Banjo en main, l’excentrique Alice Bro marque les esprits par son univers festif à l’humour grivois, qu’elle expose depuis quelques années entre les bars et les festivals régionaux du Québec. L’artiste se fraye doucement un chemin qui l’amène, tout récemment, à décrocher un contrat de disque avec Coyote Records. Avec son projet folk aux accents de blues Alice Bro Trio, elle vient de lancer, le 4 juin dernier, son tout premier mini-album intitulé Dans l’bon sens.
À l’origine un trio, la bande s’agrandit au fil des prestations. La cheffe d’orchestre du groupe y réunit une tablée de musiciens chevronnés : Vincent Delorme à l’alto, Pascal Demalsy à l’accordéon et au piano droit, Tim S. Savard au violon et aux cuivres, sans oublier Alex Marchand à la contrebasse et à la réalisation. Notons également la participation de Nicolas Lafortune à la batterie et aux percussions.
Né d’une préproduction à L’Anse-Pleureuse chez André Dédé Vander – qui a contribué à la révision des textes – l’enregistrement a lieu à deux autres studios situés à Montréal, notamment à la Casa Obscura. Alice Bro signe l’entièreté de ses chansons terre à terre aux propos crus, mais sensibles, comme sur Les choix, une sorte de chanson énumérative qui illustre implicitement la dualité entre le déterminisme et le libre arbitre. La pièce Bon sens, d’un angle existentiel, démêle la notion du discernement dans un contexte de vie débridée, par un style jazz qui s’harmonise naturellement avec la voix au timbre éraillé de l’interprète. En plus du caractère tourmenté et franc des paroles en joual, la voix d’Alice Bro laisse entendre un subtil et insolite croisement entre Amy Winehouse et Dédé Fortin. Les pistes de voix ont toutes été enregistrées lors d’une autre séance par E.J Lang au Antimiel Studio.
« J’suis-tu une femme honnête ou ben un bum perdu?
J’me suis posé la question, pis chu restée déçue.
C’est si facile de s’oublier
Au travers des brosses, au travers des partys.
Tu finis en tête-à-tête à fin de ta soirée. »
–Bon sens
Un morceau texturé et envoûtant, qui démontre que les arrangements, organiques et sophistiqués, prennent une place importante dans ce mini-album au mixage méticuleux. Ils ajoutent une touche d’élégance au répertoire de l’artiste qui, jadis, était reconnu pour son aspect brut et rustique. Soulignons aussi l’alternance entre l’accordéon et l’alto dans la pièce Tango des pas fiables qui est d’une virtuosité admirable. Si l’auteure-compositrice-interprète extravertie carbure à l’humour dérisoire et à la vulgarité, elle se vulnérabilise dans L’aurevoir. D’influence folk baroque, cette dernière pièce parle d’une peine d’amour toxique et se termine en crescendo, comme un appel à la fête. Celle qui a assuré la première partie de Québec Redneck Bluegrass Project à maintes reprises dégage l’assurance et possède le charisme pour enflammer la scène avec ses musiciens de feu, forts de leur bagage respectif.
Car si le projet Alice Bro Trio se vit encore principalement devant public, il étonne par ce premier mini-album réalisé impeccablement. Dans l’bon sens est une carte de visite invitante, convaincante d’où émerge l’essence du plein potentiel d’Alice Bro.
Alice Bro Trio donnera une série de spectacles avec André Dédé Vander du 23 juillet au 20 septembre 2024 dans le cadre de la tournée Vander + Alice Bro … ou l’inverse.
4.5/5
