Magazine français de science fiction ayant révolutionné le genre durant les seventies en inspirant des centaines de vocations aux quatre coins du monde avant de tirer sa révérence à la fin de la décennie suivante, il aura ressuscité brièvement à la fin du millénaire, inspiré une série télévisée une décennie plus tard, avant de renaître une seconde fois en plein déconfinement, alors que la presse ne s’est jamais portée aussi mal.

Tout commence avec Jean-Pierre Dionnet, un Parisien fan de littérature et de comic-books, ancien universitaire ayant travaillé aux Puces et à la librairie Futuropolis avant de devenir en 1971 scénariste chez Pilote et en 1974 assistant de feu Nikita Mandryka (Le Concombre Masqué) à la direction de l’Echo des Savanes, un magazine de bande dessinée avant-gardiste durant cette décennie charnière pour le genre.

C’est en décembre de cette même année que Dionnet s’associe à Philippe Druillet (Salammbô), Jean Giraud/Moebius (Arzach) et Bernard Farkas (leur futur administrateur général pour les 23 numéros à venir) pour créer la maison d’éditions Les Humanoïdes Associés et son journal étendard, Métal Hurlant.

Lancé en janvier ’75, Métal Hurlant va créer une véritable onde sismique dans le paysage culturel français, débordant rapidement à l’étranger en étant vendu dans pas moins de dix-sept pays à la fin de la décennie. Véritable laboratoire du neuvième art, la revue affiche un casting qui donne le vertige, Druillet et Gir étant rapidement épaulés par Corben, Mandryka, Gal, Tardi, Alexis, Gotlib, Mezières, Lob, Bilal, Schuiten ou encore Caza pour ne citer que les plus connus. Cerise sur le gâteau, on y trouve également des chroniques de disques et de romans bien dans l’esprit Métal, histoire de se créer un monde bien à soi sous la République de Valéry Giscard d’Estaing.

Devant luter contre les mœurs quelque peu arriérées de l’époque (de nombreux buralistes refusant de promouvoir la revue, voir même de la vendre, tandis que les ligues vertueuses s’insurgent ), Métal Hurlant se taille pourtant un chemin à travers les cours de lycées et autres lieux culturels. Son contenu éditorial sentant bon la modernité et surtout le futur à venir, influencera pêle-mêle les écrivains, les illustrateurs et, surtout, l’industrie cinématographique, des films comme Alien, Blade Runner ou encore Mad Max lui devant beaucoup.

Et puis, en 1977, Métal hurlant vend les droits de sa revue aux États-Unis, le public yankee découvrant ainsi Heavy Metal, une revue qui ne tardera pas à faire son trou avec ses traductions de matériel original puis, deux ans plus tard, en y incorporant du nouveau contenu en engageant des artistes anglo-saxons ou hispaniques. Le magazine contribuera en grande partie à la mise en chantier des films Métal hurlant (1981) et Heavy Metal 2000 (2000) ainsi qu’à deux jeux vidéo, Heavy Metal: FAKK2 (2000) et Heavy Metal: Geomatrix (2001). Après être passé par plusieurs repreneurs au cours de son histoire, Heavy Metal poursuit sa publication de nos jours, ayant même retrouvé de sa superbe il y a quelques années sous la direction de l’Ecossais Grant Morrison, scénariste superstar de comics pour DC et Marvel. Mais je digresse.

Revenons à Paris. En ce début des années 80, gérer une revue plus ou moins mensuelle et la publication d’albums souples et cartonnés n’est pas chose simple quand l’on doit composer avec des problèmes d’imprimeur, de distribution et de trésorerie, le tout passé au filtre d’un mode de vie rock’n’roll et parfois déjanté où l’on fume, bois et sort beaucoup, parfois même en plein milieu d’une deadline. En plus de cela, Dionnet s’est lancé dans la télévision avec la création de l’émission Les Enfants du Rock, ce qui l’éloigne un peu de son poste de rédacteur en chef ainsi que des auteurs et artistes du magazine qui fonctionnent souvent comme un gang. Malgré l’arrivée de sang frais (Pratt, Chaland, Jodorowski, Burns, etc.), les départs de Druillet en ’81, Schuitten en ’84, Moebius en ’85, puis de Dionnet en personne la même année plombent le karma de la revue. Quand au conséquent catalogue d’albums présent en librairies spécialisées, il peine à créer de véritables best-sellers, la plupart de ses titres devenant au mieux cultes pour les amateurs du genre.

Alors que la concurrence (Pilote, Zoulou) copie allègrement ce qui rendait Métal Hurlant unique, ce dernier s’uniformise de plus en plus, devenant une sorte de copie étrange de L’Écho des Savanes, proposant de la ligne claire, de l’humour et un contenu de plus en plus classique, bien loin des odyssées spatiales et autres trips métaphysiques des premières années. Malgré son rachat par Hachette et l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, Métal Hurlant continue son agonie éditoriale et finit par cesser sa parution en juillet 1987 après 133 numéros et 21 hors-séries.

Tandis que bon nombre d’auteurs et d’artistes ayant participé à la revue connaîtront des suites de carrière aussi riches que pleine de succès, Métal Hurlant commencera sa longue route vers le statut de publication culte qui deviendra le sien, ses anciens numéros se trouvant encore facilement et pour des prix raisonnables jusqu’au début des années 2000.

C’est d’ailleurs en juillet 2002 que Fabrice Giger, propriétaire des Humanoïdes Associés depuis 1988, relance Métal Hurlant depuis Los Angeles, ayant fondé en 1999 Humanoids Publishing, sa branche américaine. Reprenant au numéro 134, la revue au format comic-book n’est diffusée qu’en librairie spécialisée. A l’intérieur, des récits anciens ou nouveaux sont proposés sous forme de feuilletons à suivre. Bimestriel publié en quatre langues, le nouveau Métal Hurlant ne convainc pas, malgré de nouveaux talents (Beltran, Sook, Opena ou encore Raffaele) et les retours de Jodorowski, Boucq, Tardi, Dionnet ou encore Corben. Il meurt à deux reprises, une première fois en 2004 avec son numéro 145 et une seconde fois en 2006 avec un numéro ultime de cent pages.

Dans l’intervalle sort en 2005 un magnifique livre somme de 300 pages s’intitulant :  »Métal Hurlant 1975-1987 », la machine à rêver, dont la promotion télévisée terminera de faire grimper les cotes des milliers d’exemplaires encore en circulation de la cent-cinquantaine de numéros disséminée entre les bouquinistes et autres marchés aux puces francophones.

Et puis en 2020, le journaliste et éditeur de bande dessinées Vincent Bernière et Fabrice Giger nous annonçaient le retour de Métal Hurlant via un financement participatif l’année suivante sur la plateforme KissKissBankBank.

C’est donc en septembre 2021 que nous pourrons nous gaver des 288 premières pages de ce qui s’annonce comme un rendez-vous trimestriel avec le futur, Métal Hurlant renaissant sous la forme d’un mook (comprenez un magazine se prenant pour un livre) comme ceux réalisés depuis quelques années par l’équipe de Rockyrama. Proposant comme par le passé du contenu original et des chroniques et interviews diverses, Métal Hurlant deviendra vintage un numéro sur deux, rééditant des classiques inoxydables que les vieux fans que nous sommes (si vous lisez encore cet article, vous savez que n’avez même pas le choix) ne manqueront pas d’acheter pour leur progéniture ou simplement pour se la péter en les laissant traîner négligemment sur la table du salon.

Alors voilà où nous en sommes à l’heure du déconfinement, Métal revient et c’est bien. On espère juste que cette troisième version sera la bonne et que ce monument de notre pop culture sera toujours là en 2025 pour fêter son demi-siècle et pas juste avec un numéro spécial pour nous dire adieu et à jamais. Mais bon, nous savons toutes et tous que le futur peut se montrer cruel parfois. [Fran Sad]

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