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DRF : Loran merci à toi, ce n’est pas chiant de devoir encore répondre à des interviews au bout de tant d’année  passées sur les routes ?

Loran : Non non, en fait j’adore ça, car je trouve que c’est hyper important, comme la communication  c’est important, c’est même essentiel, si je fais de la musique c’est essentiellement pour ça. Quand on revient aux sources du rock’ n’ roll qui est né dans un champ de coton comme l’a si bien chanté IAM, ben voilà pour moi le rock est revendicatif et à partir du moment où le rock est revendicatif il a donc des choses à dire, faire une interview pour moi c’est super. Et c’est moi qui te remercie de prendre du temps pour faire une interview, ce n’est pas forcément le cas de la presse officielle, c’est vachement intéressant qu’il y est de la presse alternative comme ce petit canard rock.

DRF: C’est quoi la question qu’on t’a posé le plus souvent et qui te casse les couilles à chaque fois ?

Loran : Pourquoi vous avez arrêté Les Bérus ? C’est une question que je trouve franchement …(soupir) Voilà c’est bon quoi. Maintenant ça commence à passer,  mais ça a été très long, je l’ai entendu pendant une vingtaine d’année. Pourquoi vous avez arrêté les Bérus ? Comme si c’était un sacrilège d’être un groupe libre !! En fait pour moi un groupe libre c’est un groupe qui commence et qui s’arrête quand il le veut ! Tout simplement. Il se trouve qu’avec Les Bérus on est tous en connexion très forte, c’est une fratrie. On c’est tous connu à 17 ans, on a arrêté Les Bérus à 25, on a vécu toute une partie de notre vie ensemble, c’est des moments super important. Et des fois  pour continuer à s’aimer il faut être capable de s’arrêter au bon moment, quand on s’aime encore. C’est ce que je reproche à beaucoup, à la plupart des couples autour de moi qui se déchirent. Non Les Bérus on s’est jamais déchirés, Les Bérus n’ont pas arrêté parce qu’ils s’aimaient pas, ils ont arrêtés parce qu’ils s’aimaient et qu’ils voulaient encore continuer à s’aimer.  Et aussi parce qu’on estimait qu’être une locomotive c’était sympa, mais il fallait que les choses tournes. Nous on est libertaire, on est pour une autogestion, on n’est pas dans les clichés avec un leader et des gens qui suivent derrière. Okey si il faut impulser quelque chose on est là on le fait mais faut que les choses tournes. Je pense arrêter les Bérus c’était chouette, ça permettait d’autres choses. On le chantait «  tous des Béruriers », du moment où on est tous des Beruriers, Les Bérus c’était juste un prétexte pour faire un concert et une communion entre les gens, mais après ça je pense que les gens ont pas besoin des Bérus.

DRF: Ben si quand même un peu…

Loran : Je ne suis pas d’accord avec toi. Il faut respecter les séparations de groupes. On veut quoi ? Qu’on fasse comme Metallica ? Des groupes qui continuent parce que c’est un business ? Ils ont besoin d’avoir un psy parce qu’ils n’arrivent plus à se parler ? Comme Aerosmith qui viennent jouer au Hellfest en venant chacun dans un bus séparé car ils se parlent plus. Okey on les voit sur scène mais les mecs arrivent plus à se parler. C’est quand même assez étrange, on n’est pas du tout dans ce délire-là. La base d’un groupe c’est la sincérité.

DRF : On ne va pas refaire ton CV et le parcours déjà bien rempli des Ramoneurs de Menhirs, mais quand il t’arrive de penser à ce que tu as fait, à ce que tu fais actuellement…

Loran : A ce que je n’ai pas encore fait (rire). Car maintenant j’arrête de dire des conneries, je les fais ! (rire général)

DRF : Comment tu vois ça, ces 39 années de carrière?

Loran : C’est une évolution qui me paraît … (réflexion) je suis assez content. Au sens où j’ai géré ma vie exactement comme je le pensais, de manière à être le plus en harmonie avec mon cœur. Évidemment, il y a plein de contraintes. On est dans un monde capitaliste, et on sait là où il nous mène. Ça m’agace énormément. Le partage pour moi c’est la première des choses. A partir du moment où, une poignée de gens tiennent tout et que les autres crèvent de faim, il y a vraiment un problème. Voilà déjà ça c’est la base. A part ça, j’ai eu le chemin que je me suis tracé, de manière très simple avec ma vision des choses. Si je devais mourir demain par exemple, je  me dirais que j’ai eu une belle vie. Je suis vraiment serein, j’ai passé la cinquantaine de manière sereine.  C’est-à-dire que je n’ai pas l’impression d’être passé à côté. J’ai fait avec ce que j’avais, je ne dis pas que c’était parfait ce que j’ai fait, mais j’ai fait avec mes moyens. Je n’ai pas un ego disproportionné, je sais exactement où sont mes qualités et mes défauts, et je les gère de façon saine.

DRF : Quel regard tu portes sur les 3 albums réalisés par les Ramoneurs, le dernier étant sorti maintenant il y a plus de deux ans ?

Loran : On a un groupe qui ne fait pas beaucoup de disques. C’est vrai que 3 albums en 10 ans, ce n’est pas beaucoup. On a fait plutôt le choix de jouer en concert. On y passe beaucoup de temps, on en fait entre 80 et 100 par an. En 10 ans on a dû en faire 800 à 900, ce qui fait à peu près 3 fois plus que les Bérus (rire), ce qui est fou quand même. Pour nous, faire un album c’est laisser une trace, laisser une trace qui nous plaît.  Parce que tout ce qu’on voit sur internet, moi j’ai arrêté internet, ça me gave… Mais quand tu vas regarder sur Youtube, le son est atroce, c’est filmé dans des conditions horribles, avec un appareil photo pourri, donc c’est vraiment naze et ça laisse une sale impression.  C’est important de faire un album en présentant les chansons comme on les voit. A part ça, c’est la scène qui nous plaît. Un album ça nous sert à faire des concerts.

DRF : Jamais vous n’avez eu envie ou songé à recruter un batteur ? Il ne serait pas capable de reproduire les rythmiques ?

Loran : En fait ça c’est fait comme ça. Ce n’est pas un choix d’avoir pris une boite à rythme, ça s’est fait comme ça. On était deux, mon premier groupe c’était ça aussi. Moi ce qui me plaît c’est le côté deux. C’est un couple. Les Ramoneurs se sont formés avec Eric, le sonneur sur « Vive le feu ».

DRF : Qu’est ce qui fait que vous soyez capable de retourner une bande de punks pendant 1h30 et de faire la même chose dans un bon vieux fest noz traditionnel ?

Loran : Déjà, une heure trente c’est vraiment court. Au pire on a joué 3 heures je crois. Deux heures c’est le minimum, il faut que le phénomène de transe se mette en place. C’est une communion entre le public et le groupe. C’est comme une bonne nuit érotique, 1h30 c’est juste. Donc prenons notre temps, et on le prend pour bien faire monter la sauce. Et c’est ça qui me plaît avec les Ramoneurs de Menhirs. Tu vois avec les Bérus, on fédérait la jeunesse. Le mouvement de la  jeunesse. Avec les Ramoneurs, on fédère tout le monde. On se rend compte que la Bretagne est vraiment une tribu, dans le public ça va de 3 ans à 84 ans. Comme on fait du traditionnel, tout le monde connaît les morceaux en Bretagne, moi je rajoute juste de la couleur avec la guitare et la boîte à rythme. Et puis on peut partager la scène avec  un bagad, la fanfare traditionnelle bretonne. Ça, moi je trouve ça vraiment très fort. De toute façon, tous les groupes dans lequel, j’ai joué je les ai toujours trouvés très fort sinon j’aurais arrêté. Tu vois là ce groupe-là, je suis hyper impressionné par ça. Quand on joue en Fest Noz ce qui est vachement fort, c’est quand  tu vois une grand-mère danser une gavotte avec un punk à crête, et qu’à la fin le punk demande la grand-mère en mariage, la grand-mère rougit. Ben ça c’est des images que tu ne vois qu’en Bretagne. Les murs entre les générations sont pulvérisés, les gens font la fête ensemble malgré leurs conditions sociales. Tout le monde vient. N’importe quel âge, n’importe quel sexe, n’importe quelle appartenance. Et les gens qui ne connaissent pas les danses regardent et ils rentrent dedans au bout d’un moment. C’est comme ça qu’on apprend.  Et c’est super fort de voir cette unité, de voir ces gens se tenir par la main et danser ensemble, qui ne se connaissent pas et qui dansent ensemble !! Ce n’est pas comme dans un concert où les gens se grimpent dessus. Là il y a une pure osmose, je suis toujours impressionné par ça. On joue beaucoup en Fest Noz, on devrait peut-être y jouer plus.

Mais tu vois, ça c’est représentatif de l’ouverture de la culture bretonne. Tu vois, quand je suis arrivé en Bretagne j’ai rencontré Eric et Richard, les sonneurs avec qui je joue, qui ont été plusieurs fois champions de Bretagne. Moi j’en avais jamais gagné de coupe, j’ai jamais été champion de quoi que ce soit. Alors je leur ai demandé de voir si on pouvait jouer avec un groupe composé d’une guitare électrique et d’une boîte à rythme. On n’a rien trouvé dans les règlements qui nous l’interdisait. Alors on s’est inscrit au concours de Laridée, on est devenus champion de Laridée, ensuite  on a été à Pontivy pour la finale, avec tous les champions de danses bretonne, la gavotte, le quadrille, bref on était une quinzaine et on a gagné, on est champion de danse traditionnelle bretonne. Moi le petit Béru, t’imagines ! Tu vois, quand je suis arrivé en Bretagne ça m’a plu de suite. J’ai rencontré un jeune druide qui m’a dit « écoute Loran tu connais la prophétie des druides en Bretagne » je lui ai dit non. « Seuls les étrangers  rendront la Bretagne libre ». Ben tu vois ça c’est une prophétie qui pourrait être très forte en France. Imaginons cette même prophétie en France « Seuls les étrangers  rendront la France libre ». Mais bienvenus les immigrants !!!! Du coup ça ne pose plus de problème. Je trouve que la France est sur le repli. D’ailleurs l’Europe entière, le monde entier avec Trump, comment on en est arrivé là ? Quand tu regardes ce qui se passe en Autriche, en Hongrie, en Pologne avec ce recul sur l’avortement… On sent qu’on est dans un mouvement de recul. Le capitalisme ce casse la gueule et on nous fait croire que si ça se casse la gueule c’est de la faute des autres. Et ça, ça m’énerve. C’est nôtre faute à nous parce que le capitalisme c’est de la merde. A partir du moment où l’argent est plus important que nos enfants, c’est de la merde. Sinon nos enfants ils devraient manger bio à chaque repas, dans chaque cantine. Quand on voit ce qu’on leur fait bouffer, ce que l’Etat leur donne.  L’Etat est le chef de tribu. Il doit protéger sa tribu.  Il ne le fait absolument pas, ses enfants il n’en a rien à foutre. Il leur balance des trucs débiles à la TV qui lobotomisent les gamins, il leur balance des conneries sur internet. Il les rend accro à internet. On est dans un système complètement irrespectueux envers nos enfants ! C’est le délire. Ce système-là est voué à mourir, une tribu qui ne respecte pas ses enfants est vouée à mourir. C’est exactement ce qui nous arrive. Ce n’est pas parce que nous on va mourir qu’il faut en vouloir à ceux qui sont différents de nous. On s’est permis de massacrer tous les peuples primitifs, toutes les civilisations racines ont été massacrées par nous car on s’estime supérieurs, car on estime que notre culture est supérieure aux autres, on a colonisé les gens. La première chose que Hollande a faite quand il a été élu, c’est d’aller déposer une gerbe de fleurs, j’aime bien ce terme de gerbe,  sur la tombe de Jules Ferry. Mais Jules Ferry c’était un putain de colon. Okey ce n’était pas un colon agressif, ce n’était pas un colon qui disait on doit les tuer, il disait «  on a tout à leur apprendre » !!! Mais c’est horrible !! D’où on a tout à apprendre aux autres ? D’où ce ne serait pas eux qui auraient des choses à nous apprendre ? Eux ils ne massacrent pas la planète ? Non, ils vivent en harmonie.  On aurait pu s’apprendre des choses, mais non car on se sent supérieur aux autres. Arrêtons de stigmatiser les autres cultures, et attaquons nous aux problèmes de la notre. Le vrai problème c’est l’argent et le capitalisme, voilà le problème.

DRF : Après cette déclaration j’ai l’impression que tout va être fade. Revenons-en au Fest Noz. D’ailleurs le punk noz c’est votre création ou ça existait déjà avant ?

Loran : (rire) Tu vois quand j’étais un jeune punk fin des années 70, j’écoutais les Sex Pistols et les sœurs Goadec. Elles étaient 5 au début, puis sont passées à 3, c’est des sœurs qui ont relancé le Fest Noz en Bretagne après la guerre. Ce qu’il faut rappeler, c’est que le système jacobin français a interdit de parler Breton en Bretagne, les enfants qui parlaient Breton étaient punis, et la punition parfois c’était de porter un sabot autour du coup, et pour enlever le sabot il fallait dénoncer un autre camarade qui parlait breton. On apprenait aux enfants la délation, mais c’est affreux ! Le système jacobin français c’est ça. Arlette Laguiller a dit un jour «  Les bretons ils ne parlent pas, ils aboient ». Le système politique français il est JA-CO-BIN, que ce soit Marine Le Pen ou Mélenchon c’est la même chose, c’est des jacobins, ils estiment que les cultures minoritaires doivent être uniformisées. Pour créer une nation artificielle, la France, on essaie de tout uniformiser. C’est faux. Pour moi, la France aurait pu être une fédération. Pourquoi la France ne serait-elle pas une fédération ? Mais une fédération ça veut dire qu’on doit respecter toutes les tribus qui s’y retrouvent. On respecte les bretons, les basques, les catalans, les alsaciens, les chtis,  les berrichons et toutes leurs cultures. La différence, c’est quelques choses de bien en fait. Pour moi, ce qui représente le fascisme, c’est l’uniformisation, le clonage. C’est vraiment typique. Et les premiers à le faire c’étaient les nazis dans les camps. Alors méfions-nous. Écoutons la nature. On a exterminé tous les amérindiens et les derniers qui restent, on les a mis dans des zoos, alors que ces gens étaient en connexion avec la Terre. On a perdu cette connexion-là, parce qu’être en connexion avec la terre, ça ne rapporte pas de pognon. Mais le jour où on n’aura plus un arbre, on ne pourra pas bouffer le pognon. L’argent ne servira a rien quand il n’y aura plus rien. Tu peux en avoir plein mais quand il n’y a plus rien il te sert à quoi ? Et en plus, réfléchis à aller sur Mars pour y faire la même chose ? Mais réglons déjà nos propres problèmes et après on verra. Je suis sûr que si on prenait du temps pour réfléchir, on ferait de grandes choses.

DRF :Et donc le Punk Noz ?

Loran : C’est exactement à l’image du groupe, on fait le lien avec la tradition Bretonne, même en allant plus loin, la tradition celtique, puisque la Bretagne fait partie de la tradition de la grande culture celtique. On est une tribu de la grande nation celte, et elle a respecté les diverses tribus celtes. La Nation amérindienne respectait les différences des diverses tribus indiennes. On était ensemble, et en plus on était capable d’accepter la différence des uns et des autres. Si on était encore capable d’observer les grandes forêts primaires – d’ailleurs il n’y en a plus beaucoup – si on était donc capable de les observer, on remarquerait qu’elles sont très puissantes. Pourquoi ? Parce que dedans il y a des milliers d’essences différentes, qui vivent en harmonie. Moi je pense que l’homme pourrait être une grande forêt primaire. C’est-à-dire que s’il y a des différences entre les hommes, ce n’est certainement pas un pur hasard. Si on a des différences c’est qu’on doit être capable de vivre avec nos différences. Regarde l’Homme et la Femme, moi je ne dis pas qu’il y a une différence. Là où il y a un problème c’est qu’on pense qu’il y a un sexe supérieur à l’autre, mais ce n’est pas vrai. Comme il ne faut pas dire que c’est la même chose, c’est différent. Ce n’est pas du tout la même chose et c’est ça qui est bien, c’est pour ça qu’ils rentrent en osmose. Ce qui donne la vie c’est la différence. Et à force de tout uniformiser, on va vers des civilisations encore une fois mortes, qui sont en train de mourir, on est des civilisations mourantes. Donc la tradition Bretonne et le punk rock, pour nous, s’il y a un lien, c’est l’esprit d’insoumission. C’est ça que ça exprime le Punk Noz. C’est le lien direct entre le punk et la tradition bretonne.

DRF : En 10 ans de ramoneurs, il y a des titres que tu n’aurais pas écrits ou que tu aurais écrits autrement ?

Loran : Non. Au bout d’un moment, les morceaux faut qu’on les pose sinon ils vont évoluer constamment. Avant le premier album, les morceaux, on les jouait depuis un an, le deuxième album aussi. On sait rendu compte que les gens connaissaient tous les morceaux car à cause de youtube, tous les morceaux y passaient. Tu vois, ça m’énerve beaucoup youtube. Pour moi, un concert c’est l’instant présent, c’est la communion. Et avec internet et youtube, ça incite les gens à rester le cul collé dans une chaise. Tu veux rencontrer quelqu’un, tu tapes sur un site de rencontres, tu veux bouffer une pizzas, tu restes chez toi tu te fais livrer. Les gens ne sortent plus et ne sont plus curieux. Je pense que le slogan révolutionnaire de demain ce sera «  sortez de vos maisons » (rire). On nous fait croire que dehors c’est la guerre, mais non dehors c’est la vie. Du coup quand on a sorti notre troisième album, on ne l’a pas joué en concert. Mais en même temps, les jouer en concert, ça les affine. Un concert c’est le résultat de combien de répètes ? Ça n’a rien à voir, là t’es en condition « direct », c’est la théorie et la pratique, la répétition c’est la théorie, le concert c’est la pratique. Quand tu le fais en pratique, ton morceau évolue dans le bon sens. Maintenant qu’on joue l’album en live ça nous permet de faire évoluer encore les morceaux. Et puis quand tu fais un morceau, faut aussi trancher et dire j’arrête, un peu comme une peinture quand elle est posée, elle est posée, elle ne bouge plus.

DRF : Vous avez un morceau commun à beaucoup de vos compatriote régionaux, «  la blanche hermine »  : à quand l’enregistrement de ce morceau tous ensemble ou l’écriture d’un morceau défendant les valeurs bretonnes communes ?

Loran : ça se fait politiquement en Bretagne, il y a plein de collectifs, notamment breizhistance, avec qui on s’entend bien. Tous les collectifs libertaires. On pense que l’indépendance de la Bretagne c’est un repli sur soi. C’est faux, complètement faux, c’est tout le contraire. Moi je pense que les gens qui sont à l’aise dans leurs racines sont ouverts aux racines des autres. Et les racistes sont des gens qui ont des problèmes avec leurs propres racines, et ils ne supportent plus les racines des autres. Et je pense que la Bretagne serait beaucoup plus épanouie si elle se séparait de la France. Le gouvernement Français ne correspond absolument pas du tout à l’esprit breton, tout est basé sur le mensonge et cela ça ne correspond pas à la culture celte. La parole c’est vachement important, à partir du moment où tu dis quelque chose, tu dois assumer. Moi j’ai tout le temps assumé les choses que j’ai dites, je ne renierai jamais mes dires. Je peux évoluer. Je peux avoir une pensée et, à force d’en parler, évoluer. Je ne pense pas avoir des idées alors que les autres ne réfléchissent pas. Mes idées à moi sont arrêtées, mais je ne demande qu’à évoluer. Moi j’adore discuter. C’est pour ça que j’adore répondre aux interviews. J’adore la pertinence de certaines questions, j’adore quand on me pose des questions qui me mettent en danger, qui mettent le doigt sur certaines ambiguïtés, ça peut être intéressant, j’adore évoluer. Mais je déteste le mensonge et je ne retourne pas ma veste. Le gouvernement socialiste est un scandale. Déjà, je ne les appelle plus comme ça, je les appelle les «  social traîtres », ils se foutent de la gueule du monde. Comme Mitterrand. Quand les gens votent à gauche, ils votent pour le partage. Quand Hollande dit «  l’ennemi invisible c’est la finance », mais mon cul ! C’est du pur mensonge, il se fout de la gueule du monde, car il fait tout le contraire. Ou alors s’il est coincé, qu’il le dise, qu’il s’explique : «  voilà, quand j’ai pris mes fonctions je me suis rendu compte que j’étais tenu par les couilles. Et que ce n’était pas moi le président de la France mais les multinationales autour, comme Vinci et machins. » Ben dis-le putain ! Dis-le au lieu de décevoir les gens. Parce que le mec dépolitise tout le monde. Plus personne ne s’intéresse à la politique, les jeunes pensent même que la politique c’est n‘importe quoi. Du coup qu’est ce qui se passe ? Qui retire son épingle du jeu ? Le FN !!! le FN, les nazis, les fascistes arrivent toujours quand il y a une grosse crise économique et intellectuelle. Parce que là, ce qui se passe c’est qu’il y a une grosse crise intellectuelle, quand tu n’es pas capable d’assumer ce que tu dis, c’est que tu a un problème intellectuel. Alors la culture, pour moi, est une alternative à la politique. Moi, par exemple, je n’ai jamais joué à la Fête de l’huma à cause …

DRF : Oui mais tu as joué dans un festival capitaliste : Le Hellfest

Loran : Ha ben voilà on y est.

DRF : Oui désolé, mais jamais nous on n’aurait jamais pensé que des anciens membres des Bérus joueraient un jour dans un fest aussi sponsorisé par autant de choses…

Loran : Je suis d’accord. Bon, déjà, tu y étais. Malheureusement, on est parfois pressé sur la route, alors on prend l’autoroute et on file de la thune à Vinci et ça nous fait chier. Pour moi j’ai une radicalité sur certaines choses, dans la mesure du possible. C’est important d’avoir ce point de vue-là. C’est pour éviter de tomber dans des pièges et d’être coincé. Moi je n’étais pas d’accord pour jouer au Hellfest. Car pour moi c’est usine à thunes. On en a parlé entre nous, on est un collectif, je respecte le point de vue de tout le monde, j’ai dit « vous voulez le faire, on va le faire » et j’ai été le premier à me prendre une claque. Pourquoi ? Parce que j’ai vu 50 000 personnes en pure osmose, j’ai vu des jeunes femmes hyper sexy, tu n’as pas un mec qui se permet de faire une réflexion ou un geste déplacé, ça dans la rue tu ne le vois pas. 50 000 personnes en pure osmose, sans qu’il n’y ait aucune embrouille. Alors que c’est une culture qui parait agressives avec ses codes, ses clichés, mais c’était d’un bon enfant… Et finalement quand tu vois le prix de la place, le nombre de groupes qu’il y a, quand tu sais que les groupes en Zénith ou en salle prennent 70 euros, ça te revient en définitive à un ou deux euros le groupe sur le festival. Moi je suis pour que les concerts soient gratuits, l’argent ne se fait pas à la billetterie, il se fait au bar. Comme ça le mec qui n’a pas de thunes peut venir et ceux qui en ont un peu payent des coups. Maintenant, j’ai de très bons rapports avec le chef de tribu Ben, je trouve que c’est une belle personne. Je suis allé le voir avant le concert, il m’a dit «  je te comprends Loran, c’est une usine à thunes. Je gère des groupes internationaux qui sont casse couilles au possible et je ne parle pas aux groupes, je parle à leurs avocats… Mais si tu veux te faire une vraie idée, passe avant le fest voir comment ça se passe ». Alors on accepte le concert et je passe 15 jours avant le début du festival, voir comment le lieu se met en place. C’est hallucinant, tous les gens qui travaillent sur place. Les électriciens, les soudeurs, les artistes, il les fait vivre à l’année et en plus il les paye, il ne les arnaque pas. Ok, ils ont fait un temple à Kronenbourg, mais c’est une vraie œuvre d’art. Et après, dans les bulles, c’est des filles tatouées, les éclairagistes ils ont des dreads, les plombiers ont des crêtes, il fait bosser la grande famille de Bretagne. Et pour pas avoir de problème avec les gens de Clisson, le Hellfest offre 5000 pass aux habitants du village.

Mais jamais je ne jouerai aux Vieilles Charrues ou à la fête de l’huma. Parce que je ne veux pas jouer avec des gens qui demandent un million d’euros, c’est un affront pour la personne qui va aller les voir et qui n’a rien. Le mec va travailler toute sa vie et ne touchera jamais un dixième de ça. Et c’est pour jouer peu, ils ne jouent pas 1h30 ils jouent 1h17 car c’est marqué sur le contrat, pas une minute de plus. Et il y a des délires bien plus égocentriques que ça, et ça ne me branche pas du tout. Un artiste dans un fauteuil fait de la merde. Un artiste doit vivre la même chose que les gens. Dans les civilisations tribales, un chef de tribu est au même point que celui qui a le moins comme ça il sait ce que c’est. Si la politique était associative, et bénévole, au logement on met les mal-logés, là il se passera des choses car les gars savent ce que c’est. Aux affaires sociales tu mets les mecs de Emmaus car ils savent ce que c’est. Au ministère des sports tu mets des éducateurs de quartier, les gars qui transpirent pour sortir de nos cités les jeunes qui tombent dans la drogue et le crack de merde.

Et puis moi je suis pour la dépénalisation de toutes les drogues. C’est la culture putain qui compte, arrêtons d’interdire, les gamins ont les prends pour des cons ou quoi ? Quand c’est interdit tu fais quoi ? Tu y vas, tu fais le contraire, et  en plus c’est géré par des abrutis et ils font prendre de la merde aux gosses. Si c’était dépénalisé il y aurait au moins un contrôle sanitaire et là ils prendraient du vrai shit, de la vraie weed, de la vraie coke. Après, il faut éduquer les enfants. On nous fait tout un cinéma sur nos grands écrivains les Rimbaud, les Baudelaire… ils prenaient quoi ? Ben alors, et pourquoi à cette époque-là ça ne posait pas de problème ? On en est fiers de nos grands écrivains ! Sauf que maintenant, un écrivain qui prend de l’opium ou je ne sais quoi pour écrire, il serait boycotté, il ne trouverait même pas d’éditeur. C’est aberrant. Pour moi, toutes ces plantes, qui étaient utilisées et gérées par les chamans dans le temps, devraient encore être exploitées justement par quelqu’un. Mais on n’a plus de chamans, on  a des médecins. Le serment ? le serment d’hypocrite !!! Les mecs passent dans les maisons de retraites, ils passent ils font une croix sur un lit et prennent 30 euros par personne. Voilà le monde à la con dans lequel on évolue.

DRF : Tant qu’on reste dans les valeurs régionales, explique-nous un peu le concept de « Breizh 5/5 »

Loran : Ça c’est très simple. La Bretagne historique a été séparée par le Maréchal Pétain pendant la seconde guerre mondiale. Comment casser l’insurrection et la grande force de la culture bretonne : on prend la capitale, Nantes, qui est en l’occurrence la capitale historique de la Bretagne, et on l’assigne autre part. Alors 5 comme les 5 doigts de la main, tiens on l’a mis dans un de nos albums, attention on est très forts en maths : 22+29+35+44+56=1 voilà y’a pas plus simple que ça, la réunification de la Bretagne. Ce qui ne signifie pas non plus que tous les gens du 44 sont des Bretons.  Les gens qui sont pour la réunification ne veulent pas faire des gens des bretons de force. Mais il faut que ces gens soient conscients qu’ils sont dans des terres bretonnes, c’est important, c’est imprégné de la culture bretonne. Il y a des Fest Noz, il y a des écoles Dywan en immersion totale en breton, ça parle breton, ça danse breton, mes enfants sont dans ces écoles. Ce qui est intéressant dans ces écoles, c’est que les enfants sont directement bilingues. Ton cerveau ce démultiplie, ce qui veut dire que tu t’ouvres au monde. Putain tu penses en plusieurs langues, tu rêves en plusieurs langues. Les français ont beaucoup de mal car pour eux, il faut que ça parle français. On a imposé aux africains de parler français mais combien de Français sont capables de parler africain ?

Tiens regarde, j’ai assisté à une interview entre un linguiste et Bartabas. Le linguiste disait que dans le langage courant, un homme utilise 300 mots, Bartabas disait que les chevaux en utilisent autant. Je ne suis pas un sepsiste, je n’estime pas que les chevaux sont inférieurs à nous. Ce que je veux dire par là, c’est que le langage, la subtilité du langage, elle sert à ce que la communication soit claire. Maintenant, on utilise tellement peu de mots que tout le monde peut dire n’importe quoi, et personne ne comprend rien, et on en perd la finesse de la communication. Ce qui est bien dans la langue bretonne, c’est que c’est complètement différent du français. C’est pour ça qu’on ne traduit pas nos textes,  car ce serait vachement plus réducteur. La façon dont tu vas mettre les choses dans la phrase, l’ordre des mots donne un sens totalement différent à ta phrase. Par exemple « noir est le chien »  en breton, c’est que tu penses que le noir est plus important, si tu mets « le chien est noir » c’est que tu estimes que le chien est plus important, tu peux jongler avec les phrases, les choses sont vachement plus claires. L’idée de parler en breton, c’est de se faire comprendre le mieux possible et de savoir le mieux possible dans quel état d’esprit tu es quand tu parles. C’est une langue hyper intéressante pour ça et qui est très riche. Beaucoup moins compliquée que le français au niveau de la grammaire, mais beaucoup plus expressive. Je trouve ça génial. Mes enfants parlent français, moi aussi, les gens dans la rue aussi. Les gens disaient « oui mais tes enfants ne parleront pas bien le français », faut pas exagérer, les gamins ils ont un cerveau qui marche à 100 à l’heure, ils sont encore tout frais, ils réfléchissent mieux que nous.

DRF : Vous êtes mobilisés sur pas mal de sujets, on peut voir ça sur votre site internet, et celui-ci est ponctué tout en bas d’une photo d’enfant avec en légende : pour nos enfants sauvons la planète. Tu ne penses pas qu’en définitive on est des égoïstes d’emmener nos enfants là où on les emmène ? Une prise de conscience collective réussirait-elle à faire changer les choses ?

Loran : Absolument, je suis entièrement d’accord. Je vois, le « No Future » des Sex Pistols je ne l’ai pas interprété comme un No Future pour moi, mais pour le système. Moi je suis un « Yes Future ». Je suis dans un esprit positif constamment, je ne cherche pas à détruire. Je détruis pour reconstruire, et encore détruire ça ne m’intéresse même pas. J’ai réfléchi en 20 ans et j’ai évolué. Je pensais que la Révolution était une solution, mais ça a  toujours été récupéré par des politiques, par des médias, ça aboutit à des bains de sang, et je n’ai pas l’impression que les peuples soient plus libres qu’avant. Par contre tu enlèves le « R » ça fait « Evolution ». L’évolution ça c’est révolutionnaire. Parce que l’évolution est irrécupérable, car à partir du moment où ton cerveau a évolué, les médias n’ont plus prise sur toi. Regarde : Le système est un vampire qui se nourrit de nous. Si demain on ne s’y intéresse plus, on construit autre chose, et bien on va se rendre compte que le système va se détruire tout seul. Sans violence, sans guerre. Moi je suis pour ça. Je pense que la violence ne mène à rien. Attention, je ne confonds rien, les gens ont souvent pensés que le Punk Rock était violent, et les gens confondaient violence et énergie. Mais le Punk Rock n’est absolument pas violent, c’est de l’énergie pure, sans aucun enrobage, aucun lissage, c’est complètement rugueux mais naturel, comme une montagne, elle n’est pas lissée à la lime à ongle. Je pense que le système passe son temps à lisser

DRF : Aujourd’hui quand je parle avec toi, j’ai 16 ans : je me revois avec mes potes à gueuler comme un boeuf «  la jeunesse emmerde le front national » ou encore «  salut à toi», des refrains repris par maintes personnes et qui, quand on voit la résignation des ados de maintenant,  ne sonnent plus pareil. Tu as envie de leur dire quoi à cette jeunesse qui s’apprête à faire revivre les heures les plus noires de l’Europe ou à reproduire les conneries de 2002 ?

Loran : Ce qui me fait peur, c’est qu’elle va passer au premier tour et ça me fait peur car j’ai l’impression qu’elle va profiter d’une abstention terrible qui lui permettra de passer.

Quelques fois, les gens, en concert gueulent « porcherie » moi je réagis direct et je dis « ça fait bien longtemps que la jeunesse n’emmerde plus le Front national. Ca fait bien longtemps que même la jeunesse vote Front National ». La jeunesse est complètement lobotomisée sur son Face de bouc à s’inventer une vie alternative. Moi j’ai vécu la révolution du rock alternatif, je dirais, dans les années 80. Est-ce que les Bérus auraient existé s’il y avait eu internet ? Non, je ne pense pas.  A cette époque, il y avait ce qu’on appelait les punks voyageurs, ceux qui allaient de concert en concert avec leur sac à dos et ils racontaient ce qu’ils avaient vu. Ce qui fait que nos concerts grossissaient sans aucune promotion. Même la presse ne parlait pas de nous, bon à la fin ils ont été obligés pour ne pas passer pour des cons. On est passé à la TV, mais après nous il y en a eu très peu. Alors internet, j’en suis sorti rapidement car je passais environ 6h par jour à répondre à des mails. Mais à un moment je me suis dit : mais Loran tu peux faire quoi en 6h ? Ben je peux passer du temps avec mes enfants, lire, faire l’amour à la personne que j’aime, me balader. J’ai arrêté directement internet.

 DRF : Tu es toujours un punk ? Et pour toi existe-il encore un sens réel au mot « punk » ?

Loran : Pour moi, le sens du mot Punk c’est l’anticonformisme. Et il a encore plus de sens maintenant. On est des moutons de Panurge. On est tous embarqué dans un mauvais délire, dans les enclos de l’extrême droite. Le loup est entré dans la bergerie si je puis dire. Avec tout le respect que j’ai pour les loups. Je suis à contre-courant moi.  C’est ça qui me manque, des gens qui sont à contre-courant. Des hommes et des femmes contraires. Si on était dans une civilisation tribale, on serait considérés comme des demi-chamans, là on est considérés comme des délinquants, on est montrés du doigt, les flics nous mettent derrière les barreaux, les salles de concerts ferment les unes après les autres. Le Punk Rock dérange et c’est très bien, le Punk Rock il raille l’émail et si le punk rock dérange, c’est qu’il y a des problèmes. Si on était dans une civilisation juste, il ne dérangerait pas.

Tiens regarde, en 81 moi j’étais à la Bastille avec ma petite rose, j’ai vraiment cru que le Punk était fini, j’avais l’impression que tout irait bien. Mais on a vite compris, quand on a voulu marcher vers les prisons pour en ouvrir les portes et qu’on nous a dit non, on a vite compris que rien n’était fini. L’esprit punk ne se retrouve pas que dans le Rock. Le blues est punk aussi, car les gratteux qui ne savaient pas jouer ont développé une façon de jouer qui leur est personnelle. Le Rock Touarègue c’est un truc de malade, les mecs ont pas de cordes, les magasins de musique ils n’existent pas, ils jouent avec des fils de fer et développent une manière de jouer qui leur est propre, c’est ça aussi l’esprit Punk, savoir sortir des cases pour évoluer par soi-même.

DRF : Quels sont tes rêves ?

Loran : J’en ai plein. Mes gamins me font rêver, j’en ai 5, la plus grande a trente-cinq ans, je suis grand-père. Je ne dirais pas que je suis heureux car je suis quelqu’un de vachement sensible, le malheur du monde me rend triste, je le ressens tous les matins. Mais je garde espoir, c’est mon côté punk. C’est complètement anticonformiste de garder espoir quand c’est la merde partout, sauf que là ça en devient même glauque tellement c’est le merdier. Je garde espoir car je crois aux enfants. Et j’en veux beaucoup à ce système qui ne prend pas soin de ses enfants. C’est atroce. Plus j’avance plus j’ai mon côté libertaire qui ressort.

 

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