C’est un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage, la détonation des fusils de cavaliers lancés dans une charge que l’on n’attendait plus. Greta Van Fleet est un des derniers espoirs de ceux qui croient encore à la révolte rock. On peut regretter que l’on mesure désormais la notoriété de ce groupe au nombre de streams, que les ventes d’albums soient devenues si anecdotiques que le support physique meurt de sa belle mort. Toujours est-il que le succès de ce groupe montre que le grand public a encore faim de rock, et c’est la seul chose qui compte.

Celui-ci aime toujours autant détruire ce qu’il adore et, dès le premier disque, le nom de Led Zeppelin fut envoyé à ces jeunes musiciens comme un soufflet. Pour beaucoup, cette proximité était suspecte, la grenouille Greta Van Fleet plagiait le bœuf Led Zeppelin dans l’espoir de devenir aussi grosse que lui. On crache plus que jamais sur les réinventeurs du Classic Rock mais où sont les autres ? Oasis était déjà vu comme un imitateur des Beatles, ce qui ne l’a pas empêché de bâtir une œuvre à faire rougir les Foo Fighters et autres gloires éphémères.

Aujourd’hui plus encore qu’hier, la modernité appartient aux réactionnaires, à ceux qui se sont tant abreuvés aux sources du rock seventies, qu’elle semble désormais couler dans leurs veines. C’est ainsi que des ouvriers honnêtes, tels que Blackberry Smoke ou Rival Sons, redonnent vie à la vieille carcasse fatiguée d’un rock que l’on dit classique.

Ce que Greta Van Fleet a compris, c’est qu’il ne se libérera de la comparaison pesante qu’on lui a collé qu’en s’évadant dans un lyrisme monumental. « The Battle at Garden’s Gate » n’est pas l’honnête maçonnerie d’humbles artisans du rock traditionnel, c’est une cathédrale symbolisant le désir de conquête de ses bâtisseurs. En ouverture, un orgue solennel annonce le début d’une cérémonie glorieuse, la batterie s’emballe comme les cœurs de dévots éblouis par tant de splendeur. La guitare chante comme une lyre au milieu des gémissements charmeurs des violons, offrant au chant une grandeur apte à saluer les grands combattants du lyrisme heavy rock.

Ce chant, c’est Robert Plant bâtissant son escalier vers le paradis, c’est David Coverdale saluant les esprits des martyrs de Babylone, c’est le retour d’un rock au sommet de son énergie transcendantale. Après le recueillement vient le combat, « My Way Soon » montrant un groupe qui prend ses instruments comme on prend les armes. Le mitraillement boogie blues d’un riff dantesque sonne comme l’assaut d’une armée galvanisée par le feeling des Black Crowes.

En cette sombre année 2021, Greta Van Fleet est un guerrier isolé dans la mêlée de la pop moderne, il défend sa peau avec la rage du dernier combattant d’une civilisation agonisante. Quand « The Battle at Garden’s Gate » s’apaise, c’est pour tisser des fresques heavy symphoniques dignes d’Uriah Heep célébrant ses « Demons and Wizards ».

La maladie de notre époque est la légèreté. La « culture pop » produit des kilos de films récréatifs, des trombes de guimauves sonores qui veulent être appelé musique, des millions de « produits culturels » standardisés par des conseillers marketing ayant la prétention d’uniformiser les goûts. Greta Van Fleet a compris qu’il ne tuera pas le monstre qu’est ce modernisme décadent en glissant quelques parcelles de beauté dans une œuvre vendue aux canons de l’époque. Alors il crée un temple énorme, impose une fanfare dont le charisme fait taire le torrent de la médiocrité moderne.

Sur « Age of the Machine » , la batterie palpite comme un cœur bestial, la guitare rugit comme un vieux lion au sommet de sa majesté virile. Avec de telles fresques, le rock cesse de s’excuser de son éternelle grandeur, il réduit l’ogre d’un modernisme décadent au rang de nabot lamentable. L’acoustique s’unit ensuite à l’électrique sur « Tears of Rain », le piano et la guitare s’enlacent dans une symphonie épique.

« The Battle at Garden’s Gate » donne l’impression que Greta Van Fleet joue dans un gigantesque dôme, la hauteur d’une architecture gothique donnant à ses riffs un écho communiant avec de redoutables dieux païens. Cet album redonne un peu de gravité et de grandeur à une pop de plus en plus enfantine et bassement récréative.

Malgré l’allure d’une telle réussite, parler de renouveau ne serait rien d’autre qu’une belle illusion. La presse musicale étant au rock ce que Talleyrand fut à Napoléon, on peut compter sur elle pour détruire tout enthousiasme. De plus, nous ne sommes plus dans les sixties seventies, les scènes californiennes, sudistes ou londoniennes sont des fantômes qui ne ressusciteront plus. Chaque artiste évolue aujourd’hui dans sa propre bulle créative, privé de cette saine compétition qui fit la grandeur des groupes devenus cultes.

Gageons tous de même que, quand la patine du temps aura permis à un tel meuble d’obtenir la reconnaissance qu’il mérite, on parlera de ce disque avec le respect que l’on doit aux grandes œuvres.

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