Une menace plane sur les événements de rock et metal: le vieillissement du public. Résultat, les festivals mainstream peinent à programmer des artistes dans ces genres-là et ceux qui sont spécialisés dans cette musique risquent de se retrouver dans une situation délicate à moyen terme. Pourtant, tous les espoirs ne sont pas anéantis. Reportage à Rock The Lakes où on ne se fait pas de soucis.
Le rock, c’est un truc de vieux. Vous avez forcément déjà entendu quelqu’un dire ça. Que ce soit dans les salles, dans les festivals ou à la radio, la moyenne d’âge du public a tendance à augmenter. Mais les jeunes ont-ils vraiment délaissé les guitares électriques?
À Rock The Lakes, Daniel Botteron, fondateur du festival, évoque 35 ans de moyenne et assure que les chiffres vont vers le bas. Sur le terrain, on a par moments plutôt l’impression d’être dans la tranche 35 et plus que dans celle des 35 et moins. Mais si on considère les enfants (qui ne comptent pas dans la statistique puisqu’ils entrent sans ticket), on doit finalement être par-là.
Dans les années 80, avoir moins de 20 ans, écouter du rock (ou le nouveau-né metal) et porter des blousons en cuir, c’était pratiquement la norme. Aujourd’hui c’est bien différent.
Un monde à part
Après le concert de Fit for a King, un groupe de jeunes d’une vingtaine d’années nous font part de leur expérience. Certains écoutent du metal depuis toujours, d’autres ont été initiés un peu plus récemment. “Les gens de notre âge, je trouve qu’ils n’écoutent pas trop de metal, observe Jonathan. J’ai du mal à trouver des gens de mon âge qui ont les mêmes goûts musicaux.” Dans son groupe d’amis, c’est sans surprise plutôt vers le rap que penche la balance. “À l’école, j’étais toujours la personne un peu différente, se souvient Marina. J’avais plein d’amis, mais on n’écoutait jamais la même musique, eux ils étaient plus pop ou rap. Donc être dans un festival comme celui-ci, où tout le monde est dans la même vibe, c’est hyper cool.”
Pour Cassandre, c’est une question d’image. “Je trouve que c’est facile de faire écouter du metal aux jeunes. Il y a tellement de types de metal. J’avais fait écouter du metal symphonique à mes parents. Et quand je leur ai dit ‘c’est du metal’, ils étaient choqués. Il y a toujours ce cliché du metal qui crie et qui te vomit dans les oreilles. Alors oui, il y a ça, mais pas que.” Au fond c’est vrai, qui n’a pas commencé par faire écouter des groupes comme Kyo à ses potes, dans le but d’aller vers des artistes plus rock, puis plus heavy, et plus metal ensuite?
Côté image et communication, la jeune femme ne réfléchit pas à deux fois quand on lui demande ce qu’il faudrait faire pour toucher les jeunes: « Tik Tok ». Elle se rappelle la chanson de Pierce The Veil qui était devenue virale. « Il y avait eu une danse et ça avait fait connaître le groupe sur les réseaux sociaux. Ça pourrait rendre les artistes un peu tendance, mais en même temps, ça peut enlever le côté underground du metal. »
Dès le berceau
Mais alors, que peut-on faire pour rajeunir ce public? Sur les rives du lac de Neuchâtel, les enfants jusqu’à 14 ans viennent headbanger gratuitement. Un âge qui a d’ailleurs été revu à la hausse puisque l’année dernière, l’entrée était payante dès 12 ans.
La raison de cette gratuité, cependant, est premièrement économique. “Venir à Rock The Lakes en famille, si vous êtes quatre, ça coûte une blinde, commente Daniel Botteron. Il ne faut pas que le prix empêche les parents de venir avec leurs enfants car tout le monde n’a pas la possibilité de les faire garder par les grands-parents.”

Sur la vision à long terme, faciliter l’accès aux enfants, c’est miser sur la génération future. “Il n’y a pas d’âge pour le metal. Oui, il y a eu un creux, mais je suis persuadé qu’il y a une renaissance”, constate le fondateur de Rock The Lakes.
Entre deux concerts, Stefano et sa famille prennent quelques photos souvenir. Le festivalier rêvait d’amener ses enfants de 3 et 6 ans dans un tel événement. “Les concerts, c’est très important pour ma femme et moi et avant, on devait toujours faire appel à des babysitters”, nous confie-t-il. C’est vrai qu’en plus, la taille et la configuration du festival est assez propice à initier les têtes blondes aux joies des concerts. Stefano a toujours bercé ses enfants avec du metal, notamment lors des trajets en voiture. Cette transmission lui tient vraiment à cœur. “Et maintenant qu’ils l’ont entendue en live, pour eux c’est incroyable! Ils ont bien aimé Wind Rose vendredi car il y a un peu ce thème avec les elfes. Du coup, samedi ils voulaient voir des vidéos des concerts du jour.” Le dimanche, toute la famille était de retour sur le terrain de Cudrefin.
Penser la programmation autrement?
Retour à notre groupe d’amis. Marina pointe également la problématique financière. D’ailleurs, s’ils ont pu participer aux trois jours de la manifestation, c’est parce qu’ils sont bénévoles. “On n’a pas beaucoup d’argent, mais je comprends que c’est compliqué pour les festivals de faire moins cher. Mais il faudrait organiser plus de petits événements qui nous permettraient, à nous, de montrer ce que c’est le metal à nos amis”, propose-t-elle.
Attirer les jeunes peut aussi passer par la programmation. “Le core avec tous ces dérivés marche très bien, relève Daniel Botteron. La musique progressive, ça a duré quelques années mais c’est déjà en train de s’essouffler. Par contre les choses qui passent bien c’est le rap-metal ou tout ce qui est crossover. Par contre des groupes de qualité qui font ça, il n’y en a pas pléthore.”
Les crossover, Dany Hassenstein les évoquait aussi du côté de Paléo. “Peut-être qu’on doit s’orienter plus là-dessus, vers des collaborations parfois un peu spéciales, mais qui ont l’air de faire réagir les jeunes, nous racontait le co-programmateur du festival nyonnais fin juillet. Ça peut peut-être devenir une signature du Paléo à l’avenir. En tout cas je pense que notre responsabilité c’est clairement d’attirer un public qui n’est pas encore initié.” Daniel Botteron apprécie la démarche mais espère qu’elle n’engendrera pas une guerre des cachets. “Si tout à coup, ces festivals commencent à programmer ce genre de groupes et payent des cachets qui sont surfaits par rapport au metal, c’est pas bien pour nous”, sourit le fondateur de Rock The Lakes. Le risque, c’est que les artistes ne veuillent plus se déplacer pour un cachet plus “modeste” après avoir touché une grosse somme ailleurs.
À Cudrefin, les crossovers, on n’en fait cependant pas une priorité et on mise sur la qualité des groupes. Et surtout, on ne s’inquiète pas d’éventuellement voir son public vieillir. “Que les anciens qui vont dans d’autres festivals viennent chez nous”, rigole Daniel Botteron. Peu importe l’année de naissance des festivaliers, Rock The Lakes peut voguer vers sa cinquième édition avec sérénité. Car avec 16’000 spectateurs, le festival vient de battre son record de fréquentation.
Photos: Michela Liberale Dorbolo et Alex Pradervand



