Pour son troisième album, l’auteur-compositeur-interprète Fantômes, alias Bobby Lehoux, s’immisce dans nos oreilles avec Couleuvre, album lancé le 30 octobre dernier. Derrière ce titre allégorique se révèle un manifeste rock psychédélique sur le déclin de la biodiversité où l’artiste montréalais, originaire de St-Isidore en Beauce, approfondit sa démarche artistique sans trop s’éloigner du shoegaze de Vampiricide (2023).
Née de ses observations quotidiennes en tant qu’horticulteur, l’idée initiale de Lehoux a émergé à partir du constat, aussi éclairant que pessimiste, que l’artiste porte sur notre époque actuelle : « Même dans sa quête de beauté, l’être humain est destructeur. » Une prémisse aussi évocatrice ne pourrait mieux résumer ce nouvel opus réalisé une fois de plus par l’acclamé Antoine Corriveau. Se définissant, entre autres, comme de la pop discordante, Couleuvre se déploie à coups de guitares électriques et de synthétiseurs où la distorsion se mêle aux rythmes effrénés qui contrastent avec des lignes de basse profondes. Fantômes nous persuade de son talent pour le rock irrévérencieux avec Hyperpop, tout comme dans Cobra, pièces abrasives très efficaces. D’ailleurs, l’âme du réalisateur Corriveau est perceptible sur l’ensemble de l’œuvre; elle trouve des affinités naturelles avec son propre album de 2025, Oiseau de nuit. Tantôt enivrant, tantôt renversant; Couleuvre se situe à mi-chemin entre le rock brut de Fred Fortin, la soul-funk de Adi Oasis, chanteuse et bassiste franco-caribéenne, et l’indie rock de Ty Segall. Fantômes nomme ces trois artistes comme influences musicales majeures.
« Vague sinueuse
Sous le feuillage
J’hallucine des mouvements
Dans mon angle mort »
–Couleuvre
Moins fantasmagoriques, les textes dessinent tout de même le comportement humain, et ses travers, avec des mélodies pénétrantes et délibérément décousues. Le psychédélisme atteint des sommets dans certaines pièces plus costaudes, comme Celosie ainsi que de Pêche arachide zombie :
« Je ferai le bruit que je veux
Vous ne me classerez pas dans vos boîtes
Je n’ai pas de leçon de vie
À recevoir de pêche-arachide-zombie zombie »
–Pêche arachide zombie
Fantômes demeure une bête à apprivoiser tranquillement, c’est notamment dû à son style vocal particulier qui ne fait pas toujours l’unanimité. Toutefois, il se révèle ici de manière beaucoup plus assumée. Son timbre délicat est davantage mis en évidence, le rendant ainsi moins éthéré (ou enterré, selon le point de vue) par rapport à l’ambiance brumeuse du disque précédent. Cette voix mystérieuse réussit maintenant à nous charmer lorsqu’elle chante l’amour sur les microdoses de funk de Les 5 lettres de l’amour ou encore dans la téméraire L’école du bisou. Inattendues, ces pièces prodiguent une perspective sensuelle en harmonie avec son identité artistique. Mais, il ne ménage pas non plus son attitude punk dans la revendicatrice Fuck le capitalisme. Artiste de convictions, Fantômes se porte à la défense des chauves-souris – ces créatures ailées mal comprises selon lui – dans Le bar à l’envers. En duo avec Zéa Calla, ce cri dansant évoque aussitôt Les Rita Mitsouko. L’artiste invitée incorpore même sa touche personnelle de thérémine, un instrument fort fascinant, reconnu comme un des plus anciens de la musique électronique. D’autres morceaux, tels que Sable mouvant, ou la plus personnelle Noeuds, nuancent aussi l’expérience musicale avec fluidité.
L’énigmatique auteur-compositeur-interprète se faufile dans notre conscience pendant 54 minutes bien dosées et captivantes. On entend de ce manifeste musical poético-psyché, le reflet des valeurs de Bobby Lehoux, l’horticulteur, qui explore la relation complexe entre l’être humain et la nature avec l’intelligence de l’art. L’album Couleuvre réussit à établir un univers en soi avec une élégance punk habillée de textures élaborées, fruit d’une œuvre dense et judicieusement défrichée.
Le spectacle de lancement de l’album Couleuvre est prévu le 6 décembre 2025 au Turbo Haüs, à Montréal (billets).
