‘L’art est plus profond lorsqu’il puise ses racines dans la tristesse’ est un adage vieux comme le monde. Mais est-ce vrai ? Beaucoup de musicien.nes contemporain.es parlent – souvent pour le mieux – de leur santé mentale. De la pop star Demi Lovato à l’alternatif Chris Corner (IAMX), toustes mettent l’accent sur la musique comme thérapie. Rendons-nous la tristesse trop romantique? Pouvons-nous être heureux.ses et créatif.ves?

Le nombre de musicien.nes – et de célébrités en général – s’ouvrant au grand public sur leur santé mentale ne cesse d’augmenter. Certain.nes le font depuis des années, comme Carrie Fisher (connue notamment pour avoir joué Princesse Leïa dans Star Wars, RIP) mais entendre une superstar du calibre de Lovato parler de ses troubles alimentaires a un côté révolutionnaire. En effet, la pop a vocation d’échappatoire et rarement y sont abordés de sujets si personnels.

La scène metal semble être le mauvais élève de la classe – dans le bon sens. Joseph Penola, le co-fondateur de You Rock Foundation, une association qui cherche à ouvrir le dialogue sur les maladies mentales chez les musicien.nes, a une réponse très claire à ce sujet. “Les maladies mentales sont stigmatisées”, nous explique-t-il. “il est donc très difficile d’en parler. Mais quand tout le monde se moque de toi parce que tu es lae ‘métalleux.se’, tu as tendance à te foutre de ce que les gens pensent.”

Et voilà un bon point : lorsque l’art n’a pas vocation à plaire au plus grand nombre (au contraire de la pop, par exemple),  il peut se retrancher dans des sujets absurdes ou tabous. You Rock Foundation a commencé il y a cinq ans à poster sur Youtube des vidéos d’artistes nous expliquant leur parcours et batailles. De Ron ‘Bumblefoot’ Thal des Guns N’ Roses, Jonathan Davies de Korn, Corey Taylor de Slipknot et Stone Sour, toustes ont souhaité partager leurs souffrances et combats. Bien évidemment, certains de ces stigmates sont liés à l’industrie musicales, mais beaucoup sont sévèrement ancrées dans leur vie quotidienne et leur carrière.

Les conversations autour de la santé mentale sont de plus en plus répandues, peut-être grâce aux célébrités qui ont fait le pas. “Grâce à internet, les informations circulent plus rapidement, et à plus grande échelle. Si une célébrité parle de ses propres problèmes, alors une lumière s’allume dans l’inconscient public”, explique Penola. En effet, plus les choses font partie intégrante du quotidien, plus il est facile d’en parler, comme un effet boule de neige.

Comme précédemment mentionné, la pop et ses dérivés couvrent de nombreux thèmes, mais – comme son nom l’indique – doit être populaire. Dès lors, il est difficile de faire des chansons autres qu’optimistes. C’est là où le bât blesse : pourquoi les chansons tristes sont automatiquement qualifiées de ‘meilleures’ ? Et cela s’étend à n’importe quelle forme d’art : quel que soit le format, lorsque l’artiste est ouvertement triste, son oeuvre est jugée différemment, souvent plus positivement.

La science a aussi son mot à dire sur le sujet: une étude japonaise datant de 2013 a démontrée que les musiques tristes ou mélancolique rendait les gens… plus heureux. La musique agit en effet comme un catalyseur: l’auditeur.ice passe par différents aspects émotionnels durant un morceau, et cela permet de ‘sortir’ ces émotions négatives de notre cerveau. La musique fait donc effectivement office de thérapie. Une autre étude, celle-ci de 2015, mentionne le ‘paradoxe de la tragédie’ : la perception d’émotions négative dans l’art ne va pas forcément signifier des émotions négatives du côté de son public. En l’occurrence, un.e auditeur.ice peut éprouver du plaisir à l’écoute de chansons tristes car iel recherchait cette tristesse, y a eu accès et a pu ainsi la ‘sortir’ de sa tête. L’empathie est ici un facteur clé, la musique triste ayant longtemps été liée aux récepteurs d’endorphines dans les cerveaux des patient.es – il faut pouvoir se mettre à la place de l’artiste pour ressentir les émotions transmises et ainsi les digérer de manière constructive.

Une étude menée par l’université de Berlin en 2014 met le doigt sur quelque chose d’autre. En écoutant des chansons tristes, le récepteur le plus communément activé n’est pas celui de la tristesse, mais celui de la nostalgie. Ainsi, lorsque l’on écoute des morceaux mélancoliques, on souhaite parfois surtout se souvenirs d’événements heureux.
Chris Corner, l’homme derrière IAMX, a été diagnostiqué dépressif, anxieux et insomniaque en 2014. Il pensait au premier abord ne plus pouvoir faire de musique et devoir se consacrer uniquement à sa santé mentale, mais il a décidé d’en faire quelque chose de concret : son album “Metanoia” – ‘processus fondamental de changement humain’. Son titre en lui-même pose les bases : il n’est pas uniquement sur les maladies mentales, il est avant tout sur un processus d’honnêteté.  »La musique, peu importe sa provenance, est une réflexion sur l’individualité, c’est la seule chose unique que nous avons. Toute la musique a déjà été écrite, tous les sons ont déjà été découverts. Explorer l’individualité, c’est cela qui rend les choses intéressantes. Si tu n’as rien à exprimer en tant qu’individu, ta musique va s’en ressentir. »

En fin de compte, l’honnêteté artistique est ce qui transforme l’art sous toutes ses formes en une composante essentielle de notre humanité au quotidien.  En étant ouvert.e sur les problèmes mentaux, on ouvre un dialogue : les maladies mentales et les neurodivergences sont tout aussi réelles que les maladies physiques. Mais en les gardant sous couvert, on creuse un peu plus profondément sa tombe :  »sortez de votre tête, ouvrez-vous au monde », philosophe Penola. La science approuve, ayant prouvé que les gens aiment la musique triste car elle les aide à digérer les émotions refoulées. La solution vers un quotidien plus sain est peut-être ici : ressentir puis digérer ses émotions, que ce soit en écoutant les premiers albums de Placebo ou en parlant à un.e professionnel.le de la santé.

Tu n’es pas seul.e, même si ça sonne cliché. Les rock stars ont des problèmes mentaux, les écrivain.nes ont des problèmes mentaux, les gens dans le bus ont des problèmes mentaux, et en élevant la voix, on fera de ce bourdonnement sourd un vrai morceau qui vaut la peine d’être écouté.

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