La vingt-cinquième édition du festival singinois s’est achevée samedi soir avec fracas! Comme les années précédentes, on ne vantera jamais assez l’ambiance détendue et intime permise par la petite taille du festival. Mais comme les années précédentes, ce qui fait vraiment le succès de ce festival, c’est sa programmation ultra-pointue. 2015 ne déroge pas à la règle : il y a eu des espoirs confirmés, une avalanche de coups de cœur inattendus, et quelques déceptions – mais pas beaucoup.


Donnschtig

L’espoir confirmé : Thee Oh Sees
Sans surprise, le concert des Oh Sees fut un des grands moments de ce premier soir, et du festival en général. Fait pour la scène, leur garage rock se distingue par une énergie furieuse qui a déchaîné le public singinois, au point qu’un festivalier a dû se faire emmener aux urgences parce qu’il s’était brisé la clavicule dans l’agitation de la foule. Les deux batteries ne se justifient peut-être pas du point de vue musical, mais, dans un synchronicité parfaite, ce dédoublement donnait une ampleur visuelle et sonore au show, dont ils ont largement su tirer parti. Enfin comment ne pas dire un mot sur le charisme, la sincérité et la présence fantastiques de John Dwyer, leader et guitariste du groupe. La hauteur de sa gratte illustre assez le niveau de leurs prestations. On avait adoré en 2013, on a adoré en 2015, à quand la prochaine ?

La déception : The Black Angels
C’est souvent dans les plus grands noms que le bât blesse à la Kilbi. On est tellement dans une ambiance de découvertes, à la recherche de la pépite parmi les bas de l’affiche, qu’un show millimétré comme celui des Black Angels a un goût de convenu un peu décevant. Certes, l’amateur du groupe ne sera peut-être pas déçu par un show articulé autour de leurs meilleurs titres, mais à la différence des Oh Sees, le concert des Texans n’avait pas de réelle plus-value par rapport à ce qui se trouve sur leurs cds.

La bonne surprise : Mr. Airplane Man
Les arguments ne jouaient pas en faveur de ce duo de demoiselles bostoniennes ; ni leur heure de passage peut-être pas assez tardive par rapport à leur potentiel, ni la scène sur laquelle elles se sont produites – celle du club, où on met à tout casser cinquante personnes. Qu’à cela ne tienne, elles ont su dérouler, aux rares chanceux qui pouvaient les apercevoir, un concert aux facettes mouvantes, tantôt dans un blues intimiste et chaud, tantôt dans un blues rock plus emporté. Une vraie pépite dont la petite renommée restera toujours un mystère cosmique insoluble.

Les Suisses du jour : Duck Duck Grey Duck
Et pourtant le concert n’était pas fou. Bah ouais, bookés tardivement pour un slot à 15.30 le jeudi, tout le monde encore au boulot, les tireuses de bière n’étaient même pas ouvertes, un public plus clairsemé que les cheveux de l’évêque Morerod devant la deuxième scène, difficile de tirer quelque chose de ces conditions peu idéales. Mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le nouveau combo genevois a présenté avec honnêteté les morceaux de leur premier album ‘Here Comes…’ sorti tout récemment, parvenant tout de même à assurer au public qu’ils font partie des formations helvétiques à suivre. On espère les revoir l’année prochaine avec un horaire plus confortable, de la même manière que Puts Marie, casé en début d’aprem l’an dernier, s’est vu attribuer une place magistrale à l’apogée du vendredi en 2015.

Frytig

L’espoir confirmé : Puts Marie
Suisses également, ils doivent compter parmi les représentants de nos couleurs au plus grand potentiel, et leur slot idéal – 20h sur la cantine – en dit beaucoup sur la confiance que met le programmateur dans ces Biennois à l’unique EP au compteur. Si on a su apprécier l’énergie dévastatrice des Thee Oh Sees, on sait également apprécier les couleurs plus intimistes de ce groupe à la subtilité infinie, construisant à chaque morceau une atmosphère distincte. On soulignera les envolées d’un pianiste sachant se mettre en avant lorsque c’est nécessaire, et se mettre sur la réserve le reste du temps, contrastant avec une majorité de claviéristes sirupeux et trop omniprésents dans le rock. Quant au chanteur, son implication fascinante dans chaque titre portait quasiment à elle seule le concert, tous les yeux du public étant collés à ses moindres gestes, une main qui se crispe, et un regard douloureux – on aura rarement vu autant d’émotions se dégager d’un artiste.

La déception : Salut C’est Cool
Salut C’est Cool, c’est con. C’est con dans les paroles, c’est con dans la musique – une sorte de conglomérat électronique du mauvais goût amassé depuis les eighties. Mais Salut C’est Cool, c’est rigolo en live. Ça saute dans tous les sens, ça distribue des fleurs et des bouts de pastèque, ça fricote avec le public. Dans cette optique, on se réjouissait de les voir, leur situation sur la scène confinée du club excitant encore davantage cette attente. Mais peut-être que les Singinois sont restés hermétiques aux délires francophones des gaillards, ou alors peut-être qu’ils ont été rattrapés par la nullité assumée de leur musique, quoi qu’il en soit l’alchimie ne s’est faite qu’imparfaitement. Au bout du troisième quatrième morceau on arrête de sauter à chaque envolée ; au bout du cinquième on arrête de gueuler ; au bout du sixième on hésite à partir. Dommage.

La bonne surprise : Selda Bağcan
Bon, une surprise, ça ne l’est que dans une certaine mesure. Et si vous avez grandi en Turquie dans les années septante, vous me rétorquerez que c’était évident que ce serait la highlight de la soirée. Pourtant ça n’était pas gagné lorsque Boom Pamm a commencé son show sans la septuagénaire, proposant des sonorités exotiques intéressantes, mais à l’exotisme diminué par la programmation en générale déjà très exotique de la Kilbi. Semi-emballé, en dépit de l’apport non-négligeable du tuba (‘Who needs a bass when you got a tuba ?’ balançait un collègue), le concert prend une toute autre tournure dès que Selda, impériale, apparaît sur scène. Le public lui offre alors un accueil monumental, qui, on l’espère, ne lui fit pas regretter son succès colossal dans son pays d’origine. Avec une voix qui n’a rien perdu de sa force envoûtante, elle sauve littéralement le show ; mieux encore : elle le sublime.

Les Suisses du jour : None Of Them
Comme pour Duck Duck Grey Duck, un meilleur slot aurait vraiment réussi à ce mystérieux jeune duo dont on trouve encore peu de traces. Dans un genre hybride assis sur une double direction électronique et hip-hop, mais qui n’hésite pas à aller piocher dans des rythmes parfois quasiment latino, ou des sonorités héritées du trap. À ça s’ajoute la voix très chaude d’une chanteuse fantastique, au talent de professionnelle. Un exotisme cette fois moderne qui n’a pas totalement convaincu un public majoritairement friand de rock, d’après les avis récoltés ci et là. À voir si en clôture de soirée, un peu dans la lignée de Skip&Die en 2013, ils auraient eu un succès plus à la mesure de leur talent, mais il va sans dire que, dans le cas de votre serviteur, c’était une claque telle qu’on a regretté qu’il soit si mal vu d’être bourré jusqu’à la transe tant que le soleil n’est pas couché.

Samschtig

Ce qu’il faut en retenir : DakhaBrakha
Alors oui, ce serait dommage de ne pas mentionner le concert de Morgan Delt dans un club enthousiaste et plein à craquer ; de même que la propension du hip hop de Shabazz Palaces à diviser les avis est elle-même éloquente. Mais la seule manière de rendre justice au coup de cœur intégral que constitue DakhaBrakha c’est de résumer ce samedi à leur prestation atypique, partagée entre des nappes polyphoniques aussi intéressantes qu’émouvantes, des sonorités traditionnelles issus du folklore ukrainien, et des envolées portées par des rythmes plus modernes, qui contrastaient avec les passages plus intimes sans pour autant les faire regretter ou leur jeter de l’ombre. On évoquait l’aisance dans différents tons scéniques de Mr Airplane Man, mais même celles-ci devraient tirer leur révérence face aux métamorphoses de DakhaBrakha, convaincants de manière égale dans leurs phases calmes quasiment mystiques, évoquant les expérimentations de Wardruna dans un autre registre, comme dans les moments où le tempo s’accélère pour emballer les cœurs. De ceux qu’on aimerait bien qu’ils soient suisses pour pouvoir les voir encore et encore, mais peut-être que, s’ils étaient suisses, ils n’auraient pas été capables d’apporter quelque chose d’aussi neuf dans la scène musicale moderne. Un incontournable.

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