Il nous avait bien averti, le chanteur Alex Turner, au moment où les Arctic Monkeys recevaient les multiples récompenses décernées à l’album « AM » paru en 2014. Le rock ne disparaîtra jamais, mais il peut se mettre en sommeil de temps en temps, retomber dans l’oubli. Alors si on n’avait pas voulu l’entendre à l’époque, la sortie de « The Car » nous confronte à cette réalité, confirmant ce que le groupe avait déjà entrepris voici quatre ans avec son précédent album studio, un virage à l’équerre sur la route trop bien tracée du succès rock. Laissant même derrière lui les lignes de basses riches de « Tranquility Base Hotel + Casino » et reléguant les exubérances rythmiques du batteur Matt Helders au rayon de la galerie à bagages. Et s’il y a encore des guitares, elles sont soul et fugaces. Les places sur la banquette avant sont occupées par des pianos, des cordes, quelques synthétiseurs et un Turner qui se mue en chauffeur élégant apprêté d’un fin costume de crooner.

On est vraiment loin, très loin, de l’ambiance urbaine et grise que nous promet la pochette (que l’on doit à Helders). Il se pourrait bien que le prieuré de Butley dans le Suffolk ou le manoir de La Frette près de Paris, qui ont hébergé le groupe au travail, aient joué plus qu’un simple rôle dans l’aventure sonore hors du temps qui nous est proposée. Point donc de solitude d’un vieux tacot graisseux et déglingué, mais bien la luxuriance de dix-huit violons, la langueur de mélodies florales et une approche stylistique à chaque titre renouvelée. Démarrant là où « Tranquility… » nous avait conduit, « There’d Better Be A Mirrorball » bifurque rapidement vers cette richesse sonore qui marque clairement l’envie du groupe de sortir de sa zone de confort. On traverse la moiteur un peu oppressante et lancinante de « Sculpture Of Anything Goes », on se laisse aller un temps à une douce rêverie sur le tapis de cordes très Beatles de « Body Paint », avant que le titre ne se pare d’une noirceur oppressante. Le voyage passe par les plaines désertiques d’un ouest très poussiéreux (« The Car »), croisant au passage l’un des seuls solos de guitare de l’album, aride et rêche. Il y a aussi des effluves de Caraïbes tout au long de la bossa nova langoureuse de « Mr Schwarz ».

Un regret pointe pourtant à la clôture de ce que l’on doit considérer comme une nouvelle vie pour les Arctic Monkeys, que le travail vocal impeccable d’un Turner se baladant entre les octaves avec une belle facilité ne s’accompagne que trop rarement de mélodies lumineuses, comme celle de « Perfect Sens ». Un titre qui clôt magistralement l’album avec sa rythmique lente, chaloupée, mélancolique, illuminé d’un piano sobre et de cordes cinématographiques derrières lesquels le groupe semble presque disparaître. Les Arctic Monkeys s’éloignent définitivement du rock, et seul le quatuor sait si un jour il y reviendra.

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Note: 4/5