En pleine période de nouvelles restrictions sanitaires, cet interview pour la sortie de ‘Versions’ avec Darius Keeler, l’éminence grise du groupe Archive depuis vingt-cinq ans résonne bizarrement. Le ton badin de notre discussion tranche avec l’atmosphère anxiogène environnante. ‘I’m scared of their controlling crowds’.

Vous n’avez pas chômé, entre ’25’ et ‘Versions’ !

Et on travaille sur le nouvel album ! On a déjà enregistré neuf démos, un peu plus lourdes et plus orientées chansons et guitares. On a commencé quatre titres avec Pollard, et trois avec Lisa, notre nouvelle chanteuse. On va se voir avec Maria et Dave en octobre. Holly est en Australie, donc c’est peu plus compliqué. Mais les nouveaux titres sont remplis d’émotions.

C’est votre marque de fabrique non? Les titres remplis d’émotions?
C’est l’effet que le monde a sur nous, je crois! (rires)

Quel morceau de ‘Versions’ fut le plus intéressant à se faire réinterpréter?
‘Fuck You’, par exemple. Ce titres est tellement énervé et cynique, je voulais le voir sous un autre jour. Les fans l’ont détesté, mais je m’en fous. J’espère qu’ils le comprendront mieux dans le contexte de l’album. Tous ces morceaux, je voulais les voir sous un jour différent. Mais chacun étaient un challenge! ‘Kid Corner’ est très lourd et industriel, et le message est très lourd, ça parle des enfants armés en Amérique. J’ai vraiment voulu prendre les titres les plus lourds de sens et les mettre dans un monde différent. ‘Erase’ était très dur pour nous, on a mis un sacré moment à avoir cette nouvelle version qui sonne juste. La voix de Pollard est très brute, mon piano aussi. Mais il y a un morceau qui a été insurmontable, et qui donc ne figure pas sur l’album : ‘You Make Me Feel’. C’est impossible de l’avoir sans la puissance de la batterie, donc on l’a abandonné, même si c’est le morceau le plus connu d’Archive.

Oui, j’imaginais l’avoir sur l’album! ‘Erase’ est vraiment le meilleur moment de l’album, je m’imagine dans une église pour un enterrement. Puis comme une sorte de procession dans un cathédrale, où tu dois commencer ta visite par la gauche avec les Esprits Saints, et tu redescends par la droite avec le peuple.
Je ne connaissais pas ça ! Ça va changer ma vision des cathédrales ! Ce sont des monuments extraordinaires, et c’est vrai, ce morceau tourne un peu dans ce sens, il est très cathartique.

Et quel fut le morceau le plus facile à écrire ?
‘Fuck You’ – l’expérience était si différente, Lisa a écouté le morceau et la première chose qu’elle m’a dit c’est ‘comment veux-tu que je pose ma voix la-dessus ?!’ Elle n’arrivait pas à imaginer sa voix, comme Craig ou Dave qui posent beaucoup de mots sur la musique. Mais lorsqu’elle est venue en studio, elle a tout fait en une fois. C’était impressionnant à voir. Ça me déçoit de voir que les fans n’ont pas aimé cette version, mais ils disent tous que l’on prend une direction différente, alors que pas du tout. On explore. Et j’espère qu’ils le comprendront avec la totalité de l’album.

C’est vrai qu’il est très étonnant.
C’est cool que ça surprenne ! La version de Dave est assez politique, il est énervé face à quelque chose qui affecte ta vie, quelque chose que tu ne peux pas toucher car c’est hors de ta portée et de ton pouvoir. On a écrit ça à l’époque de George Bush et Tony Blair. Quand Lisa le chante, c’est beaucoup plus tangible. On peut sentir le côté personnel et intime, plus vulnérable. On n’est pas un groupe qui fait des reprises, et faire ‘Versions’ est un grand écart pour nous. On s’est dit que s’il fallait qu’on fasse quelque chose, autant sortir de notre zone de confort.

La situation politique n’est pourtant pas si différente maintenant.
Beaucoup de nos paroles sont très politiques. Nous avons tellement écrit durant le confinement, il y a beaucoup de choses qui se passent dans le monde, nous sommes proches du précipice. C’est terrifiant. Le monde change si vite et si drastiquement, et nous n’avons aucun contrôle sur rien. Beaucoup d’artistes sont affectés par toutes ces pensées et soucis. Mais tu es journaliste, tu as aussi ça en tête !

Comment un groupe comme vous gère avec toutes ces annulations de tournées et ces temps si incertains ? Vous êtes un grand groupe, mais pas de la taille des Stones ou Metallica.
On a eu tellement de festivals annulés, ça nous rend très tristes. C’est difficile financièrement. L’industrie musicale souffre beaucoup – Même pour Metallica et les Stones ! Ils vivent juste une vie avec plus de dépenses. Je pense que les prochaines années vont être très dures. Notre chance, c’est que nos fans sont très dévoués. Nous nous réjouissons de repartir en tournée et de les revoir. Mais beaucoup de petits groupes émergents, ou ceux qui arrivent juste à faire des dates sold-out, ce sont eux qui vont souffrir le plus, car ils n’arriveront que très difficilement à garder cet élan. La presse musicale bouge beaucoup aussi et perd son intérêt pour ces petits groupes très rapidement. J’espère vraiment qu’ils vont trouver un moyen de rester dans l’esprit des gens.

Et comment vous voyez la situation pour Archive ?
On en parle beaucoup avec notre manager. On ne sait pas quand les concerts pourront reprendre, même si on a déjà dix festivals de prévus pour l’année prochaine. On y réfléchit, c’est difficile car nous sommes très axés sur le live, et on veut pouvoir jouer pour nos fans sans perdre d’argent. Nous sommes beaucoup dans le groupe, nous avons une grande équipe autour de nous. Tourner coûte cher – et impossible d’être rentable dans des salles où tout le monde est à 2 mètres de distance. On pense à peut-être faire un concert sans public mais tu peux acheter ton billet pour voir le live en ligne, mais pour être honnête, j’espère que d’ici la fin de l’enregistrement de notre nouvel album, nous pourrons jouer à nouveau dans des salles normalement. On ne le sortira pas avant 2022 de toute façon. L’avantage, c’est que nous avons beaucoup de temps pour écrire, et nos cerveaux sont très disponibles pour laisser la création fleurir.

Tu as pris du temps pour découvrir de nouvelles passions ?

Malheureusement pas ! Ma fille a 18 mois, et je m’occupe d’elle car ma partenaire travaille. Donc je suis papa à plein temps ! Durant 3-4 mois, je m’occupais d’elle, et dès que j’avais un peu de temps pour moi, j’écrivais. Je fais beaucoup de marches également. Je fais un peu de natation au quotidien, c’est un peu ma méditation. Mais quand tout était fermé, j’emmenais ma fille pour de grandes balades dans la nature. C’est très méditatif aussi. J’adore marcher. Je lis beaucoup, mais pas de découverte majeure. Une fille de 18 mois c’est beaucoup de travail !

C’est pour ça que ‘Kid Corner’ est une berceuse !

Exactement ! (rires)

Je suis aussi libraire, et je me demande toujours quels livres influencent les gens. Quels sont les livres qui t’ont formé ?
Ça sonne très cliché, mais George Orwell a eu une énorme influence sur moi. Il avait une telle vision, j’ai lu tous ses livres, j’adore sa façon d’écrire. J’ai toujours une sensation de chaleur humaine et de confort en le lisant. Son ironie, son humour, sa façon de voir l’humanité est exceptionnelle. J’adorerais pouvoir le rencontrer si j’avais une machine à remonter le temps. Tu devrais clairement lire ses livres en anglais, essaie ‘Dans la dèche à Paris et à Londres’. C’est une histoire vraie, il a vécu à Paris avec des clochards dans la rue. C’est les années 20, et la description de cette ville est incroyable. Puis il revient à Londres, pareil, avec des gens dans la rue. C’est encore plus fou car il l’a vraiment fait, et la pauvreté est si différente de celle que nous avons maintenant. La pauvreté est toujours énorme en Angleterre, mais il y avait tellement plus de maladies il y a un siècle, et pas d’antibiotiques ou d’aide médicale.

Si tu pouvais choisir trois chansons d’Archive et demander à trois groupes de les reprendre, lesquels serait-ce ?
‘All Time’ par Kraftwerk, ‘You Make Me Feel’ par Girl Band – oh diantre ce serait taré. Tu connais Girl Band ? Ils sont absolument géniaux, faut que tu en parles à tous tes amis. Leur nouvel album est sorti l’année passée, il est magnifique. Pas facile d’écoute, mais ça vaut la peine. Et ‘Noise’ par The Who !

Et s’il y avait un titre d’Archive que je devrais utiliser pour vous faire découvrir à mes amis ?
‘Lights’. J’avais complètement oublié la version originale, mais l’autre jour j’étais avec un de mes amis, on avait un peu bu et fumé, et il m’a demandé s’il pouvait écouter ‘Lights’. Et j’étais là ‘Bon sang quel morceau incroyable!’ Si émotionnel, si complexe, j’étais vraiment surpris de le redécouvrir.

www.archiveofficial.uk

FICHE CD
Nom de l’album : ‘Versions’
Label : Dangervisit
Note : 3,5/5