C’est peut-être un cliché, mais la carrière d’un groupe de rock à succès est aussi trépidante qu’elle pousse à l’excès, qu’elle en désarçonne plus d’un. Et alors que la vie de Royal Blood s’emballait, celle de Mike Kerr son chanteur l’emportait dans une descente infernale. Ce typhon émotionnel, il le raconte en onze titres rock, bombardés de beat dansant et de lignes de basse renversante. Un virage musical régénérateur que nous a confié par Zoom le batteur Ben Thatcher.

Tempêtes cérébrales, démons, difficulté à se trouver, cet album raconte que vous avez traversé une série de difficultés. Comme une sorte de signal d’alarme ?

Cet album a été écrit au cours des deux dernières années, une période pendant laquelle Mike a vécu pas mal de changements. D’abord dans sa vie amoureuse, et puis en devenant sobre et prenant des décisions à même de changer un mode de vie qui le mettait à mal. Alors beaucoup de chansons parlent d’une certaine manière de cela, pas pour lancer un signal d’alarme, mais simplement pour raconter comment dans ces moments on cogite, comment on est emportés dans un typhon psychologique, se parlant à soi-même, partout et tout le temps, revenant toujours aux mêmes pensées, se sentant comme coincé dans sa propre tête. Et pour porter toutes ces chansons tournant autour de cette thématique, il fallait une musique qui contraste avec cette face bien sombre, une musique entraînante, avec des pulsations différentes. Voilà comment on a plongé dans cette nouvelle direction que l’on a choisi de donner à notre style. Dans le disco, le son et la manière de produire véhiculent un message de fête, de danse, ils véhiculent l’idée simple d’avoir du bon temps. On pourrait voir ça comme manier une forme de lyrisme sombre, tout en dansant. Les deux se contrebalancent.

Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette évolution musicale ?

Je pense qu’en tant que musicien, il faut évoluer, explorer et prendre des risques. La French Touch a toujours été quelque chose que nous aimions écouter, Justice, Daft Punk, Casius, Phoenix, des groupes avec qui nous avons grandi. Donc ce côté heavy avec des claviers et des synthés, ce n’était pas nouveau pour nous. C’était simplement ce que nous voulions essayer de faire ressortir dans notre musique, plutôt que de juste faire un autre album de rock.

Comme une part de votre enfance que vous vouliez retrouver ?

Absolument, comme si on regardait à l’intérieur de nous-même, jeunes. Et c’est très amusant à jouer, à écouter, ça te fait danser, secouer la tête, ça développe une super énergie.

Comment cette nouvelle direction musicale t’a-t-elle mis au défi en tant que batteur ? Y a-t-il quelque chose que tu as dû apprendre ou changer dans ta façon de jouer ?

Absolument. Pas mal de ces idées de rythmique viennent de boucles, de boîtes à rythmes. Plein de gens se sont ramenés avec des idées bien différentes et Mike a jammé avec eux. Ensuite c’était à moi de bosser dessus. Parfois je trouve le truc, pas toujours, mais je ne suis pas du genre à me mettre la pression pour que tout vienne du batteur. Imagine, parfois j’ai reçu des rythmes sur lesquels Mike travaillait, où il avait assemblé deux beats qu’il avait trouvés, et au moment d’écouter ça, j’ai pensé :  »Ouais, mais c’est impossible à jouer, je vais l’interpréter à ma façon », et c’est ce qui est devenu ma patte. Dans une telle situation on apprend beaucoup sur ce que l’on est capable de jouer. Selon moi il y a une chose simple à faire, c’est de prendre du recul, d’écouter les autres éléments de la musique, les paroles, et de savoir leur donner de l’espace.

Le son de basse de Mike, avec ses tonnes d’effets, apporte la couleur des chansons. À quel moment en tant que batteur, participes-tu à l’évolution de votre musique ?

Comme à la base nous sommes juste les deux, avec l’évolution il y a aujourd’hui plein d’autres éléments qui se greffent à nos chansons. J’ai quatre pads autour de ma batterie, qui permettent d’ajouter des éléments. Sur scène on joue sans click track, sans ordinateurs, donc pour que ça marche et que les chansons prennent vie, j’ai un peu plus de boulot. Avec ces quatre pads cela permet d’ajouter des samples, des voix, des cordes, et comme je dois incorporer tout ça à mon jeu, c’est énergivore. C’est un peu un casse-tête, parce que tu penses d’abord juste au rythme et voilà que tu dois rajouter ces cordes (il fredonne l’intro de  »Trouble’s Coming » tout en mimant son jeu de batterie), ça t’embrouille un peu l’esprit.

Cela permet de faire plus que juste le job de batteur.

Ça le rend plus musical… et beaucoup plus compliqué.

Une des autres évolutions de votre musique, ce sont les chœurs. Déjà sur l’album précédent ils étaient un peu plus présents, mais cette fois ils sont partout, il y a là aussi une belle évolution musicale.

Oui, le premier album c’était strictement juste une voix, une basse, une batterie et quelques tambourins. Pour le deuxième album, on s’est demandé ce qu’on pouvait faire, quelles étaient nos règles, quelles limites se fixer ? C’est évident qu’en studio tu peux avoir une harpe, tu peux avoir dix de mes voix qui s’empilent, mais on a toujours voulu conserver cette fierté d’être un groupe de scène, et de jouer nos chansons live, c’était ça la règle. On se demandait quelle était la nécessité de chaque élément, ce qu’il apportait. Si on avait un effet supplémentaire ou une partie de clavier, il fallait pouvoir le jouer, et ce que l’on ne mettait pas dans une chanson on savait qu’il n’allait pas nous manquer. Là avec le nouvel album, c’est comme si on brisait toutes ces règles que l’on s’était fixées. Alors pourquoi ne pas avoir un paquet de voix en plus, si ça sonnait mieux, si cela permettait de se rapprocher du résultat que nous recherchions ? Même si cela signifie avoir un trompettiste pour telle ou telle chanson en live ou faire appel à d’autres musiciens pour nos tournées, faisons ce qu’on a envie.

En été 2019 à la fin de votre tournée, comme aux Docks à Lausanne, vous avez joué deux nouvelles chansons. Aujourd’hui, seule  »Boilermaker » figure sur l’album, qu’est-il advenu de la chanson intitulée  »King » ?

 »King », c’était l’un des tous premiers trucs que nous avons enregistrés, c’est une chanson cool, mais elle ne correspondait pas à ce que nous voulions produire, et surtout les chansons que nous avons écrites ensuite étaient à chaque fois meilleures. Nous avons exploré cette chanson, nous l’avons jouée en live, pour voir ce que ça donnait. On sait bien comment les gens s’accrochent à ce genre de choses connues. Mais si on mettait sur les disques tout ce qu’on joue, il y a là aussi un risque d’être critiqués. En réalité, il y a un paquet de ces chansons comme  »King » que nous avons faites et mises de côté. On pense plus en termes de qualité que de quantité.

Par contre à la fin de l’album, il y a une vraie surprise  »All we have is now », avec juste un piano et la voix de Mike. Ben, c’est déjà l’heure de la retraite pour toi ?

Ouais (rire étouffé). C’est clair que cette chanson est quelque chose de très spécial. Mike y a travaillé pendant son temps libre, pas en pensant Royal Blood. Et avouons-le, au final ça ne sonne pas du tout comme du Royal Blood. Mais quand il l’a joué en studio, j’ai pensé que c’était incroyable, montrant juste une partie de ce qu’il est capable d’écrire. Je pense que c’est une super chanson et je lui ai dit qu’il fallait l’enregistrer tout de suite. On ne l’a même pas retravaillée, on a directement fait l’enregistrement. Nous avons pris beaucoup de risques sur ce disque, alors pourquoi ne pas y glisser aussi ce titre qui est incroyable. Si on ne l’avait pas fait, personne ne l’aurait jamais entendue.

À quel stade en était l’album avant la pandémie, et quelle influence a-t-elle eue sur le développement de votre musique ?

On avait toute la matière pour l’album et nous sommes rentrés en studio à Londres pour enregistrer, on était en mars 2020. A mi-chemin de l’enregistrement, j’avais fait la plupart de mes prises de batterie et une majeure partie de la musique était en boîte, quand le confinement est tombé et que nous avons dû rentrer chez nous. Durant cette période on avait une autre séance de studio prévue chez nous à Brighton, on a profité de ce moment pour bosser deux trois trucs. Mike a travaillé sur des lignes de guitares et de clavier, trouvant ce qui était la trame de  »Typhoons » et  »Limbo ». Au final quand on a pu retourner en studio on avait quatre nouvelles chansons qui ont totalement transformé l’album. Nous avions aussi  »Oblivion » et  »Mad Visions ». Ces quatre titres sont vraiment imposants, des pièces maîtresses de l’album. Oui, ça a totalement transformé ce que nous allions sortir.

De quelle manière le confinement a-t-il changé votre manière de faire de la musique, voir la relation que tu avais avec Mike ?

Cela n’a en fait pas vraiment changé notre manière de faire de la musique. Evidemment que les circonstances ont fait que l’on a dû s’adapter un peu, ne pouvant pas nous voir autant que d’habitude. Mais comme nous avons tous les deux le luxe de pouvoir faire de la musique chez nous, que nous avons notre propre studio avec (il se tourne pour montrer à la caméra) comme tu peux le constater, beaucoup de claviers et de guitares, tout est là pour bosser et avoir des idées. En fait pour être honnête, ce confinement a surtout été assez agréable pour moi parce que je suis au fond plutôt un garçon casanier, et que durant les six dernières années on avait été sur la route. Là j’ai pu me poser, réfléchir à tout ce que l’on avait fait, juste m’asseoir dans mon jardin et faire de la musique, au lieu d’être dans un bus de tournée.

Avez-vous envisagé la possibilité de faire un live en streaming ?

Je pense que nous arrivons à la fin de tout ça, avec un peu de chance. Un live en streaming ne remplacera jamais un vrai concert, je veux dire qu’il remplit peut-être un vide, qu’il peut y avoir des trucs sympas, mais ça ne remplacera jamais ce que l’on vit en vrai. Là nous avons quelques festivals de prévus cet été, nous espérons avoir une tournée l’année prochaine. Quoi qu’il arrive il faut tenir bon, rien que pour l’expérience vécue avec nos fans, et le fait simplement d’être ensemble.

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