Le rock a sa place au Paléo. Parfois plus, parfois moins. Dany Hassenstein, co-programmateur du festival, a pris le temps de décortiquer le pourquoi du comment. Interview.
On le disait plus tôt dans la semaine, critiquer le programme du Paléo est un sport national. Chez les amateurs de rock, c’est même une discipline olympique. En s’installant pour l’interview, Dany Hassenstein pose devant lui les programmes des cinq dernières années. Du rock, il y en a partout. Mais effectivement, beaucoup moins en 2024. Sans filtre, il nous explique comment le festival aborde cet aspect de la programmation.
L’année dernière, c’est peut-être l’année où il y a eu le plus de critiques. Est-ce que cette année, où il y en a beaucoup plus, étalé sur la semaine, c’est un peu une réponse à ces critiques ou c’est tout simplement le marché qui a fait que?
Tout d’abord, on adore le rock, c’est quelque chose qui nous tient beaucoup à cœur depuis toujours. C’est aussi dans l’ADN du festival. L’année passée, c’était très particulier. Les gros festivals de rock en Europe sont juin, juillet. Et ce qui a été très frappant, c’est qu’il n’y avait pas de groupe disponible sur notre période. On s’y était également peut-être pris trop tard. Cette année, on a donc anticipé et du coup, on en a. Mais ça reste extrêmement difficile sur la période fin juillet d’avoir des groupes de rock qui sont encore en Europe. D’avoir des têtes d’affiche surtout, car des groupes de rock, on en trouve. Et on a besoin de têtes affiches pour après construire la soirée.
J’imagine que c’est aussi une conséquence de la multiplication des festivals?
Pas vraiment. On on doit s’orienter un peu avec les festivals leaders du marché parce que ce sont eux qui font bouger les groupes en payant de gros cachets. Cela nous aide à se greffer sur une tournée parce qu’on n’arrivera jamais à dépenser des gros montants comme certains festivals. Et c’est finalement les gros montants qui font décider de tourner ou pas. Là, je parle vraiment que de têtes d’affiche. Quand on construit un programme, on part d’en haut avec une tête d’affiche et après on construit autour. Donc il y a peu de logique d’ajouter du rock sur une soirée rap. Encore une fois, il y a beaucoup de groupes de rock de niche ou émergents qu’on pourrait faire venir. Mais parfois, c’est les envoyer un peu au casse pipe.
Il y a déjà eu 2 soirées avec avec des beaux artistes rock. Quel premier bilan vous en tirez?
Que ça marche. J’ai adoré les Lambrini Girls mardi. C’était c’était chouette d’avoir un un groupe avec autant de messages, qui essaie de faire comprendre à un public qui n’est pas forcément anglophone de de quoi il parle. Il y a eu beaucoup d’émotions aussi avec Skunk Anansie parce que le dernier passage qu’elle a fait chez nous, elle a marqué des gens. Même si c’était il y a longtemps, beaucoup de gens m’en parlent encore. Jean Louis Aubert mercredi soir, c’est plus du rock francophone:variété mais quand même, il y a pas mal de guitares. Mais je me réjouis surtout de samedi. C’est ça qui pour nous est une vraie soirée rock parce qu’elle est menée par Queens of the Stone Age et du coup on a pu se faire plaisir autour.
Vous mentionniez avant les les autres festivals de rock en Europe, ces événements-là et les concerts de rock en salle, quelle place ça prend dans dans votre travail de programmateur au au cours de l’année?
Je suis souvent en Angleterre, pour parler avec les agents notamment. Et je profite à chaque fois d’y aller quand il y a des événements qui me plaisent et dans des événements un peu de découverte ou des festivals où il y a beaucoup de groupes émergents. Et quand je regarde le line-up, voilà, c’est l’Angleterre quoi. Il y a des guitares, il y a des riffs et il y a peu d’électro, pas de rap. Après, c’est difficile de savoir quel est le bon moment pour certains groupes pour les faire venir au Paléo. Lambrini Girls, c’est un bon exemple. On les avait déjà programmées l’année passée et elles avaient dû annuler. C’est pas évident pour un pour un groupe comme ça de venir jouer au Paléo parce que c’est un public qui est très bienveillant et très large, mais les festivaliers ne sont pas des spécialistes. On doit en tenir compte de ça quand on programme, on ne peut pas trop aller dans les niches.
On se demande parfois pourquoi on ne voit pas certains groupes “accessibles”, dans le pop-rock/pop-punk. Une musique qui passe bien l’été même si l’on n’est pas initié. Comme Sum 41, Offspring ou All Time Low. Ce sont des groupes que vous considérez ou ils ne sont pas du tout dans votre radar?
Si, ce sont des artistes qui sont à fond sur notre radar. Mais parfois, quand on voit les attentes financières de certains groupes contre leur potentiel de vente de billets, on se posait un peu des questions. Est ce qu’on est capable de vendre 35’000 billets pour un groupe qui en vendrait 2 ou 3’000 s’il venait seul? Donc il y a un enjeu financier. C’est encore une question de construction. Si on part avec un fort vendeur en tête d’affiche, on peut se faire plaisir autour. Par contre, si on doit construire avec des doutes, c’est jamais bien.
Il y a deux ans, on parlait avec Jacques Monnier de l’explosion des cachets, parfois non justifiée. Qu’est-ce qu’on observe dans le monde du rock ?
Un groupe de rock connu mondialement, il a le choix. Donc, c’est même pas une question d’avoir des bons cachets. C’est se dire ‘ok, est-ce que je vais en Europe pour 20 dates et j’encaisse ça ou je reste aux États-Unis et j’encaisse ça? Ou je vais en Amérique du Sud?’ Donc parfois, on propose une somme justifiée, intéressante pour le groupe, mais c’est plus intéressant pour lui d’aller sur un autre continent. Des fois, ils font juste quatre dates en Europe et ils repartent car ce n’est pas forcément rentable de rester deux semaines de plus ici.
Au-delà de ça, je vois aussi que les festivals pur rock ont un souci de rajeunissement du public. J’étais au Hellfest et au Greenfield et je vois bien que le public est de plus en plus âgé. L’avantage au Paléo, c’est qu’on peut peut-être intéresser des jeunes, parce qu’on peut mélanger le rock avec d’autres styles et parce que les parents viennent avec leurs enfants.
En Suisse, n’y a-t-il pas aussi un problème de röstigraben quand on voit que les tournées passent principalement dans les salles zurichoises? Est-ce que c’est une question de mentalité ou toujours une question de marché où les salles alémaniques sont plus attractives?
100% raison économique. C’est le bassin de population. Si la salle à Zurich est disponible, c’est 1’000 fois plus intéressant de le faire là-bas car les romands vont se déplacer. Vice versa, c’est pas trop le cas. Si on fait un concert rock à Genève, les Zurichois ne se déplacent pas car l’offre à Zurich est trop grande.
On l’a vu d’ailleurs il y a quelques années avec Slipknot le 1er août à l’Arena où la salle était à moitié vide. Le groupe était content d’avoir cette proximité avec le public par rapport aux énormes festivals de l’été, mais pour l’organisateur, ça n’a certainement pas été une partie de plaisir.
Non, il y a quelqu’un qui a pleuré derrière. Celui qui a payé le cachet, il n’était pas content. Je connais bien l’agent de Slipknot. C’est un groupe que j’aimerais bien avoir au Paléo et chaque fois je lui dit ‘pourquoi vous avez fait ça à Genève? Venez plutôt vers nous.’ Au Greenfield, je lui ai dit qu’il aurait beaucoup plus de monde chez nous. Chaque année je fais une offre, et chaque année il me dit qu’ils partent en vacances. Mais voilà, il faut aussi comprendre qu’ils ont des familles et que ce n’est pas juste le groupe qui se déplace. Donc à nouveau, ils tournent dans les moments où c’est le plus rentable.
Parlons aussi du public. Au Paléo, vous utilisez quels outils pour sonder les goûts des festivaliers?
On fait un sondage juste après le festival qu’on envoie à tous les gens qui ont acheté un billet, toute notre communauté, tous les bénévoles. On demande ce qu’ils aimeraient voir et on leur donne la possibilité de nous dire quel genre de musique ils écoutent. Ça nous permet de voir si ça correspond avec les groupes qu’ils souhaitent voir au festival. Là, c’est triste mais on voit bien que le rock n’est pas sur le radar. Après on peut aussi se dire que c’est beaucoup de jeunes personnes qui répondent à ces sondages et les générations un peu plus âgées ne répondent pas. De nouveau, le rock a un peu cette tendance à s’orienter plus sur les générations un peu plus âgées, ce que je trouve personnellement dommage. Mais on remarque que le crossover commence à être intéressant pour les jeunes. Peut-être qu’on doit s’orienter plus là-dessus, vers des collaborations parfois un peu spéciales, mais qui ont l’air de faire réagir les jeunes. Par exemple avec Gojira et Marina Viotti. Elle est venue l’année passée avec un projet classique et j’ai beaucoup parlé avec elle. On a beaucoup parlé de tout ce monde classique et du rock qui se mélangent. D’ailleurs, souvent les chanteurs de metal ont des formations classiques Je me suis dit que ça peut peut-être devenir une signature du Paléo à l’avenir. En tout cas je pense que notre responsabilité c’est clairement d’attirer un public qui n’est pas encore initié . Parce qu’on a vraiment la possibilité de le faire ici. Mais satisfaire les puristes, c’est très difficile.
Un peu comme avec Belleville où on voit que tout le monde s’arrête, un peu par curiosité, et finit par se prendre au jeu. Même si ce n’est pas notre genre de prédilection.
C’est une excellente observation. On pourrait se poser la question pour le rock. Ce qui m’a marqué, par exemple au Greenfield, c’est qu’ils ont tout un village médiéval. On crée une ambiance, un petit festival dans le Festival. L’électro, c’est extrêmement large, on peut même faire du rock électronique. C’était ça la réflexion derrière Belleville.



