[Interview] Philippe Manœuvre – Juin 2016

Le magazine Rock & Folk fête ses 50 ans cette année et j’en ai profité pour poser quelques questions à son rédacteur en chef Philippe Manoeuvre, qui comme à son habitude nous a répondu avec l’enthousiasme qui le caractérise.

Philippe Manœuvre : On est triste ! Et c’est toute notre jeunesse qui s’en va. Tout le monde parle de ces musiciens mais est-ce triste pour la musique ou bien est-ce une réflexion sur notre propre jeunesse ? Sur les réseaux sociaux, les gens témoignent : « Je l’ai vu en concert il y a quelques années avec mon père », « J’avais craqué sur tel album »…Ce sont des moments de partage et des souvenirs magiques. Que ce soit Lemmy ou David Bowie par exemple, ce sont des personnages plus grands que nature, avec une aura incroyable, et des gens qui avaient un nombre de fans incalculables. Quand on a vu Motörhead au Hellfest en juin dernier, la qualité d’écoute était incroyable. Malheureusement, au bout d’un moment, il faut faire un bilan. Ce sont des mecs qui ont très bien vécu, qui ont un peu carbonisé la chandelle par les deux bouts. Lemmy ou Bowie d’ailleurs. L’alcool, la cocaine, le speed…tout ça enlève sûrement quelques années au compteur. Voilà, c’est un moment difficile. Et Rock & Folk, on est là aussi pour en parler et leur rendre hommage.

Philippe Manœuvre : Alors le Bataclan, c’est autre chose. Des lecteurs faisaient parti des victimes et c’est terrible d’apprendre ça. Keith Richards m’a dit un jour « La mort, elle arrive quand on ne s’y attend pas. Elle te tape sur l’épaule, tu te retournes et puis t’es mort ». C’est ça la mort, c’est un truc dégueulasse. C’est clair que lorsque l’on va à un concert, on ne laisse pas son testament sur la table de la cuisine. Le vendredi 13 Novembre dernier, on a atteint un niveau absolu dans l’abomination. J’ai pas de mot en fait. On est blessé tout simplement. On a bu un coup avec trois rescapés du Bataclan quelques semaines après, et les mecs ne vont pas bien. Ils sont dans un état de fébrilité très avancé. Ils avaient payé une place pour l’anniversaire d’un de leurs copains, ils étaient cinq et ils sont revenus à trois. Et des cas comme celui là, il y en a pleins. Malheureusement, certains ne respectent pas nos lieux de culte. Pour nous le Bataclan, c’est un endroit où on a vu Motörhead, Korn, Nine Inch Nails…il y a eu plus de 2000 concerts là-bas depuis 1969. C’est devenu à cette date une salle de spectacle alors que c’était un cinéma. Sinon, chez nous à Rock & Folk, on a eu beaucoup de chance car personne n’est mort dans l’équipe. Moi de ma vie, je n’ai jamais emmené quelqu’un dans un lieu qui pouvait être dangereux. Enfin, si t’abuses pas trop de la bière (rires). Maintenant, cela change un peu la donne. C’est clair qu’on les énerve, notamment à cause de notre mode de vie.

Philippe Manœuvre : On aimerait bien faire un concert gratuit avec les Rolling Stones. Ce serait un aboutissement, mais pour l’instant, nous sommes entrain de préparer un gros numéro pour le mois de Novembre prochain avec environ 200 pages, des interviews, le retour de certains copains. J’ai demandé à tout nos anciens journalistes de nous écrire quelque chose. Les vieux lecteurs apprécieront je pense la démarche. Affaire à suivre donc. Bon maintenant, on se sent investi d’une lourde responsabilité, il y a avait pleins de bons magazines de rock et on est le seul pour ainsi dire à avoir tenu. Je ne sais pas ce que les gens imaginent mais c’est beaucoup de travail, beaucoup d’abnégation. Rencontrer un artiste, cela te prend un dixième de ton temps par rapport à tout ce qu’il y a à faire sur un plan administratif. Les quatre fondateurs du journal sont décédés maintenant et j’ai eu la chance de travailler avec eux, de les connaître, et je sais ce qu’ils auraient aimé. Ils seraient très surpris je pense de constater que ça dure encore. En même temps, on vit dans un monde de réédition. Il n’y a pratiquement plus de nouveauté et le monde a énormément changé depuis 1966, date de la création du journal.

Philippe Manœuvre : Alors déjà, si ils ne la font pas, c’est qu’il n’y a sans doute pas la place. Je ne pense pas que ce soit un manque d’audace, on arrive d’une autre époque. Je croise des gens de télévision qui me demandent « alors, le rock ça va ? ». Ils voient aux infos AC/DC au stade de France, U2 à Bercy…la réalité du rock, ce n’est pas vraiment ça, c’est plutôt le groupe qui n’a pas toujours d’essence dans le camion et qui va jouer dans une petite salle. Rock & Folk a beau insister sur certaines formations, elles ne passent toujours pas à l’Olympia par exemple. La machine est cassée tout simplement. En 1976, il y a eu un jeune groupe qui a débarqué et qui s’appelait Telephone. Très vite, ils ont vendu 300.000 disques et ils ont fait les grandes salles. Lorsqu’ils ont arrêté, ils ont été remplacé par Trust ou Indochine et bien plus tard par Noir Désir et bien d’autres. Et puis, ça s’est arrêté. Depuis 2005 à peu près, il n’y a pas eu un groupe signé par une major. Alors je me dis, où sont les gamins ? De nos jours, il y a beaucoup d’autoproduction et on en reçoit beaucoup. Plus d’attaché de presse, plus de photos, il faut tout écouter et faire son cinéma tout seul. Après, j’espère qu’au moins un sortira du lot. Tout ce qui nous a excité dans le rock, c’est qu’il y avait une certaine continuité. Des Beatles jusqu’au Noir Désir. Il y en avait toujours un pour dire, c’est moi le chef ou j’essaye de l’être en tout cas (rires). On va faire plus fort, plus violent, détrôner les anciens. Quand David Bowie était au sommet, les punks se sont dits, on va le liquider et s’imposer. Puis il y a eu la new wave et d’autres courants…et puis plus rien. Les majors ont alors proposés des rééditions, puis le vinyle est revenu à la mode. L’industrie s’est donc engouffré là dedans. De nos jours, la musique dominante, c’est Kanye West, Beyoncé…Il y a quelque chose qui ne vas pas, on est bien d’accord. Même Johnny Hallyday ne trouve pas de jeunes groupes de rock pour ses premières parties. C’est Manu Lanvin qui a été choisi mais le mec a 47 piges quoi (rires). Il est très bon et on est content pour lui mais c’est assez révélateur.

Daily Rock France : Rassure moi, cela t’arrive encore d’avoir des coups de cœur ?   

Philippe Manœuvre : Oui, les Limiñanas, un groupe de Perpignan. Ils font tout ce qu’on aimait chez Gainsbourg, chez Elvis Costello, dans la pop anglaise ou dans le Velvet Underground. Ce sont des anciens disquaires il me semble, très cultivé et qui font de la musique. Ils viennent de sortir un album « Malamore » et j’espère que cela va marcher pour eux.

Philippe Manœuvre :  Oui c’est vrai (rires). Lorsque l’on m’a averti de ce titre, qui fait plutôt intellectuel, on m’a dit tout chevalier des Arts et des Lettres peut vous remettre cette médaille. Je savais qu’Iggy l’avait puisqu’il m’avait invité à sa remise, qui a eu lieu d’ailleurs le même jour que Carla Bruni (rires). Un moment inoubliable pour nous tu penses bien (rires). Alors, je l’ai contacté et il me dit : « Chevalier toi et moi ? Qu’est ce que cela veut dire ? On va se battre à coup d’épée ? » (rires). Finalement, dans le rock, il n’y a pas tant que ça de récompense. Si t’as de la chance, tu peux obtenir un Grammy ou une victoire de la musique, mais c’est tout. Suite à cette cérémonie, qui s’est déroulé dans les coulisses de l’Olympia, j’ai tout envoyé à mon père qui était instituteur. Il était fier (il sourit). Bon moi aussi, parmi les chevaliers, il y a quand même Bowie et Clint Eastwood !

Philippe Manœuvre : Je pense que c’était une autre époque, en 2008. On entendait un peu plus de rock à la radio et ils avaient besoin d’un rocker. Lors du casting, les gamins reprenaient par exemple des extraits de Tommy (The Who), The Cure, Tool, Nirvana…Il y avait Sinclair qui représentait le funk, André Manoukian le jazz, Lio la pop et moi le rock. Voilà. C’était un bon jury et ça a bien fonctionné deux ans. L’année suivante, ça ne fonctionnait plus. Alors certains ont trouvé ça douloureux, mais au moins, le rock était un peu représenté. Ce qui n’est plus trop le cas maintenant. Sur Arte, nous avions fait une émission en direct de l’île de Wight avec notamment Amy Winehouse et les Rolling Stones. Plus d’un million de téléspectateurs ont regardé ce programme, c’est bien mais je m’attendais à beaucoup plus. Imposer du rock sur le petit écran, c’est de nos jours vraiment difficile. Tant que l’on fera des petits scores comme celui là, on ne pourra rien réclamer. Les Inrocks avaient fait une pétition à ce sujet et ont récolté 3000 signatures. Autant te dire que les chaines rigolaient.

Philippe Manœuvre : Concernant le Hellfest, Ben Barbaud et son équipe ont fait un travail colossal. Tout l’argent est réinvesti et le site est magnifique. C’est un beau projet. J’y étais l’année dernière et on y va entre copains. Pas de sms durant tout le week-end, on reste sur place et on fait la fête. Pas besoin de s’excuser d’être habillé en noir et d’écouter de la musique forte (rires). C’était écrit d’avance que ce serait un succès même si les premières années ont été difficiles. Les autres festivals programment tous à peu près les mêmes choses et on y voit souvent les mêmes artistes. Le Hellfest lui a réussi à garder une image intègre. Quand on y va, pas besoin d’expliquer ce qu’on va y faire. On écoute du rock, du metal, du punk, point barre !

Philippe Manœuvre : Ecrire un vrai roman, avec un détective bien rock (rires). Dès que j’arrive à la retraite, j’attaque l’écriture. Cela fait un moment que j’y pense et ça va être truffé d’énigmes où le personnage principal devra retrouver des bandes, des chanteurs disparus… Je compte y insérer des trucs que j’ai vécu, des choses que je connais et que je n’ai pas pu mettre dans certains articles. Ou alors, mais c’est un peu tard, apprendre à jouer de la basse et remplacer Corine Marienneau dans les Insus ex-telephone (rires).

Philippe Manœuvre : Comment continuer sans lui ? C’était malheureusement la meilleure solution. Il y a bien Airbourne mais en les écoutant, j’ai l’impression de tromper ma femme avec une nana que je connais (rires). C’est du AC/DC quoi. Tout le monde s’inspire de quelqu’un et c’est comme ça. Il existe pleins de bons groupes mais je ne miserai sur aucun en particulier. En ce moment, il y a un vrai retour sur le hard-rock. Les mecs ne font pas du metal mais du hard-rock. La tendance est bonne et les concerts sont excellents. Donc à voir sur le long terme. On est dans un monde qui fait constamment marche arrière en fait (rires). On n’est plus dans la nouveauté, voilà. Et pour finir, je dois t’avouer qu’en ce moment, j’écoute tous les albums de Motörhead…Je les ai tous.