Cinq ans après son dernier album, MXD reprend du service et le groupe prouve qu’il n’a pas dit son dernier mot. Rendez-vous avec Duja pour parler d’Endurance et faire le point sur plus de 20 ans de carrière.

Tu pourrais me dire deux mots sur cet album ?
[Duja:] J’ai plus que deux mots à dire ! À l’interne on s’est dit que c’était la synthèse de 20 ans d’MXD, avec des trucs un peu nouveaux aussi. C’était pas spécialement voulu, mais on a remarqué qu’il y avait plein de morceaux qui correspondaient à des albums précédents, mais il y a aussi de nouvelles idées notamment motivées par les compositions de Stéphane Grand qui a amené le riff de ‘Eraser’. C’est un album qu’on traîne depuis quelques années et c’est en début 2019 qu’on s’est dit qu’il fallait vraiment qu’on le finisse. Le plus gros du boulot s’est fait en début d’année, on a finalisé les morceaux, on a réenregistré des voix, parce que les autres, je les avaient faites il y a deux ou trois ans, et c’est pas que c’était moins bien mais ça correspondait plus forcément à ce que tu es. Et moi j’aime bien l’immédiateté, la spontanéité et servir des produits frais, alors on a rebosser tout ça, on a abattu un énorme boulot que ce soit en matière d’arrangements, de finalisation de compositions, de prise de son, de mixage, etc. Tout le monde a bien travaillé, on a pris beaucoup de temps, comme d’habitude, et tout s’est fait sur une période assez courte finalement.

L’album s’appelle ‘Endurance’ – ma coach vocale et textes en anglais, Victoria Suppan, m’a pas mal drillé sur la prononciation, vu que c’est une nana d’origine irlandaise, qui a aussi fait la pochette, donc c’était un peu le couteau suisse de cet album. J’avais vraiment envie de grimper d’un niveau en matière de texte, mais en matière de prononciation aussi, même si, évidemment, il y a toujours un accent francophone quand on chante en anglais. C’est pas que ça pose problème, quand Rammstein chante en allemand, il a pas forcément l’accent de la Bavière ou de Cologne. On s’est un peu essayé sur ‘Contracultura’ qui est en espagnol avec Ricardo (de Cardiac) et j’ai remarqué en chantant en français sur ce morceau que je chanterais pas pareil en français qu’en anglais. Donc j’ai essayé de soigner ça et les émotions venaient en anglais aussi. Il y a toujours eu cette idée qu’en devenant plus matures, on aurait des choses à dire en français. On a d’ailleurs fait une reprise de Bashung qui est notre morceau caché, mais c’est vrai que c’est autre chose. On a fait ça avec notre cœur, ce qui est assez énorme. Je crois que c’est l’album le plus positif, pas en matière de texte ou de musique, mais en état d’esprit de groupe.

Tu dirais que le nom de l’album est un clin d’œil à votre carrière ?
Figure-toi qu’on a beaucoup ri avec ça, parce que ça faisait un moment que ce nom me trottait dans la tête pour l’album. En plus, on avait un slogan qui nous poursuit depuis quelques années, qui est ‘Nowhere Forever’ qui correspond bien à la démarche d’MXD, c’est-à-dire être toujours là, mais pas forcément dans un mode de diffusion, de promotion qui correspond à ce que les autres groupes peuvent faire. On a toujours notre petit rythme, Stéphane joue avec Science of Disorder, Drop avec Samael, Solex est devenu papa, donc on s’est dit ‘Endurance’, ça correspond bien à ce qu’on est, à nos âges aussi, sauf pour Drop qui est quand même un peu plus jeune, bien qu’il est là depuis tellement longtemps qu’on croit qu’il est vieux.

L’ironie de l’histoire veut que, avant la sortie de cet album, j’aie un petit pépin de santé, je suis pas le seul dans le groupe, et finalement ce titre correspond à ce qu’on est en train de vivre. Ce qu’il faut voir dans ‘Endurance’, c’est la résilience, la tolérance de la douleur, des frustrations et aussi une volonté de durer. C’est pour ça que la pochette de l’album est un ouroboros, un vieux symbole qu’on trouve dans toutes les mythologies, c’est un serpent qui se mord la queue. Il est symbole d’éternel retour.  Ça correspond bien à MXD. À chaque fois, on croit qu’on va frapper un grand coup et, finalement, tout ça se dilue dans une espèce de marée noire où finalement les espérances, les espoirs, les envies qu’on avait à 25-30 ans sont toujours là, mais elles ont changé. L’idée, c’est vraiment de consolider au maximum cette entité MXD, la faire durer le plus longtemps possible, tant qu’il y a du plaisir, de la créativité et du temps. Plus le temps passe, moins on en a, parce qu’on a tous des projets, des familles et je trouve que c’est vraiment une belle preuve d’attachement au groupe que tout le monde ait mis la main à la pâte et qu’on arrive à finir cet album extrêmement rapidement, mais lentement. C’est-à-dire, ça fait cinq ans depuis le dernier, mais on a vraiment bossé comme des fous depuis le début de l’année, donc il y a quand même ce côté paradoxal entre prendre du temps et finir dans le rush total, ce qui correspond bien à la musique d’MXD. Dans cet album, il y a des choses plus lentes, plus calmes, mais les morceaux qui sont agressifs et rapides le sont vraiment. Ça saute du coq à l’âne, certains vont dire que ça part dans tous les sens, mais pour moi c’est homogène, dans le sens où MXD s’est toujours nourri de ces grands écarts, de ces recherches dans tous les style, et finalement digéré ce qu’on est, c’est-à-dire un groupe qui est né dans les années 90 sur des bases de musiques éléctroniques, de rock et de metal.

Photo: Alexandre Pradervand

On en a parlé un peu plus tôt, mais comment est-ce que tu jongles entre l’anglais et le français ?
Il y a quelques années, je réfléchissais en français et j’essayais de trouver de phrases en anglais, donc il y avait un gros boulot de dictionnaire. Mais moi j’ai toujours aimé ça, j’ai toujours aimé le vocabulaire, chercher de nouveaux mots en anglais… Je suis un peu fétichiste du mot en fait. Il y a des mots qui claquent, j’essayais de trouver des sonorités en yoghourt en anglais sur les morceaux et c’est bien beau, mais au bout d’un moment, indépendamment de la ligne mélodique, il faut trouver le texte qui va avec. Je dis pas qu’on a bâclé ça auparavant, mais côté émotions, c’était peut-être moins profond. Tandis que là, j’ai bossé avec Victoria Suppan qui m’a vraiment aidé par rapport à mes yoghourts, on a bossé sur les textes que j’ai amenés. Le plus brillant exemple de la réussite de cette collaboration, c’est le morceau ‘Everythorn’, qui est dédié à la nature et qui réunit tous les éléments – l’air, la terre, l’eau, le feu, voire des éléments invisibles. C’était vraiment mettre la barre plus haut niveau texte, pas d’avoir quelque chose de littéraire, mais qui soit lisible par les anglophones et qu’ils se disent ‘wouaw, il y a du boulot sur les textes’, même si je sais qu’en musique, c’est pas forcément ça qui va faire pencher la balance. Mais j’aime bien écrire, j’aime bien la littérature et on avait vraiment envie de soigner ces textes et là, je pense qu’on a vraiment monté le niveau par rapport aux autres albums.

Quels sujets est-ce que tu abordes dans cet album ?
Sans vouloir tomber dans une espèce d’élitisme à deux balles, je crois qu’on a réalisé un album concept sans le vouloir. Quand on a commencé à faire de la musique dans les années 90, on se moquait beaucoup du rock progressif des années 70, on se demandait ce que ça voulait dire, finalement. Mais là, on y est, je crois. Tout est lié ! Quand on a fait la setlist pour l’album, on a mis les morceaux dans une logique plutôt musicale. J’ai fait ça quand j’étais au Kosovo et un soir, je m’attaque à cette fameuse setlist, la liste des morceaux, ce qui est toujours un exercice extrêmement complexe étant donné que tout le monde a d’autres envies dans le groupe. Là, étrangement, la liste a été acceptée directement à une exception près.

En lisant les titres des morceaux, c’est assez effarant, on a ‘Ain’t dead yet’ et ‘Alive tonight’ juste à côté, ‘Endurance’, il y a cette idée de la mort, de ce qui vient après, l’Enfer ? Le Paradis ? Autre chose ? Même pour les athées, je crois qu’il y a quand même une certaine angoisse de se dire ‘Merde, s’il y a quelque chose près, on est vraiment dans le caca’, parce que si toute ta vie tu te fous de la gueule de la religion et du bon Dieu et tout à coup tu arrives devant Saint-Pierre, tu peux pas t’en tirer avec une pirouette. Donc il y a ces interrogations sur la vie et la mort, pas forcément celles des corps, mais celles des émotions, de l’amour, de l’amitié. Les choses qui naissent, qui disparaissent, le cycle de la vie. Ça a été pas mal inspiré pas Aleister Crowley, un ésotériste, occultiste anglais qui avait une vie assez dissolue. Il a pas mal marqué le XXe siècle. Je ne vais pas faire sa biographie maintenant, mais pour tous les gens qui s’intéressent au rapport du réel à l’irrationnel, Aleister Crowley est un bon exemple de ce genre de personnage qui avait des pouvoirs magiques ou pas, mais en tout cas qui recherchait des choses à travers plein de disciplines spirituelles ancestrales. Finalement, on a ce rapport au rationnel ou à l’irrationnel. À partir de quel moment on croit à quelque chose parce que c’est vrai ou on n’y croit pas parce que ce n’est pas visible ? Donc il y a cette espèce de concept autour de la relation à la mort et à la troisième force, qui serait autre chose que le rien des athées ou une autre vie d’après beaucoup de religions. Peut-être qu’il y a une troisième voie entre le rien et le tout. C’est un peu métaphysique, mais c’est le genre de questions que j’aime bien. Il y a aussi ce rapport au satanisme qui est beaucoup utilisé dans le metal. C’est dur de savoir à partir de quel moment est-ce que ça passe du jeu esthétique au fait qu’on y croit. Il y a un mélange de mythologie et de démonologie que j’affectionnais quand j’étais plus jeune et c’est comme si je refermais ce chapitre, en me disant ‘il faut passer à autre chose, la vie existe en tant que telle et on n’est plus obligés de la jallonner par des symboles de bien, de mal, etc.’

Cet album est peut-être moins ‘metal’ que les précédents dans son ensemble.
Le morceau metal est très metal. Mais je crois qu’on n’a plus envie de faire de l’electro-metal. On n’a plus envie de mettre des beats electro, des grosses grattes dessus et de gueuler. Ça a été fait dans l’album précédent. J’avais envie de pousser le côté metal hardcore, il y avait plus de voix gueulées sur le dernier album. Là, on a plus voulu se faire plaisir et on aime bien aussi faire de la pop. Comme ‘Mojo’, il y a plein de monde qui n’aime pas ce morceau, c’est plutôt du blues. Il y a pas mal de blues ou de stoner dans cet album, il y a beaucoup de rock et de punk aussi. C’est plus un album electro-rock à variation metal, après il faudra voir l’adaptation sur scène. Mais c’est vrai qu’on a voulu faire des choses un peu plus nuancées, sans avoir peur de poser les choses et d’aller moins vite, de faire moins de bruit. Par contre, je trouve que c’est un album qui est beaucoup plus puissant que les autres. Il est moins gratuit, il est moins festif. C’est moins un album MXD pour sauter dans tous les sens, c’est un disque à écouter, avec des morceaux et des ambiances plus élaborés. Je ne dirais pas plus posé, mais plus massif, plus compact, plus puissant, plus lourd. Il n’y a pas besoin de faire du bruit pour être puissant. Moi, je le trouve plus tordu surtout. Il est plus vicieux, plus dans l’esprit de ce que j’ai aimé dans les musiques des années 90, c’est-à-dire Faith No More, chez qui on retrouve des balades, des morceaux un peu bizarres.

Mais ça sert à rien pour MXD de faire de la surenchère en matière de metal, parce que maintenant, il y a tellement de gens qui le font mieux que nous. Dans les années 90 ou 2000, ça choquait encore du MXD, certaines personnes trouvaient que c’était de la musique agressive ou violente. Maintenant, c’est devenu tellement extrême le metal, que moi, je ne m’y retrouve pas en tant que musicien. Je n’ai pas envie de passer une heure sur scène à hurler. Déjà physiquement, c’est éprouvant et puis je ne vois pas où est le but. Des fois, ça chie tellement que ça ne chie plus. J’écoute des groupes, je vais à des festivals, et même les gens qui aiment ça en ont plein le cul au bout de trois groupes. Peut-être que c’est une question d’âge, mais je ne crois pas. C’est une question de nuance. J’ai toujours aimé les trucs plus subtils, l’autodérision, les pieds de nez, la mise en danger du groupe, tout ce qui finalement ne correspond plus du tout aux groupes de metal traditionnel qui ont tous des productions surcarrées avec des doubles grosses caisses partout. Je trouve qu’il n’y a plus beaucoup de surprise. On ne va pas chercher le petit détail qui tue ou des ambiances particulières…

Actuellement, dans le milieu du metal, il y a peu de gens qui se mettent en danger. Quand j’écoute du metalcore actuel, le dernier Of Mice and Men, ou Bullet for my Valentine, par exemple, les refrains sont devenus tellement sirupeux et à côté ils hurlent comme des gorets et ça chie à fond, je ne vois pas le lien, j’ai l’impression que c’est du collage ou du puzzle, parce qu’il faut des parties où ça chie pour ceux qui aiment quand ça chie et de la pop pour les autres. Nous, on est moins radicaux dans nos compositions parce qu’on n’hésite pas à faire un morceau complétement pop et un morceau qui chie, mais il n’y a pas cette idée de vouloir plaire, donc c’était évident qu’on allait pas faire un album qui allait être plus violent que le précédent.

La chanson cachée est une reprise de Bashung. Pourquoi ce choix ?
Parce que ça fait des années que je fais chier tout le monde pour la faire et que là, on s’est dit que c’était le moment, on a essayé avec Solex. C’est un morceau que j’ai toujours voulu faire ! On se fait plaisir, quand on devient vieux ! Non, mais c’est peut-être pas quelque chose qu’on aurait fait il y a quelques années, parce qu’on aurait plus l’idée de plaire, de toucher tel public et on n’est plus du tout dans cette logique-là, donc on est libres. Et la liberté, c’est de pouvoir faire ce qu’on aime et ce qu’on aime, c’est par exemple ce morceau de Bashung. Enfin, c’est surtout moi qui l’aime.

Vous avez des objectifs particuliers avec ce nouvel album ?
On n’a pas d’objectif, enfin, si, il est déjà atteint, c’est l’album en lui-même. C’était pas forcément gagné de sortir un nouveau disque. Maintenant, on est signé chez un label, ce qui nous est pas arrivé depuis longtemps, parce qu’on avait fait des expériences assez problématiques au fur et à mesure des six précédents albums, mais là on est dans une structure géniale, Tenacity, avec un mec qui bosse à fond, Randy Schaller, qui venait aux concerts d’MXD il y a quinze ans. Ça fait plaisir d’être signé chez des gens qui ont la trentaine et qui aiment ce qu’on fait, sans forcément nous demander de faire un album de metal, sur un label de metal. Et c’est assez drôle : Endurance, Tenacité…

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FICHE CD:
Endurance
Tenacity Music
Notre chronique

Note: 4.5/5