Pour son deuxième album, l’autrice-compositrice-interprète et comédienne Karine Lagueux reprend le chemin de la chanson avec Nos pas perdus, le 3 octobre 2025, en suivant la voie de la folk-country qu’elle a su défricher dans Le soleil fait dire qu’tes pas rentrée (2023).
Reconnue à l’écran et sur scène, elle se distingue pour sa douceur musicale et son franc-parler bien assumé. Lorsqu’elle chante L’amour crève-faim, une pièce entraînante à base de banjo, elle exprime son insatisfaction à un partenaire de vie feignant et inconstant au plan affectif. Dans la balade 60 piasses aller-retour, elle dépeint une passion amoureuse étiolée par la distance et des attentes non répondues. Déjà, on constate l’intelligence des textes de cet album à l’image d’une femme forte et humble, comme dans L’appel du large où elle est entrelacée entre la fierté maternelle et le syndrome du nid vide.
Indépendante avec un grand I, Karine Lagueux chausse pour la première fois les bottes de la réalisatrice musicale. Elle s’entoure de son frère Jean-Philippe Lagueux pour la composition et les arrangements, et de son ami et acolyte Alexandre Lefebvre à la coécriture. Ce trio fructueux traduit en chanson des histoires simples et modestes, soutenues principalement par ces musiciens chevronnés : Antoine Lachance (piano, banjo, chœurs), Stéphane Tellier (guitares), Stéphane Jetté (percussions), Cédric Dind-Lavoie (contrebasse), Vincent Lemoine (piano, rhodes).
Dans ce nouvel opus, on entend un peu d’histoire du Québec. La chanson Adirondacks, singulière pour son portrait de la « Grande hémorragie », illustre avec véracité un pan de l’histoire collective québécoise et rend hommage à la résilience des Canadiens français exilés aux États-Unis à la fin du 19e siècle. Sans être unique, mais peu fréquent, ce type de chanson thématique à la Alexandre Belliard et ses Légendes d’un peuple s’offre comme une occasion d’apprentissage. On est sensibilisé, entre autres, par son refrain en anglais et ses chœurs vibrants qui personnifient le courage et le déracinement de façon émouvante. Sublime!
« Résonne encore tout bas
Un mince écho de France
L’odeur d’une soupe aux pois
L’esprit de survivance »
–Adirondacks
On se laisse bercer par la pièce-titre instrumentale alors que le cœur est à la fête avec une touche de rockabilly dans On reculera l’heure, un duo énergique avec Clément Trempe Goulet (aussi à la basse et à la guitare). Si la fibre mélancolique résonne davantage dans les pièces De tonnerres en ciels bleus et Quand j’te vois t’es pas là, ce n’est pas pour ternir la voix pleine de caractère de Lagueux. Celle-ci adopte un ton théâtral, voire ironique, dans Memento mori — La complainte du vivant, une pièce rappelant Dolly Parton, qui met en scène un personnage tourmenté par l’inévitabilité de la mort.
« Memento Mori, m’as crever, moi aussi.
Chaque jour, tu gagnes à la loterie
Memento Mori, m’as crever moi aussi
T’es moins vivant demain qu’aujourd’hui. »
–Memento Mori – La complainte du vivant
Bien entendu, une carrière dans les arts dramatiques peut affiner les compétences d’une interprète. Karine Lagueux démontre qu’elle est bien plus qu’une comédienne qui chante. L’album Nos pas perdus confirme de plus belle sa facette définie de chansonnière tout en révélant un savoir-faire de réalisatrice. Pour une artiste musicale indépendante, cela exige audace et détermination. La Sorel-Tracyenne se montre à la hauteur du défi en s’enracinant dans un style folk-country harmonieux, aux textes étoffés et d’une profondeur à croiser le chemin des Hauterive et Andréane A. Malette de ce monde.
L’album Nos pas perdus est maintenant disponible en CD et en vinyle, ainsi que sur toutes les plateformes de diffusion en continu.
Crédit photo : Andy Jon
