par Dejan Gacond

    … C’était le 19 avril 2013. Un vendredi en début de soirée. C’était avec un mélange de fébrilité, de terreur et d’impatience que j’attendais Lydia Lunch dans le restaurant de l’Hôtel des Alpes de Düdingen. Normal j’avais relu ‘Paradoxia’ peu de temps avant, c’était notre première rencontre après quelques échanges d’email. Heureusement la voix grave et protectrice de Lydia m’avait un peu rassuré au téléphone en me proposant de manger avec elle. C’était donc le vendredi 19 avril 2013. J’étais dans ce restaurant suisse allemand typique ; tout était en bois, les chaises, les tables, les ornements autour des fenêtres, le plafond. Une odeur de fondue et de rösti flottait paisiblement dans l’établissement. Des familles, des groupes d’amis buvaient l’apéro, commandaient à manger et laissaient jaillir de forts éclats de voix en suisse allemand. J’y comprenais que dalle. Soudain elle a débarqué ! Un mètre soixante d’énergie pure, impeccablement maquillée, tout de noir vêtue, la frange parfaite, deux traits d’un puissant carmin recouvraient ses lèvres… elle s’est dirigée vers moi, mon coeur battait fort et je lui ai dis en préambule, sans réfléchir ; ‘Strange place to meet Lydia Lunch…’… ‘I know it’s the assole of the world, but the club is fantastic…Hi ; I’m Lydia ! ‘… quelques verres de blanc plus tard on se dirigeait vers le Bad Bonn…

    … C’est le 2 juin 2017. Un vendredi vers huit heure du matin. C’est avec un mélange de tête dans le cul et d’étonnement que je déambule dans le centre du village de Düdingen. Normal la Kilbi commence aujourd’hui. D’ailleurs à la terrasse du centre commercial deux vieilles dames me regardent avec dépit et semblent se dire ; ‘eh merde c’est reparti… revoilà les fous…’ Tout en buvant un café et en observant la paisible vie des habitants de Guin se dérouler, je me décide à aller poser des questions à quelques uns d’entre eux. Que pensent-ils de la Kilbi ? du Bad Bonn ? Sont-ils fiers ? Sont-ils effrayés ? Mon allemand est très mauvais et vais tenter d’improviser. C’est fou comme on est nul les romands quand même. C’est la faute au système scolaire c’est sûr. Mmmmouuaaais… comment se fait-il qu’après environ 12 ans d’allemand à l’école on soit obligé de parler en anglais avec les suisse allemands, et la plupart du temps ils nous parlent directement en français. Bref, allez hop, je me lance. Un vieux monsieur approche et je me présente, tente de balbutier quelques mots pour savoir ce qu’il pense du festival. Il est surpris dans un premier temps, puis me dit qu’il n’y est jamais allé, mais que c’est super pour la jeunesse, pour la réputation du village, etc… enfin d’après ce que j’ai pu décoder quoi… Ensuite une dame qui achète des tournesols me parle avec enthousiasme du festival ; ‘ah c’est génial que ça existe, faut jamais que ça disparaisse, pleins de gens viennent ici pour ça, c’est extraordinaire ! en plus je connais bien Patrick.’ C’est à mon tour d’être surpris quand elle ajoute que la seule fois qu’elle est allée au Bad Bonn, c’était pour un mariage il y a longtemps. Une mère de famille me tient ensuite un discours plus ou moins similaire. Les deux jeunes qui tiennent le barbier semblent également intrigués. Ils m’avouent n’être encore jamais allé ni au festival ni au Bad Bonn mais ils voient tout ça d’un bon oeil. Paraît-il qu’un vieil homme disait fièrement l’autre jour que grâce à Kilbi on parlait de Düdingen jusqu’en Australie… D’ailleurs un fragment déjanté de l’Australie sera par ici ce dimanche, j’ai nommé les psychopathes de King Gizzard and The Lizard Wizard !!… Pour les habitants de ce village, le Bad Bonn semblent être un îlot lointain, ils savent que ça existe et plus ou moins où c’est, mais la chose demeure un mystère ou une légende enfouie dans les anciens bains thermaux vers le lac de Schiffennen… pourtant ils sont heureux que tout au long de l’année et plus encore début juin, des gens débarquent du monde entier dans leur petit village. D’ailleurs au moment où j’écris ces réflexions flottantes, les trains s’arrêtant en gare de Düdingen déversent sur les quais des grappes continues de festivaliers, tous plus impatients les uns que les autres que la Kilbi démarre…

    Si certains s’en vont jovialement dévaliser le centre commercial en face de la gare, d’autres se dirigent directement vers le Bad Bonn. Ils traversent la zone industrielle de Düdingen, passent le pont au-dessus de l’autoroute et longent le petit quartier résidentiel et les quelques fermes traditionnelles. Celles et ceux qui marchent le long de cette route pour la première fois seront surpris voir amusés par ce temple de nains et animaux de jardins qui entoure une petite maison. La plus grande concentration au monde de ces créatures de terre cuite. Ils ont même des perroquets de jardins, c’est complètement hallucinant. Quand on a l’habitude de prendre cette route, le passage de ce jardin surréaliste est plutôt rassurant car il indique que l’on s’approche du but. Il faudra encore passé devant une vierge marie posée avec vénération dans une vitrine au-milieu d’une haie… ah les terres pieuses et leur dérives… Passé la sainte statuette, la route devient encore plus étroite et on aperçoit le toit de la grande scène au loin. Puis le sommet d’une étrange ellipse testiculaire… le mystère demeure un instant… et se dissipe quand on arrive à la hauteur du camping… on entends les test sonores en court qui s’échappent du festival… les techniciens de la petite scène semblent passer « Angel » de Massive Attack… il reste à construire sa cabane, faire des provisions, boire sa première bière.. et attendre qu’un autre mystère commence… un mystère éternel et polythéiste ; celui du devenir musique du son…

Bad Bonn Kilbi – Düdingen – 2 juin 2017

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