Review et Interview par Vincent Lehmann (30 novembre 2018)

Photos par Alex Pradervand (1er décembre 2018)

Joli coup, et d’autant plus joli qu’il était double, pour le Pub du Manoir, à la frontière entre novembre et décembre. Car c’était non pas pour un seul soir, mais deux soirs consécutifs que la bruyante quoique festive escouade de Finntroll venait secouer de ses hymnes païens la très catholique terre agaunoise (c’est comme ça qu’on dit, c’est pas Saint-Mauricienne).

Programmateur des lieux, Axel confiait que la mise en place de ces deux soirées n’avait pas été une promenade digestive : une pleine année de négociations avait été nécessaire pour déplacer nos Finlandais, soit bien plus du double que pour des groupes d’un calibre comparable. Et pas question de se relâcher avant la dernière minute : tandis que notre hôte courait en tous sens à quelques heures du début des hostilités, aux petits soins de ses invités nordiques, le groupe attendait encore sur le matériel du batteur, quelque part entre Genève et le Valais…

C’est pourtant en toute décontraction que Mathias « Vreth » Lillmån et Mikael « Routa » Karlbom, respectivement brailleur et gratteux, répondent à quelques questions sur un coin de table de l’arrière-boutique – trente minutes, pas plus ! Il faut ensuite que ces messieurs mangent, à des heures helvétiques jusqu’à la caricature! La faute à un règlement communal qui, au nom de la tranquillité des habitations avoisinantes, fait cesser les concerts aux heures où, normalement, ils commencent à peine…

Deux sets au même endroit à vingt-quatre heures d’intervalle : rarissime, l’occasion était trop belle pour que le groupe envisage de donner dans le copier-coller de ses performances sur les plus grandes scènes du continent. « Le public demande volontiers certains titres, ceux pour lesquels nous avons fait des clips par exemple », explique le débonnaire Routa. « L’idée ici est de se faire plaisir, en jouant des chansons que nous aimons beaucoup, mais que nous ne faisons que rarement en concert ». Si l’on nous promet deux shows très différents, pas moyen d’en savoir beaucoup plus : il n’y aura pas de thème précis, ni d’ordre chronologique entre les pistes. De fait, nos lascars ne semblent eux-mêmes pas très au clair !

Difficile, ensuite, de ne pas aborder la question qui fâche, et qui revient avec une lourde insistance dans les commentaires de toutes les publications officielles de la formation sur les réseaux sociaux : à quand une nouvelle galette ? C’est qu’après s’être habitués à en découvrir un tous les trois ans environs, nous voici bientôt au double sans rien de neuf depuis Blodsvept en 2013 hormis le live Natten Med de Levande Finntroll l’année suivante…

Face à ce sujet manifestement inconfortable, Mathias conserve un calme d’élève de conservatoire – quel contraste entre ce fin trentenaire plein de retenue et son personnage furibard une fois les amplis branchés ! Ce d’autant plus que la question fait partie de celles qui agacent, posées avec insistance par tous les professionnels de la presse. Tenus à une certaine discrétion, Vreth et Routa lâchent toutefois un peu de biscuit. Oui, un nouvel album est dans les tuyaux ; oui, plusieurs chansons sont déjà composées, bien qu’encore « à l’état de squelette », et sans fil directeur clair pour les relier. Les deux compères se laissent aller à formuler des espoirs pour une diffusion de la chose dans le courant de l’année prochaine, se gardant bien d’articuler la moindre promesse.

Quitte à asticoter nos deux chevelus, allons-y franco. Les gars, les oreilles qui percent la tignasse et s’agitent comme les ailes d’une corneille aux soins palliatifs, c’est vraiment obligé ? Petit sourire entendu des compères : « C’est une manière d’entrer dans le personnage », explique Routa, « ça ne me viendrait pas à l’idée de me présenter sur scène sous mon nom, avec ma propre personnalité, je ne pourrais pas aller aussi loin dans la sauvagerie. » « D’autres groupes avec qui nous avons tourné étaient aussi sceptiques », ajoute Vreth, « les gens de  Napalm Death par exemple » – qui, ô hasard farceur, les précédaient au Manoir une semaine plus tôt. « Ils nous disaient : jamais je ne pourrais jouer avec un truc pareil ! Mais une fois qu’ils nous ont vus sur scène, ils ont été convaincus : ils ont compris que ça faisait partie de l’expérience. »

Ultime révélation du jour : la page anglophone de Wikipedia consacrée au groupe grouillerait d’erreurs factuelles : frères imaginaires, chansons jamais composées, membres non-mentionnés… Contactée, l’encyclopédie en ligne n’aurait pas montré trop d’empressement à apporter les corrections nécessaires. « Nous ne faisons pas partie de leurs priorités, apparemment », ricane Verth. Il me faut alors dégager des baque-staidge, car voici venue l’heure de nourrir les trolls.

Du côté de la scène, encore fermée au public, de sourdes basses commencent à vrombir, balance des groupes de la première partie. Si la partie « pub » des lieux est proprette – ses murs agrémentés de slogans volontiers graveleux, on vous laisse les découvrir – la petite salle du fond est boisée sur le modèle d’une vieille grange, la scène elle-même évoquant une véritable crèche de Noël. Aux instants les plus intenses de la soirée, c’est un plaisir inattendu que de sentir sous ses pieds vibrer et tressauter l’antique plancher, comme si la bâtisse était saisie d’épilepsie.

Ce sont les Sédunois de Vaalnor à qui revient le redoutable honneur de chauffer la salle. Au programme, chant guttural et rythmes bourrins pour des chansons à boire interrompues parfois par de belles cavalcades, quelque part entre Dropkick Murphys et Ensiferum. On pourra regretter un son pouvant manquer de véritable épaisseur, une présence scénique un peu raide, et il ne serait pas honnête de passer sous silence des choeurs parfois, disons, approximatifs. Mais le groupe délivre un set d’une belle énergie, au son plus punkard que métal, comme un bâtard des Pogues pataugeant dans une bassine où se mêlent hydromel et sang d’esclaves.

Les suivent les Lausannois de Norvhar et ses inspirations viking-metal teintées de folk. Coup de casque à pointe particulier au sextet qui, devant reprendre plusieurs fois un morceau suite à un étrange problème, montrera des nerfs d’acier face à l’angoisse d’une salle bienveillante mais lente au démarrage. « On ressaie, on l’a apprise avant de venir », lâche Matt le chanteur, admirablement désinvolte. Suivront plusieurs titres assez carrés d’inspiration très thrash dans leur structure, soutenus par une batterie à la double-caisse très eighties, ça et là survolés par la touche mélodique d’un impertinent flûtiau.

Enfin, les véritables patrons de la soirée se faufilent de derrière le bar, silhouettes d’elfes noirs qu’on attendrait plus à une convention de cosplay que pour une séance de brutalité sonique. Incongruité esthétique bien vite balayée par le professionnalisme de la formation, très visiblement ravie de jouer au plus près de son public. Nous voilà partis pour un concert non pas pour fans mais pour connaisseurs, comme on nous l’avait promis. L’exiguïté des lieux et la présence de finntrollogues avertis rajoute dix degrés au thermomètre : conquis dès les premières mesures, l’assistance en vient vite à se comporter comme un membre du groupe à part entière. Les mélodies fusent des gorges extatiques avant même d’être jouées et les corps s’entrechoquent face à la scène, dans une ambiance de virage de supporters.

Quant les titres prennent des allures de musique de cirque joyeusement bouffonne, on a des réminiscences des Béruriers Noirs ; dans les moments héroïques, l’on est moins dans la danse de célébration que dans l’ultime charge face à un ennemi en déroute, ce moment où les crânes ennemis ne sont pas encore propres à servir de vaisselle mais où ils ne servent déjà plus à leur propriétaire. Et puisque nous causons caboche, il n’aura échappé à personne que Vreth, dans son agitation headbanguesque, aura laissé une bonne poignée de cheveux à la grosse poutre surplombant la scène. Par moment, il ressemblait à une étrange décoration d’Halloween, marionnette possédée pendue au plafond !

On aurait pu à bon droit redouter un service minimum, mais les Finlandais ne s’épargneront pas en ce premier soir : d’une virulence ne retombant pas une seule seconde, la prestation sera aussi bien plus longue que ce à quoi le groupe aurait pu se cantonner. Générosité, patate et précision chirurgicale, que demande le peuple !?

 

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