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Par Vincent Lehmann, envoyé un peu spécial

29 juin

Votre serviteur pose un premier pied au Danemark en ce jour parfaitement dégueulasse, où une pluie fort déplaisante accueille le visiteur de bonne volonté. Depuis l’aéroport de Copenhague, il faut très exactement entre un peu et pas mal de temps pour parvenir au site du festival, selon que votre chauffeur finlandais, ex-hippie polyglotte et globe-trotter, veuille bien vous y amener sans faire un détour pour faire du chopingue par un supermarché de la périphérie. Il faut croire que ça faisait partie de l’arrangement avec la quinzaine de ses compatriotes avec qui j’embarque un peu au hasard, touché par les tentatives du gaillard de me causer en français et me convaincre que son service est moins cher que le train. Il aurait été dommage de manquer ces versions molles et zozoyantes de Led Zeppelin ou Hendrix, grâce  la magie d’une cassette sans âge… Mais je digresse, et reviendrai plus en détail sur le festival en lui-même dans d’autres billets, si tant est que celui-ci vous parvienne…

Le premier concert vaguement bourrin de la journée était proposé par Bring Me The Horizon, que je loupe en arrivant trop tard – c’est que les accréditations et l’installation au camping, ça ne se bâcle pas en trois secondes, voyez-vous. On se console avec les dieux vivants du thrash :

Slayer – 19h30
Sous l’ample tente Arena, une foule compacte piétine le sable gris depuis de longues minutes, produisant un son d’océan furieux. « High Energy Concert ! » avertissent comiquement les panneaux lumineux, nous faisant savoir par ailleurs que le mosh ça va, mais le crowd surfing, bonjour les dégâts… Le chapiteau style Knie est décoré au plafond d’oiseaux blancs stylisés, prémices ironiques aux sons guerriers à venir. Derrière la scène,  apparaît en noir et blanc une tronche de Christ plutôt mal en point. Dans le public plutôt jeune et rigolard, fort peu de métaleux archétypiques. Ca s’impatiente :« Slayer ! Slayer ! » Résonne alors, mais oui, Thunderstruck d’AC/DC, repris par la foule. Les silhouettes emblématiques d’Araya et King se détachent sur fond rouge. Un Gary Holt à rouflaquettes de Wolverine toxico pose d’emblée l’ambiance avec son ticheurte Kill the Kardashians et sa gratte rendant hommage à son regretté prédécesseur Jeff Hanneman. C’est Repentless, seul vrai bon titre d’un dernier album très dispensable, qui ouvre les réjouissantes hostilités. Puis c’est God Hates Us All qui pulvérise l’assistance, Araya encore plutôt tranquille sur ce titre qui requerrait du poumon plus radical. Un verre d’eau s’envole et atterrit dans les mains de mon voisin interloqué, m’éclaboussant au passage – faites que ce soit vraiment de l’eau, par pitié. Au fil de la prestation carrée et réglée comme un orgue de barbarie, la foule s’agite de plus en plus, les pogos contaminant jusqu’aux derniers rangs. Sur l’écran balayant la foule, un couple adorable, surtout elle avec sa couronne de fleurs décorant sa blondeur platine, s’embrassent hilares sous l’œil de la caméra, entourés de déguisements de pikachus et de fées à baguette et tutu,  parfaitement idiots et décontractés. Le set sera des plus classiques, avec peu de titres nouveaux et beaucoup d’incontournables comme War EnsembleReign in BloodAngel of DeathDead Skin MaskMandatory Suicide. Slayer peut rater un album, la machine est trop rôdée pour rater un concert, en voici un énième exemple.

At The Drive-In – 21h15
Dans le noir de la même tente, un boucan insane s’élève dans les airs, avant une intro mi-martiale mi-bruitiste. Si on salue la belle énergie du groupe, et en particulier la hargne continue du batteur, le chanteur à touffe de Wayne Kramer des origines (MC5) a beau vitupérer, sa rage verbeuse et androgyne n’est pas franchement communicative. Quant aux compos, on pense à un Norma Jean brouillon, ou à la déglingue bisexuelle des Blood Brothers. De la patate, de quoi donner envie de tortiller du cul parfois même, malgré les dissonances, pourtant voix et guitares restent trop haut perchées pour garantir un impact suffisant. Et puis, quelle mouche à zika vient donc piquer le braillard mal mué quand il demande à la foule si elle se lave le cul (sic) ? La soigneuse déstructuration des titres, plutôt intellos, se fait au détriment de leur brutalité, et le monsieur derrière le micro devrait plus chanter, ou plus hurler c’est selon, mais moins déblatérer quoiqu’il en soit. L’énergie louable du groupe sur scène est gâchée par des solos-gratouillis sans imagination ni virtuosité, et si l’intensité ne retombe jamais vraiment, on reste sur sa faim, avec la sensation d’assister à une jam de Radiohead après une trop grosse prise de coke mal coupée. 

Sleep – minuit
Sous la tente Avalon. Rarement derrière son micro, Al Cisneros, pithécanthrope à la barbe moins clairsemée que la tignasse, manie une Rickenbacker plus rutilante qu’une Cadillac cubaine d’avant la Baie des Cochons. Matt Pike, de son côté, semble une sorte de Ron Jeremy passé par la case prison et ses malhabiles tatouages artisanaux. Bienvenue à une intense cérémonie en l’honneur de Dame Saturation, immense, grasse, chaude, étouffante, éléphantesque. On se croirait la gueule coincée dans un didgeridoo métallique de dimensions continentales, qui rend plus incongrus encore les panneaux du plafond incitant l’assistance à « take care of each other »… Il suffit souvent au bassiste d’effleurer ses cordes en tapping pour produire une vibration tellurique qui secoue les fringues et fait vibrer tous les organes. D’une simplicité redoutable, les berceuses pour Moloch insomniaque déroulent leur groove fielleux et sensuel en un bourdonnement qui ne varie pas d’une compo à l’autre, induisant une hypnose collective. On regrettera toutefois l’absence quasi complète d’interaction avec le public durant cette session de musique presque mystique, qui traverse le corps plus qu’elle ne l’écrabouille.

30 juin

Black Breath, scène du Pavillon, 20h
Dix minutes avant le début du show, la tente est encore quasiment vide, occupée par de rares oisifs squattant le sol d’un endroit pouvant accueillir peut-être trois cent personnes. Sans fumigènes ni formalités, le groupe débarque, le chanteur brandissant va savoir quoi – mais certainement buvable – , avant que chacun ne s’installe avec désinvolture. La foule se fait un peu prier pour gueuler comme il se doit, récompensée par un gros larsen involontaire – la balance n’a pas été faite, ou à l’arrache. «Vous aimez ZZ Top ? » demande le gueulard en chef, ce qui n’a rien à voir avec la choucroute puisque l’on n’aura pas droit à quoique ce soit d’un peu bluesy par la suite.  Nos joyeux yankees proposent un thrash double-caisse rappelant les premiers Metallica, avec headbanging de la tignasse pour le même prix et vocaux plutôt black metal, le tout lorgnant vers les moments les plus punks d’Impaled Nazarene. Un début de mosh enthousiaste salue les premiers titres, le son est abrasif, les breaks parfois hasardeux (sans que la cohésion du groupe soit reprochable), et les riffs semblent souvent se résumer à une percussion se superposant à la batterie. La prestation est décousue, les pauses nombreuses, on est heureux que le groupe soit si décontracté, notez… Tâcherons sincères et humbles, sans la moindre inventivité, Black Breath atteint sans peine son quota minimal de brutalité sonique tout en donnant l’impression d’une jam entre potes. On restera un peu sur sa faim en matière de haine et de folie, mais l’on fera remarquer que notre civilisation mourante a une large avance sur ce plan-là, en fin de compte. Alors longue vie à ce  ‘Potes-Metal’ amerloque bien sympathique !

Kvelertak, Avalon, 23h
Un décor d’amphithéâtre romain teinté rouge incendie pour Kvelertak, en cette fin de journée enfin un peu sèche. Le soussigné attend ce concert depuis plusieurs mois, spécifiquement depuis leur passage à Zürich où une sono pourrie (délibérément par les grands groupes qu’ils accompagnaient ? Ca s’est déjà vu) avait salopé une prestation débordant d’énergie, guitares et voix étant pratiquement inaudibles. L’offense est réparée, avec un son rendant hommage à la force de frappe de la formation norvégienne.  Le rideau se lève sur le chanteur Erlend Hjelvik, posant telle une divinité hindoue, portant un improbable masque lumineux, et l’assistance pousse à peine sa première gueulée que l’attaque sonore a lieu, blast-beatant toutes voiles dehors. Avec le strict minimum de saturation pour le maximum de patate, les « étrangleurs » (tradoche à l’arrache de ce nom que toi aussi tu n’as pas réussi à prononcer du premier coup) cisèlent un rock pur jus aux sensations hybrides, infligeant au metal ce que New Model Army avait imposé au rock. On pousserait volontiers la chansonnette comme un seul homme s’il y avait une mélodie chantée identifiable… A défaut de vocaliser comme un être humain raisonnable, le frontman assure le spectacle presque à lui tout seul, mettant le public dans sa poche à grands renforts de « skål! » (« Santé ! » – prononcez « skaule »), crachant en l’air, agité comme un Cro-Magnon décongelé sans préavis. Méprisant les consignes de sécurité que l’on nous martèle matin et soir, il saute dans la fosse, escalade la grille, marche sur ses fans, se paie un petit surf à la surface de leurs mains, au grand dam des petites demoiselles de la sécurité, un peu dépassées par cette brève incartade.  Un plaisir live d’autant plus grand que là, contrairement à une écoute en bagnole, on ne risque pas de paumer définitivement son permis en tentant de suivre le rythme.

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Tsjuder, Pavillon, minuit 30
Quelques mètres plus loin, ce sont leurs compatriotes de Tsjuder qui poursuivent les hostilités metal ce soir-là, et ce trio peinturluré-clouté n’est pas venu pour rigoler. Avec une impressionnante rigueur, ils délivrent un Black Metal cousu main, à l’ancienne pour l’inspiration (les influences de Venom ou Celtic Frost sont manifestes) et impeccablement contemporain pour son exécution. Le terme vaut pour tous les sens qu’on peut y entendre : recourant avant tout aux bons vieux barrés heavy, sans fioritures particulières, la formation privilégie l’impact radical, comme ce que Marduk avait cherché à faire notamment sur le légendaire Panzer Division. Saluons ici la superbe cohésion des trois compères, alignés comme les tiers d’une machine à tout casser sans trop se poser de colles, gratteux et bassiste alternant au micro pour des hurlements pis que bestiaux. Assez lassants dans les quelques passages lents, ils sont dévastateurs dans les pointes de vitesses, sans approximation aucune qui plus est. Dommage qu’ils n’aient eu droit qu’à un public assez peu nombreux et déjà très fatigué.

 

1er juillet

Letlive
Letlive

Letlive, scène Pavillon, 20h15
Un vrai moment de vérité pour ces Californiens qui tournent depuis quinze ans. De l’aveu même du chanteur Jason Butler, leur dernière visite au Danemark avait laissé l’audience plutôt perplexe. De « mauvaises bases » corrigées, puisqu’une tente comble fait un triomphe au quintette. L’animal au micro ne l’aura pas volé, car le bougre paie de sa personne : quand il ne se déchire pas la gorge, c’est son t-shirt qui y passe, ou ses articulations lorsqu’il imite les cabrioles d’un crapaud enragé, avant de fendre la foule pour grimper au mât principal de la tente (voir photo). Encore quelques discours bateau sur l’air de « tout le monde il est gentil », ou sur ses soucis de santé personnel, et il met le public définitivement dans sa poche. Musicalement parlant, les amateurs de basse virile en auront pour leurs couronnes danoises, car elle domine sans pitié les douze autres cordes qui suent sur ce hardcore teinté de screamo, où l’ombre de Rage Against the Machine ne disparaît jamais complètement (sans les bidouillages bruitistes de Tom Morello, on ne s’en plaindra pas forcément). Derrière ses fûts, Lionel Robinson tricote des baguettes avec fougue, véritable soliste de la formation. On pourra diversement apprécier les compos les plus complexes, où si tout paraît aller très vite, l’on n’en tape pas moins du pied sur un rythme plus hip-hop que rock. C’est sur les titres les plus épurés que le groupe révèle sa véritable force de frappe, et ne donne plus l’impression de faire hurler son moteur sans passer la seconde. Mais la meute n’a cure de ces arguties grincheuses et c’est de fort bonne grâce qu’elle se lance, sur suggestion de l’ami Butler, dans le premier circle pit constaté par votre serviteur. Un vrai succès où tout le monde, de chaque côté des amplis, se fend la malle en une belle et bruyante communion.

Mutoid Man, Pavillon, minuit 15
Attention, pointures droit devant ! Ce trio est composé de transfuges de Converge, Cave In et Old Man Gloom, pour vous la faire courte. Autant dire que ça ne déconne pas… Ou plutôt si, bien au contraire, ça déconne à plein ballons ! C’est qu’ils peuvent se le permettre, les salopiauds, avec un tel niveau technique. Du gros métal à la Toy Dolls ? Oui, c’est possible. Pour mettre chacun dans le bon état d’esprit, le concert commence par une version enfin burnée de « Purple Rain » (mais oui, vous savez, le tube de ce chanteur vaguement célèbre dont aucune radio ne nous a rabâché les oreilles quand il a claqué récemment…) Le reste sera à l’avenant, soit un long orgasme inattendu, nos musicos étant aussi doués qu’imprévisibles. Le batteur qui marathonne autour de ses caisses ? Demande pas. Du Tom Jones (« She’s a lady ») ou The Animals (« Don’t let me be misunderstood ») massacrés par l’orchestre du Death Metal Circus ? Demande pas non plus. D’ailleurs, ne demande jamais rien : tu reçois direct une triple dose de pur bonheur à la fois bouffon et ultraviolent. Un peu comme si la version de ‘Got the Time’ par Anthrax durait une heure ! Du foutage de gueule intégral, qu’autorise une ceinture noire troisième dan de brutalité technique. Et que je fais un doigt à mes potes sur scène, avant de les multiplier dans la tronche du public. Et que j’alterne voix de crooner échappé de l’asile et braillées compatibles avec un karaoké de Darkthrone. Une maîtrise instrumentale totale, mise au service d’une Oktoberfest pour morts-vivants, la rencontre inimaginable entre une bombe à sous-munitions et un coussin péteur. Des seigneurs de la scène !

http://www.roskilde-festival.dk

 

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