétique de la chose et je me plais beaucoup là-dedans.
Daily Rock Québec : Dans le fond, l’essence de tes chansons est complète en soi, avec ou sans arrangements?
P. Sallafranque : Oui. C’était très important que ça reste comme ça, même s’il y a des arrangements qui sont très épiques. On n’en a pas beurré trop épais non plus. Si tu enlèves les couches de pad, ou les ambiances cinématographiques, parce que c’est très imagé, ce sont des arrangements plutôt imagés, la chanson est toujours la même dans le fond.
Daily Rock Québec : Il serait regrettable de ne pas faire état de tes textes. Comme il est souligné dans ta présentation, ils sont inspirés par la poésie des gens ordinaires. Ces portraits, frappants de vraisemblance, résonnent par la qualité des vers et la précision des images. Pourquoi écrire des chansons qui mettent en scène, par exemple, la vulnérabilité sociale? Où puises-tu ton inspiration ?
P. Sallafranque : Je vais-tu là ou je ne vais pas là… Dans ta question, tu faisais mention que ce n’est peut-être pas de l’autofiction. C’est beaucoup un regard que je porte, effectivement, mais il y a beaucoup de moi à travers ces chansons-là. Dans chacune des chansons, il y a un moment véritable. […] C’est la façon dont on voit le monde. L’affaire, c’est que quand je suis arrivé à Montréal, je ne connaissais rien de Montréal. Je suis arrivé ici au début des années 2000, puis j’ai atterri dans le Centre-Sud. Et puis le Centre-Sud, géographiquement parlant, c’est quand même une place qui peut frapper fort quand tu arrives de Rouyn-Noranda où tout est vert, tout est calme. J’étais confronté à la pauvreté, à la drogue et à la prostitution de très près dans mon décor, mais je voyais la beauté là-dedans parce que ce sont toujours les mêmes personnages que tu vois de jour en jour. Ce sont les mêmes gens qui traversent la rue, ce sont les mêmes gens qui vont au café, ce sont les mêmes gens qui vont à gauche, à droite. Puis, ces gens-là deviennent attachants et je me suis bâti des histoires autour de ça. Une journaliste m’avait dit que c’est presque une étude sociologique. Je ne l’avais jamais vu sous cet angle-là parce que, moi, j’aime raconter des histoires, en même temps, très imagées. C’est mon œil de photographe, peut-être. Chaque chanson part d’un moment véritable. Je pense à « Le jardin des pauvres », qui est la chanson titre du disque, c’est le suicide d’un ami. C’est un ami à moi qui s’est enlevé la vie dans l’appartement en dessous du mien, puis qui a orchestré sa mort pour que ce soit moi qui le trouve […] il y a beaucoup de moi dans les chansons. Mon chien vieillissant, c’est mon chien. Puis la façon dont j’ai appris à vivre avec le Centre-Sud, puis la dureté de Montréal, c’est en traversant ces épreuves-là avec mon chien, ruelle après ruelle, soir après soir, parce qu’un chien, il faut que ça marche, pendant que je marche, je pense à des chansons. Le décor qui m’est soufflé, c’est celui du Centre-Sud. Je n’aurais peut-être pas écrit les mêmes chansons, avoir été sur le bout d’un quai, au soleil couchant, tsé. La matière première, il faut s’en servir. Puis, si la matière première est brute, pis qu’est dure, pis qu’a fait mal, c’est là-dedans qu’il faut que tu piges pour faire ta toune.
Daily Rock Québec : J’imagine, peut-être que c’est comme ça pour tous les artistes, en tout cas pour toi précisément, ce qui vient t’interpeller, te vibrer devient presque automatiquement matière à création?
P. Sallafranque : Oui. La chanson « Gravier », par exemple, que j’aime beaucoup, c’est vraiment une chanson sur l’itinérance. Ce regard-là, ce n’est pas le mien, mais je me suis mis dans la peau [de quelqu’un en situation d’itinérance]. Chaque soir, quand je rentrais du boulot, il y avait le même homme assis par terre, en plein hiver. Son visage me restait [en tête] jusqu’à la maison. Tu sais, moi, je rentre chez nous, il fait chaud, je ferme ma porte, puis voilà. Mais, lui étant dans ça [conditions défavorables], ces images-là, ils me collent à la peau puis ça devient ma matière première.
Daily Rock Québec : Quelle chanson te rend particulièrement fier dans « Le jardin des pauvres » et que tu aimerais mettre en évidence dans notre entretien?
P. Sallafranque : Wow… mais je les aime tous, c’est ça l’affaire! [rires] Une chanson que j’aime vraiment, c’est la chanson « Centre-Sud ». C’est une longue progression. J’aime beaucoup le storytelling dans cette chanson-là. J’ai travaillé très fort [dessus]. C’est la chanson que j’ai écrite sur toute la durée du studio. Je n’ai pas mis deux jours à l’écrire. J’avais peut-être quatre ou cinq verses. Quand on est arrivé en studio, on l’aimait tellement que Nicolas [Grou] m’a renvoyé à la table d’écriture. Il m’a dit : rajoutes-en! Puis rajouter des couplets sur une chanson qui s’est écrite sur plusieurs années, ben, il faut que tu te replonges dans ce moment-là, mais j’y suis arrivé. Je pense que c’est plutôt rare pour un artiste de réouvrir une chanson, tsé, de la réouvrir au complet, puis de rajouter du texte. Tu peux la charcuter, c’est plus facile, mais d’en rajouter, c’est une autre paire de manches. « Centre-Sud », puis « Construire le vide » je sais qu’il y a un public pour ça. Surtout pour « Construire le vide » où j’avais l’impression, je l’avais gardé comme, un peu, mon cheval de course. Je m’étais dit : elle, c’est sûr qu’elle va fonctionner! [rires]. Finalement non, pour une question que j’ignore. Elles fonctionnent toutes à parts égales, mais je pensais que celle-ci allait sortir du lot [rires].
Daily Rock Québec : Pour conclure, qu’aimerais-tu dire à celles et ceux qui se procureront « Le jardin des pauvres » en vinyle?
P. Sallafranque : Ben merci, premièrement [rires]! C’est vraiment une bonne question qui paraît simple de prime abord. J’aimerais que les gens soient conscients du cœur qu’on a mis dans le projet. Quand tu déposes un album dans ta discographie [bibliothèque], qu’elle soit de cinquante ou deux cent disques […] ça vient marquer les esprits. Donc ça va te suivre, puis j’espère qu’on peut léguer cette bibliothèque à une autre personne, que tu fasses voyager le projet. Le produit physique, je le vois un peu comme ça. Je te disais tantôt, c’est un objet d’art. Le fait que tu déposes un disque vinyle chez toi, que tu le tiens dans tes mains, puis que tu le déposes sur la table tournante, que tu pars l’aiguille, tu devrais ressentir en partie ce qu’on a ressenti quand on l’a mis dans nos oreilles pour la première fois en tant que musicien, auteur, arrangeur, preneur de son. Tous ces gens-là, on a vécu cette espèce de moment-là, où je ne pense pas que tu l’as sur les plateformes numériques. C’est mystique un peu, mais tu peux le ressentir en déposant, en faisant l’action de partir quelque chose par toi-même, puis tu l’insères dans ta discographie. Je dirais juste merci aux gens qui prennent encore [la peine] de rentrer une œuvre d’un artiste indépendant dans leur univers, qui est beaucoup plus tangible que sur ta playlist random.
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L’album « Le jardin des pauvres » de P. Sallafranque est maintenant disponible en vinyle. Vous pouvez vous procurer votre exemplaire sur sa page Bandcamp. Deux versions de couleurs différentes sont offertes, soit en disque noir ou en disque pourpre. L’album est toujours disponible sur les plateformes numériques.

Photo bannière + photo P. Sallafranque : Pier-Luc Diamond