URGENCE DISK – FÊTE SES 30 ANS

Imaginez-vous Genève. Mais pas Genève avec ses bouchons, ses hôtels de luxe, son horloge fleurie et ses banques à foison. Aujourd’hui, on vous parle de la Genève qui a fait ses lettres de noblesse avec ses squats et ses quartiers culturels alternatifs, à l’image de Lausanne et de la Dolce Vita.

En 1990, Genève était pourtant bien vivante en matière de rock, et de culture underground. Le quartier autour de la gare était un passage obligé pour tout amateur de danse dans des lieux sombres et transpirants, se retrouvant le lendemain sentant la cigarette jusqu’aux sous-vêtements. Les Grottes et son quartier rempli d’artistes, l’Artamis, le RHINO, la très fraîche Usine, Fiasko et consorts se retrouvent bastions de la scène culturelle locale. Et début mars 1990, après neuf mois de gestation, un certain Damien se retrouve avec les clés d’un nouveau terrain de jeu dans sa ville natale, Urgence Disk.

‘Le lieu a ouvert le 1 mars 1990, neuf mois après l’ouverture de l’Usine, un peu avant l’ouverture des salles de squats, hormis l’Ilot 13 et la Cave 12. Urgence Disk était directement lié au KAB de l’Usine et géré par les même personnes. Le lieu est d’ailleurs toujours une prolongation de l’Usine. C’était un espace de dépôt pour les label indépendants, pour les fanzines, et les travaux de sérigraphies’, explique Dam.

Car l’Usine est un très gros bâtiment, et les associations qui y vivent sont nombreuses. Mais là où Urgence Disk tire son épingle du jeu, c’est que la petite salle se retrouve bien vite comme cœur de l’Usine. ‘On était le bar le moins cher de la République, idéal pour les befores… et surtout les afters qui pouvaient durer 24 heures… Mais ça c’est un autre temps!’ plaisante Dam. Et c’est probablement cela qui fait que Urgence Disk se retrouve bien vite au bord des lèvres de tous les amateurs de soirées qui ne se terminent jamais.


Mais Dam n’est pas patron de bar, ce qui lui plaît, ce sont les vinyles, les cassettes, découvrir des groupes dès leur naissance et leur offrir une plateforme pour faire démarrer leur carrière. Car Urgence Disk n’est pas uniquement qu’un magasin de disques, c’est également un label tenu par un petite équipe solide depuis 1999. Et probablement l’un des plus prolifique de Suisse !

‘Pour qu’un artiste soit signé chez Urgence Disk, il n’y a pas de critère artistique, juste le feeling. Un artiste ou un groupe qui frappe à notre porte et cherche une maman et un papa pour changer leurs couches et le nourrir ne rentre pas dans notre fonctionnement. Tu viens à Urgence, tu deviens Urgence. Pas besoin de la perfection, il y d’autres labels pour ça. Si tu es honnête et que ta musique parle d’elle-même, c’est ce qui nous importe le plus et qui va nous parler. Le label a de très grands noms, mais également des projets qui resteront dans l’underground.’

Damien ne veut pas qu’Urgence colle à un certain style musical, ce qui compte le plus pour lui, c’est l’esprit et la dynamique d’un son. Greta Gratos, The Crags, MXD ou même Desireless, tous se sont fait presser par le label. ‘Notre catalogue est très riche en variétés, au niveau de styles et d’ethnies’, explique Dam. Car la musique n’a pas de genre. Elle se veut ancrée dans le travail acharné et la passion est son moteur. ‘1999 marque la nouvelle période du lieu et on sort notre premier disque en mode label ! 21 ans c’est 260 sorties physiques au compteur.’ 12.38 sorties par ans, plus d’une nouvelle galette par mois ! Vous comprenez mieux le côté prolifique ?!

Mais les temps ont désormais bien changés, et Genève n’est plus ce qu’elle était dans les années 90. Les salles autogérées se retrouvent lapidées en dix ans, et la Cité de Calvin se retrouve avec une petite poignée de salles qui survivent péniblement, comme l’Usine – bien que constamment menacée de fermeture – , l’Ecurie, quelques endroits indépendants dans le quartier des Grottes, ce terrain fertile se retrouve désormais aseptisé. Pourtant, Urgence Disk tient la barre. ‘ C’est grâce à vous, juste vous qui ne voulez pas qu’Urgence Disk ferme’, admet Dam. ‘Je me suis fais prendre au jeu, et encore merci aux très, très nombreuses personnes qui m’ont aidé à remettre la barque à flot plus d’une fois.’

‘Pendants plus de 20 ans on pratiquait l’import-export officiellement comme distributeur inscrit dans le TOBEK, la Bible des disquaires. Au fil du temps, les 210 distributeurs suisses sont passés à moins de 40. Depuis dix ans, on ne travaille pratiquement plus avec les distributeurs et notre politique va pour les échanges entre label et les groupes qui se produisent à l’Usine et au shop.’ Et le passage au numérique, qui a vu la vente de disques fondre comme neige au soleil ? Dam en est conscient, mais reste optimiste. ‘Le jours où Urgence Disk sort uniquement du virtuel, le label sera dead. Le lieu lui peut continuer à vendre des collectors et de bières’, plaisante-t-il.

Car le label existant à Genève depuis si longtemps a réussi à faire émerger des groupes désormais cultes ! ‘ Je suis très fier d’avoir continué à suivre Damian de BAK XIII et Garf (R.I.P) sur leurs projets : huit albums pour BAK XIII et cinq pour Artmode! Il n’y a pas de plus grosse sortie pour moi. Je suis très content d’avoir des groupes comme LA MUERTE, Zeni Geva, The Weathermen, Neon Electronic, Desireless, Hell’s Kitchen ou dernièrement les Californiens de Heathen Apostles (ex.Cramps).’

Trente ans, c’est presque la moitié d’une vie passée dans des lieux sombres à faire survivre une culture constamment mise en péril. On s’est mis à rêver, et avons donc demandé à Damien ce qu’il ferait si on lui donnait les clés de la Ville.

‘ Je commencerais par expliquer à certains individus que personne ne nous vole notre travail, ce sont souvent des gens qui font des jobs que les résidents genevois ne veulent pas faire. Et les seuls fautifs sont uniquement les patrons qui les engagent pour se faire plus de profit. Je me suis souvent retrouvé dans des situations absurdes, à prendre des boulots aux mandats à 100.- la nuit pour payer mon assurance maladie exorbitante – la même qui peut te plonger dans les sphères des poursuites infernales. Alors, si j’avais les clefs de Genf, j’imposerais un salaire minimum pour tous et des assurances basées sur tes revenus, un peu comme le fait le système politique des pays nordiques.’

Rares sont les gens qui se retrouvent à faire ce qu’ils aiment et bravent vents et marées pour servir la culture alternative dans un milieu qui ne cherche qu’à l’éradiquer. Urgence Disk reste, dans le cœur des Genevois et de la scène Romande, un étendard fièrement levé pour un monde musical ouvert, tolérant, varié. ‘Urgence Disk, c’est ma famille, mon terrain de jeux, un apprentissage infini même, après 30 années.’ sourit Dam. Et on leur souhaite 30 ans de plus. [LN]






URGENCE DISK – Vu par ses artistes

1) Quand avez-vous rencontré Urgence Disk et qu’est-ce qui vous a plu chez ce label?
2) Pourquoi Urgence Disk est-il important pour la scène culturelle genevoise?
3) Pourquoi as-tu choisi Urgence Disk plutôt qu’un autre label?
4) Un artiste signé chez Urgence Disk que tu recommenderais?


GRETA GRATOS
1) J’ai d’abord rencontré Damien Schmocker dès l’ouverture du Kab de L’Usine en 1989, puis ai vu naître son label (et le magasin de disques) Urgence Disk. L’énergie incroyable que Damien met dans tout ce qu’il fait, sa personnalité, son exigence et la qualité de son travail, tout comme sa bienveillance et ses qualités d’accueil (aussi bien des artistes que du public) m’ont toujours impressionnée.

  1. Parce que ce label est unique, qu’il sait mélanger les genres tout en gardant une identité forte, qu’Urgence Disk c’est aussi un nombre incroyable de concerts, un lieu de convivialité et d’échanges (on pourrait presque dire une sorte de cabinet de curiosités).
  2. Tout simplement parce que Damien m’a proposé d’en faire partie et que sa façon d’envisager et de faire vivre le label correspond parfaitement à mes convictions.
  3. Il y en a tant… je dirais l’un des plus emblématiques : BAK XIII

BAK XIII

1. Quand j’ai rencontré Dam, alias Baron Von Smock, il travaillait au KAB de l’Usine, nous avons vite sympathisé et je l’ai rejoint dans son projet FADE. Il était donc parfaitement évident qu’une fois qu’il a lancé le label j’en ferai partie. Nous avons monté BAK XIII ensemble et c’est là que tout est sorti. Un label qui fonctionne comme une communauté, éclectique à souhait, qui fonctionne à la passion, indépendant… Quoi de mieux? Pas d’embrouilles, pas de contrats foireux.

2. Ce qui rend indispensable ce label, c’est que c’est une plateforme formidable, tu as un truc prêt, tu le sors et voilà. Plutôt que d’attendre des réponses de labels plus conventionnels et de végéter dans des tiroirs, tu avances et tu as quelque chose de tangible à montrer et à faire écouter. Tu te fais une discographie et si tu tombes sur une proposition d’un autre label, tu es libre d’y aller, tu as un back catalogue et de l’expérience.

3. Les raisons précitées, évidemment, mais aussi qu’à mon sens les labels conventionnels n’ont plus tant de moyens. Tu te retrouve à payer pour de la promo et pour quasiment tout sans aucune garantie, chez Urgence tu as tes disques, tu te démerdes pour les vendre, mais tu ne dois rien à personne. Si tu le fais, tu touches de quoi recommencer et tu y vas. Tu n’es pas coincé et tu peux gérer ta micro-économie, sans deal foireux.

4. A vrai dire c’est tellement éclectique comme catalogue, que je recommande de tout écouter, il y’en a pour tout les goûts, à chacun d’y trouver son bonheur et de se laisser surprendre par la richesse du terroir !

THE MUDCATS
1. On connaît Damien depuis un bon bout de temps et il nous avait souvent donné l’opportunité de jouer. Le fait qu’il s’investisse autant pour la scène locale nous touche beaucoup. C’est pas facile d’avoir des opportunités dans ce style de musique mais Damien est un fervent défenseur du terreau genevois.

  1. Les lieux de concerts se sont réduits comme peau de chagrin. Urgence Disk reste l’un des derniers bastions de la musique alternative à Genève. Avec des concerts quasi quotidiens, ce lieu permet aux groupes locaux de se produire plus facilement que dans les grandes salles. L’accueil est toujours au beau fixe et c’est une véritable vitrine lorsqu’il s’agit de présenter sa dernière galette.
  2. Nous avons tout de suite pensé à Urgence Disk pour notre dernière sortie car le label est spécialisé dans le vinyle. Damien a un véritable réseau avec des contacts chez des disquaires dans toute l’Europe. Le vinyle n’est pas un format facile à distribuer, du coup Urgence Disk vient combler la brèche et offre un sacré services aux groupes. De plus, c’était l’occasion de travailler avec Damien, qu’on apprécie beaucoup.
  3. Il y a beaucoup de bons artistes signés chez Urgence Disk, mais le premier qui me vient à l’esprit est Six Months Of Sun un excellent groupe genevois de stoner qui rencontre un joli succès.

ESTER POLY
1. J’ai rencontré Damien il y a  30 ans et je connais le label depuis qu’il existe.
2. Damien est un infatigable activiste de la scène musicale genevoise. Par sa longévité, son large spectre musical et ses nombreuses publications  Urgence Disk  est LE label genevois qui a le plus fait pour la scène régionale.

  1. Urgence Disk respecte beaucoup les artistes. Le label  leur laisse leurs droits d’auteurs et ne prend pas de droits d’édition.
  2. Un groupe ? Bak XIII