Le grunge avait bien mal à son histoire ces dernières années, décimé par les disparitions en séries, les groupes dissous, le revival du rock 70’s et Pearl Jam qui avait abandonné l’actu discographique depuis 2013. Avec cette sale impression que le mouvement, porte-voix d’une génération qui avait brutalement mis en musique ses angoisses et ses déprimes, avait fini par déposer les armes. Mais avec l’arrivée au pouvoir de l’inégalable Donal T. on se disait bien que le groupe n’allait pas tarder à rallumer la mèche. Et Boum ! Les vétérans balancent l’équivalent d’un milliard de tonnes de TNT, tout juste mis à feu par un minuscule détonateur.

A peine quinze secondes d’une intro synthétique suspendue, avant qu’une première déflagration ne libère une énergie déstabilisante (« Who Ever Said »), dénonciation d’une société en peine face à ses doutes et qui a choisi d’abandonner. Ligne vocale au bord de l’asphyxie, riffs secs, breaks à contre-sens, fin de morceau bancale, le quintet ne fait pas dans la construction bien propre en ordre. Comme si après tant d’énergie contenue par le silence, il avait choisi de ne pas vouloir en canaliser l’explosion, mais plutôt d’en capter les moindres ondes de choc.

Et qui dit déflagration dit aussi élévation de la température avec l’urgence décoiffante de « Superblood Wolfmoon ». La suite profite, elle, pleinement de l’effet de souffle et de la volonté de ne pas trouver l’équilibre, avec un brassage de ses propres influences, Pearl Jam laissant se faire percuter une basse très pop et une rythmique synthétique par des riffs punks (« Dance of the Clairvoyants »). Mais on l’avait dit l’évolution politique étasunienne allait sans doute faire bouillonner l’inspiration de Vedder. Heureusement il sait ne pas tomber dans le piège de l’épreuve de force verbale tendu par le locataire de la Maison-Blanche, et l’affronte avec malice imaginant un exode vers Mars après un long voyage, résultat de la somme d’efforts déployés pour trouver un endroit que Trump n’avait pas encore foutu en l’air (« Quick Escape »).

Une fois la déflagration initiale passée, la fumée tend à s’estomper et laisse apparaître un chapelet de titres plus intimistes, suivant toujours une construction plus instinctive que raisonnée. L’occasion pour le chanteur de donner de l’ampleur à sa voix et de piquer Trump d’un cinglant « les lumières s’éteignent, l’éloquence est perdue, il y a toujours un incendie dans la salle des machines, mais on sait que le soulagement viendra bientôt » (« Seven O’Clock »). Et boum ! Alors que l’on croyait le calme installé, Pearl Jam nous refait le coup de l’intro suspendue, avec cette fois une détonation rythmique en guise de rupture. La propagation est rapide, linéaire, la voix toxique (« Take The Long Way »). La secousse sera pourtant cette fois de courte durée, laissant apparaître sur les derniers titres un vide mélodique que le groupe peine à combler, une tension qu’il ne parvient plus à recréer, hors le fragile « Comes Then Goes » très probable hommage acoustique à Chris Cornell, et l’ombrageux « River Cross » qui conclut en nous mettant face à nos responsabilités, à force de suivre aveuglément ceux dont la carrière politique prospère en se nourrissant de notre mécontentement, de notre inactivité et de notre résilience.

Le grunge, lui, fait de la résistance et Pearl Jam sera encore là un moment pour attiser les braises de la contestation et nous pousser à partager la lumière.

http://www.pearljam.com

Note: 3.5/5