Si vous avez plus d’un quart de siècle au compteur (oui, ça fait mal de le dire comme ça, mais au fond, qui voudrait vraiment revivre sa vingtaine?), vous avez certainement vécu le phénomène Papa Roach. Avec leur album  »Between Angels and Insects », une bombe nu-metal qui, personnellement, a tellement vécu dans ma chaîne stéréo qu’il est probablement mort de fatigue dedans, les Américains ont ouvert une voie vers la rebellion de toute la génération Y .

Leur style agressif, passionné, et leur titre culte  »Last Resort » a fait du groupe un des rares qui n’est pas tombé dans l’étiquette ringuarde de ceux qui tentent toujours de rester dans le même style, quitte à s’y noyer.

Et puis un beau jour de février 2021, voilà que je me met à parcourir mon fil d’actualité sur cette plateforme paléolithique : Facebook.
Apparemment, les Californiens ont sorti un  »Last Resort : Reloaded » avec un certain. Jeris Johnson. Qui? Me regardez pas comme ça, j’en sais absolument rien.

Et c’est là où il ne faut pas cliquer sur des choses car votre adolescence peut se prendre un sacré coup dans la gueule et vous pouvez vomir à l’intérieur.

Ce clip, reprenant presque image par image leur clip sorti il y a 21 ans (aoutch!), présente le quatuor ridé chanter les premières paroles de  »Last Resort » :  »Cut My Life Into Pieces / This Is My Last Resort » ( »Couper ma vie en tranches / c’est mon dernier recours »), avant de laisser la place à l’illustre inconnu, apparemment pas si inconnu que ça, mais nous y reviendront, qui y pose ses notes trap.
Jeris Johnson, un Chad Kroeger en onesie, se met à rapper ses propres versets, avant que Jacoby Shaddix vienne agrémenter le morceau, taillé de l’original 3 minutes 21 à un 2 minutes 17, soit dix fois l’attention span disponible.

 »Last Resort » est désormais en format : refrain, couplet, refrain, couplet, refrain, refrain, refrain, vous prendrez une petite tranche de refrain?

C’est là où l’adolescente en moi (et l’adulte aussi) poussa un cri de dégoût :  »QUOI?! »
Ma douce moiti, alors dans la chambre d’à côté me demande si tout va bien. Je lui épargne la violence que je viens de vivre et change de sujet. Mais cette image me hante, et pas un jour ne passe sans que je veuille en parler, l’éliminer de ma vie, tandis que la coupe de cheveux en pique de Jacoby Shaddix vient s’insinuer dans mes cauchemars les plus profonds. Voilà que le nu-metal, style musical mort depuis bien longtemps, se retrouve mis au goût du jour grâce à la plateforme TikTok. Vous ne connaissez pas TikTok? C’est tant mieux.
En effet, Jeris Johnson se dit  »rockeur », mais il n’y a que le terme pour le définir. Bien loin de l’attitude taille veines des adolescents d’il y a vingt ans qui s’enfermaient dans leur chambre pour passer  »Between Angels and Insects » si fort que les parents venaient frapper à leur porte, Johnson ne semble même pas avoir atteint la double dizaine. Néanmoins, on le retrouve avec plus de 50’000 abonnés sur Instagram (si vous ne savez pas ce qu’est Instagram je ne peux rien pour vous) et plus de 500’000 (!!!!!) fans sur TikTok. Son fond de commerce? Utiliser des paroles de titres des années 90 pour les chantonner sur un fond trap. L’essence du morceau est passé à la moulinette et détruit comme des poussins mâles. En ressort un liquide visqueux, qui n’a plus rien du morceau originel, mais mettez-y de la panure et je suis sûre que MacDo peut le vendre.

Alors loin de moi l’idée de renier le principe de reprendre un morceau, de se l’approprier, de le remettre au goût du jour. Mais ce que fait Joris Johnson en reprenant (mal) des morceaux qui ont bercé les années 90 et 2000 de manière complètement stérile, c’est cracher sur l’âme du titre, et des musiciens.  »Smell Like Teen Spirit » (pitié, n’écoutez pas la reprise de Joris Johnson, j’en pleure encore parfois en y repensant) était un cri de Cobain face à sa soudaine célébrité et son dégoût de l’industrie musicale. Ici, c’est un gosse de riche qui se la pète. Quant à  »Last Resort », même si tous les membres de Papa Roach sont des gosses de riches, c’était un appel au malaise adolescent, à la tendance au suicide et à la mutilation. Ici… C’est un mec qui fait le buzz.

Et ce qui me répugne sûrement le plus, c’est de voir à quel point Papa Roach profite, et apprécie, ce nouveau coup de fouet pour les remettre au goût du jour avec comme nouveau public des gamins qui n’étaient même pas nés lorsque leur premier album voyait le jour. Moi, en voyant cela, j’avais plutôt envie de lancer  »Jacob ! Cesse d’ennuyer ce jeune garçon et viens-donc faire ta séance de tai-chi ! » Il faut croire que certains se sentent Forever Young, même si leur maturité a passé de  »My Name is Coby Dick ! Mister Dick if you’re maaaaad » à  »Maybe you should let me go, I’ll love you through a periscope »… Leur vidéo à plus de 100’000 vues en à peine deux semaines, et les commentaires sont élogieux. Mais moi, ça me reste au travers de la gorge.

Et parfois j’ai honte du rock.