Entre Rorcal et Coilguns, la scène de Fri-son accueillera samedi Emilie Zoé dans le cadre du festival du label Hummus. On a sauté sur l’occasion pour s’entretenir avec l’ariste.

Comment tu te sens chez Hummus, qui est aussi la maison de trucs plus violents comme Coilguns ?
Pour moi, c’est avant tout un label géré par des amis, grâce à qui je fais de la musique comme j’en fais aujourd’hui. La manière de fonctionner est différente sur ce label, ils ne font les choses que lorsqu’ils ont envie de les faire, jamais pour de mauvaises raisons. Et c’est vrai qu’il y a Coilguns, mais on y trouve de la musique moins violente, même des trucs encore plus doux que ce que je fais, si l’on pense aux albums solos de Louis Jucker. Le label est davantage basé sur les relations qui unissent les musiciens plutôt que sur un style de musique en particulier.

Comment te sens-tu sur une affiche aussi éclectique que celle de samedi soir?
Bien entourée. Ca m’est déjà arrivée de jouer dans des cadres de soirées hard, comme dans des soirées plutôt folk ou pop – et je m’y sens chaque fois à l’aise. Ici, avec Edmond Jefferson & Sons et Louis Jucker, il n’y a pas que du hard. En plus avec le prix libre, les projections et les ateliers organisés, la radio DIY, c’est plus que des concerts.

Proposer un prix libre, ce n’est pas dévaloriser la musique?
Je n’en ai pas l’impression. On a déjà fait de nombreuses soirées et festivals comme ça, on allait jusqu’à presser sur place des cassettes, des disques et des vinyles avec qui les gens pouvaient repartir ; on indiquait un prix conseillé mais les gens donnaient ce qu’ils voulaient, et j’ai l’impression que ça valorise au contraire la musique lorsque les gens se rendent compte de ce que ça veut dire que d’organiser un événement comme ça. Et financièrement, on s’en sort aussi, voire mieux, que si on fixait nous même un prix.
Il en va de même pour toutes les sorties d’Hummus qu’on propose en téléchargement sur Internet à prix libre, et pourtant, on touche quand même de l’argent à la fin de l’année. Radiohead avait envoyé un signal très fort à toute l’industrie lorsqu’ils avaient sorti « In Rainbows » sous format numérique en laissant aux gens la liberté de donner ce qu’ils estimaient juste.

Emilie Zoe – Paléo 2019 © Davide Gostoli

Le côté minimaliste de ta musique me rappelait les mots de Tobias Jundt, de Bonaparte, qui disait que c’était en fait beaucoup plus difficile de faire une bonne chanson avec peu d’arrangements que de verser dans la surenchère en rajoutant couche sur couche jusqu’à ce que ça sonne bien. Tu en penses quoi?
Je ne peux pas dire si c’est plus simple ou pas, parce que j’ai jamais expérimenté l’accumulation des couches. Faut voir que sur les deux disques que j’ai sortis, l’un était fait sur une cassette avec seulement quatre pistes, et le deuxième a été enregistré live en une seule prise.

J’ai entendu parler de tes origines françaises, qu’en est-il exactement ?
Les gens savent en effet pas trop d’où je viens, parce que moi non plus. La famille de mon père est en France mais il est à Lausanne depuis ses six, sept ans. Tandis que ma mère a des parents suisses allemands, mais elle a grandi à Lyon. Mes parents se sont rencontrés aux études à Lausanne, et c’est là où j’ai grandi, mais sans famille au-delà de mes parents. Donc je ne me sens pas spécialement attachée à cette ville, si ce n’est pour y avoir été à l’école. D’ailleurs, dès le moment où j’ai arrêté les études, je me suis déplacée dans toute la Suisse romande. A Fribourg, dans le Jura, à La-Chaux-de-Fonds et maintenant à Neuchâtel, où je suis en coloc avec mon batteur, Nicolas Pittet.

Est-ce que tes racines françaises te donnent un recul sur la Suisse et les habitudes de ses habitants ?
Peut-être un peu, mais c’est surtout à force de voyager. Lors de concerts en France, en Allemagne, en Autriche, tu rencontres des gens d’autres pays et c’est en leur expliquant comment c’est la vie en Suisse et en voyant leur étonnement, que tu acquiers ce recul.

Avant de te lancer dans la musique tu as fait un saut à l’EPFL. Tu avais réussi les examens de première ?
J’avais fait une session d’examen. Après je me suis dit que j’allais faire une pause et faire de la musique pendant six mois. Puis j’ai prolongé, un an, un an et demi et là ça fait dix ans que j’ai lâché les études. Mais ce n’était pas une erreur de jeunesse. Si j’avais plusieurs vies, je reprendrais mes études en physique. J’essaie toujours de me tenir au courant et de me documenter, mais ce n’est évidemment pas la même chose que d’avoir des cours intensifs.

Quelle a été la réaction de tes parents lorsque tu as lâché les études ?
Il faut savoir que j’étais assez malheureuse à cette époque, en entrant tous les jours dans ces auditoires. La compétitivité et l’ambition qui y régnaient ne me parlaient pas. C’était une période assez triste, alors ils ont bien accueilli ma décision en voyant que j’allais mieux. Mais forcément, ils avaient aussi peur, autant si ce n’est plus que moi, peur de ce que j’allais pouvoir faire dans la vie. Mais aujourd’hui ils sont contents et très fiers. Ils viennent souvent aux concerts, c’est aussi à eux que je fais écouter ma musique en premier. C’est probablement ceux qui connaissent le mieux ce que je fais et ce, depuis le début.

Emilie Zoe – Paléo 2019 © Davide Gostoli

Pourquoi privilégier l’anglais pour tes textes et quel est ton rapport à la langue française ?
L’anglais n’a pas été un choix conscient, ça s’est fait comme ça. Depuis mes 14 ans, je n’ai écouté quasiment que de la musique chantée en anglais. La langue était indissociable de la musique que j’avais envie de faire. Je lisais également en anglais, je regardais des films en anglais… C’était autant de vecteurs d’émotion qui me traversaient qui se reposaient sur cette langue. Alors quand j’écris mes chansons, je ne traduis pas les paroles depuis le français, ça vient immédiatement en anglais. D’ailleurs, je n’écris pas d’abord les textes, ou d’abord la musique, je compose les deux en même temps et les mélodies sont liées à des sons qui me viennent en anglais. Ce n’est pas que je n’aime pas la langue française, d’ailleurs j’écris en français, des textes en prose, ou de l’écriture automatique, mais je ne sais pas trop ce que je dois en faire.

Pour tes chansons en anglais, tu n’as pas peur de faire des imprécisions, ou que les anglophones repèrent ton accent ?
Non pas vraiment. J’ai un ami qui relit mes textes, mais de toute façon, je ne me fais pas passer pour une artiste d’Angleterre ou des Etats-Unis. Je viens de Suisse et les gens le savent. D’ailleurs, c’est un pays assez étrange d’un point de vue linguistique et l’anglais en fait aussi partie. Dès que tu traverses la frontière linguistique, même si tu essaies de parler allemand, tout le monde finit par parler en anglais. J’ai sûrement un accent, mais ça ne fait rien, j’aime les sonorités des mots dans cette langue. Et vu que de toute manière ça ne médrange pas de dire les choses avec des mots simples… Si un jour je me sens limitée par ça, je trouverai une solution. Soit je co-écrirai les textes avec quelqu’un, ou j’irai habiter six mois en Angleterre, je ne sais pas.

Justement, tu ne te sens pas artistiquement restreinte en Suisse ? Tu as songé à émigrer, que sais-je, à Berlin, à Paris ou à Londres ?
En fait, je suis très attachée à la nature et à la campagne. Je me sens vite à l’étroit dans les villes, et la Suisse a ça de bien qu’elles n’y sont pas grandes et qu’on en sort très vite. La proximité des éléments naturels, de la forêt, de l’eau, m’est chère. Je me suis parfois demandé si je devais déménager, mais je n’ai jamais pu savoir où je me sentirais bien.