« The weirder the better »
James Sedwards

par Dejan Gacond

    Les mutations insectoïdes de William S. Burroughs, son monde peuplé de créatures étranges, de voyages post-subconscients, de trips hallucinatoires, comme sa technique du cut-up ont profondément marqué James Sedwards. C’est le premier auteur qui lui vient à l’esprit quand on lui demande ce qu’il pense de la littérature, ensuite il ajoute ; ‘plus c’est bizarre, mieux c’est.’ Burroughs ou la conscience du découpage et des couches. Un arpenteur des strates enchevêtrées dans l’infra-monde. Les livres de Burroughs sonnent comme un long morceaux de noise compliqué, comme des lignes de guitares superposées, comme des coupures de rythmes incessantes. Au fil de ses projets musicaux, James Sedwards construit une forme d’extension sonore à l’oeuvre de cet écrivain mythique. De sa collaboration avec Thurston Moore à une performance improvisée avec Lydia Lunch, Weasel Walter et François Cambuzat en passant par son groupe Nought, James explore les limites sonores de la conscience et de son double errant. Le son et le bruit ne sauraient se différencier selon lui. ‘C’est que des sons… ou c’est que des bruits… c’est juste la façon dont c’est organisé.’ dit-il. Peu importe qu’il fasse du noise ou du rock, de la guitare ou de la basse comme hier sur un morceau avec This Is Not This Heat. La sensation demeure primordiale, l’énergie aussi. Il refuse surtout d’appartenir à une catégorie, d’être mis dans une boîte. Slayer ou John Zorn, Lydia Lunch ou Pink Floyd… il s’agit de concevoir la musique comme un délire des sens… et non comme des catégories imperméables et fermées sur elles-mêmes… Une chanson de pop mainstream peut éveiller dans un corps des sensations d’une intensité égale à un mur du son d’une puissance dévastatrice.  

    Une ouverture aux autres et un goût prononcé pour l’expérimentation. James Sedwards a longtemps été musicien de sessions et cette capacité à se mettre au service d’autrui se ressent dans son caractère profondément humain autant que dans son attitude sur scène. Toujours attentif à la globalité harmonieuse formée par un groupe. Un jeu subtil de regards, de partage, de connexion avec chacune et chacun. Que la musique soit envisagée comme une improvisation  ‘détachée de toute forme de construction’ ou comme quelque chose ‘d’entièrement composé’ à l’image des structures complexes de This Is Not This Heat, ‘tout fait partie d’un langage commun’, raconte James. En parlant avec lui, on sent immédiatement la gentillesse et une forme de timidité, une façon de protéger son talent. Pourtant la technique et l’instinct semblent rarement avoir coagulé avec une telle fluidité que dans son jeu. De l’homme comme des sons et des bruits qu’il produit avec ses instruments jaillit une sorte de simplicité. ‘J’ai rencontré Thurston Moore dans ma cuisine… je lui ai fait un thé’ me raconte-t-il à l’ombre des arbres derrière le Bad Bonn. Thurston Moore venait de déménager à Londres et il a vécu en colocation avec James pendant quelques mois. Ensuite ils décidèrent de faire de la musique ensemble. Ils ont fonctionné comme un duo pendant environ six mois avant d’être rejoint par Steve Shelley, puis par Debbie Googe suite à la proposition de James. L’enregistrement de l’album ‘The Best Day’ était prévu et Steve comme Debbie ont eu quelques jours afin d’apprendre les chansons. ‘La première fois que l’on a joué ensemble tous les quatre était le premier jour de studio… on a enregistré l’album en trois jours…’ Au passage, sans vraiment s’en rendre compte, ils étaient devenus un groupe de musique, une tribu, une mini-communauté. James Sedwards raconte qu’en plus d’apporter au son global une profondeur et une densité unique, Debbie Googe est aussi ‘un véritable ciment social’. Cette faculté innée de la bassiste de My Bloody Valentine pour rassembler les gens a grandement contribué à faire de ce projet éphémère un vrai groupe dont le nouvel album ‘Rock n Roll Consciousness’ est un pur chef d’oeuvre. Un album complet, harmonieux, dense et puissant, touchant à la totalité comme à l’infinitésimal. Un album autant instinctif qu’intellectuel, autant rock’n roll que conscient.

    Alors que James m’explique un peu la trajectoire de sa collaboration avec Thurston, il m’est difficile de ne pas me projeter deux ans en arrière, presque jour pour jour. La Kilbi 2015, les tables ombragées par les arbres millénaires qui entourent le Bad Bonn. De cet endroit jaillit définitivement une énergie particulière. Il faisait très chaud ce jour-là, je transpirais abondamment… et c’est avec une fébrilité immense que j’ai commencé à discuter avec Thurston Moore qui se produisait quelques heures plus tard avec son groupe. Un moment surréaliste, difficilement descriptible, je bégayais, j’avais du mal à juxtaposer les mots. Je me souviens des mes mains tremblotantes quand Thurston m’a demandé de lui écrire une dédicace au fanzine Kaleidoscope Of Nothingness que je venais de lui offrir… James était attablé quelques mètres plus loin avec Debbie Googe et Steve Shelley…

    ‘Le bruit ne finit jamais’  dit soudainement James Sedwards… Il parle de son groupe Naught, ‘ça dure depuis toujours… c’est mon premier projet et ça sera mon dernier aussi… ‘ Ils sont d’ailleurs en train de terminer l’écriture ‘d’une oeuvre musicale exigeante’ avec Naught. Afin de satisfaire son refus d’appartenance à une catégorie de musicien, James semble avoir besoin de trouver un équilibre entre ses différents projets. Une ouverture à la fureur évanescente de l’instinct comme à la réflexion paisible de la pensée. À quelques mètres de nous, des moucherons forment une sorte d’essaims en mouvement constant. On dirait une molécule bouillonnant d’atomes… On dirait un livre de William S. Burroughs… on dirait des lignes de guitares superposées par James Sedwards. Le phénomène nous interroge un instant. On dirait des noeuds telluriques dans l’air, vous y croyez-vous ? La musique est finalement une forme de mélange entre l’air et le sol et James incarne cette oscillation. Un voyage au travers les couches géologiques de l’inconscient, une explosion cosmique, une idée du vide, un délire des sens… la musique est une énergie… un partage… une oscillation… un flirt avec l’infini… la musique de James est l’amplification d’un livre de William Burroughs…

    Bad Bonn Kilbi, Düdingen, 3 juin 2017
    

    

   

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